Elle réunit plus d’une centaine de peintures, sculptures et dessins du XXè siècle choisis dans l’immense collection constituée par Anne Gruner Sclumberger (1905-1993), des créations qui sont invitées à dialoguer sur les cimaises avec une cinquantaine de feuilles échappant pour quelques mois, aux albums d’éditions rares de Picasso, Léger, et Tardieu, illustré par son ami Dubuis. Les Cranach et autres merveilles des salles voisines en rougissent de plaisir de côtoyer des invités aussi prestigieux. Un ensemble réellement enthousiasmant.
Histoire naturelle surréaliste, tel est le bestiaire anthropomorphe de François-Xavier Lalanne dont les moutons-sièges en sont bien l’élément phare, tout comme de l’expo ici présente grâce à une astucieuse et réjouissante idée de Constance Guisset, muséographe. C’est bien dans la lignée de sa politique d’expositions consacrées aux collections privées que la Fondation Bemberg a le privilège de présenter du 26 juin au 1er novembre 2020, la collection de la Fondation des Treilles, une bien belle appellation. À l’origine de la Collection, tout comme de la Fondation d’ailleurs, il y eut avant tout une femme à la personnalité exceptionnelle qui eut la chance double, d’une longue vie et d’un environnement disons, flatteur. Elle est en effet, la fille de Conrad Schlumberger, qui créa avec son frère, deux cerveaux scientifiques, à l’origine des pionniers de la géophysique, ce qui devait devenir la fameuse entreprise internationale du même nom. Une famille talentueuse, douée d’un esprit entrepreneurial au sommet, riche en fortes personnalités, où le goût pour les sciences n’excluait pas des talents artistiques variés, allant de la musique à l’écriture.
C’est le chemin que suivit Anne avec ténacité et bonheur, cette voie des arts et de la culture, en constituant une remarquable collection tout en pratiquant un mécénat artistique et scientifique absolument exceptionnel, d’une diversité époustouflante…et rare ! Ses deux sœurs n’étaient pas en reste d’ailleurs !! Mais la qualité des œuvres réunies n’en est pas la seule caractéristique, ni son éclectisme.
C’est une collection privée, d’environ plus de trois mille pièces, empreinte d’une recherche que l’on peut qualifier de réunion de multiples coups de cœur, tissée au fil des rencontres avec les artistes et d’histoires intimes, sans préoccupation de placements et autres. Une collection comme on peut être si nombreux à souhaiter échafauder pas à pas. L’expo vous accueille avec deux grandes toiles que vous ne pouvez rater de Roberto Matta, peintre chilien un temps passé par les surréaliste
Dans cette expo, Fernand Léger est à la fête. « Je ne peins pas des sujets, je peins des contrastes, je fais de la peinture, pas de la littérature descriptive. » dit-il. Objets modernes et anciens, arts populaires et arts considérés comme savants se télescopent ici avec une élégance et un sens des correspondances qui doivent tout au goût de celle qui a constitué cet ensemble unique. Un ensemble très impressionnant. Et dans celui-ci figure encore, l’ensemble plus particulier d’œuvres dites d’art moderne, relevant pour beaucoup d’entre elles du surréalisme, dans lequel il a fallu encore choisir pour constituer une exposition susceptible de voyager, et qui au fil des points d’accueil, peut se modifier. Ainsi, celle présentée ici, est-elle dans son genre unique.
« Peindre, c’est la vie, la vraie vie, ma vie. » Victor Brauner. Ceux qui aiment le travail de ce peintre roumain seront aux anges. Anne Gruner l’adorait. « La Source peinte à la cire sur carton m’éveille chaque matin, j’entends le bruit de l’eau, celui des artistes qui s’expriment. » dit-elle. Elle lui aura acheté au total seize toiles. Mais, autour du nom de Brauner, on entend ceux de Brancusi, Tzara, Cioran, puis Ionesco, André Breton, René Char, …nous plongeons en plein surréalisme, en toutes formes d’art. Un certain Henri Laurens est aussi très présent, tout comme ses amis, Braque, Picasso, Léger, un cubiste discret, un dessinateur, sculpteur, tailleur de pierre chez qui, à quinze ans, Anne Gruner apprit le dessin. Elle le collectionna très jeune et toute sa vie.
« Avec l’âge, l’art et la vie ne font qu’un. » Georges Braque. On aura à l’esprit qu’Anne Schlumberger ne concevait l’art que dans le partage. Elle a rêvé un paysage grandiose avec un lieu apte à accueillir un florilège d’œuvres d’art mises en situation, en extérieur comme à l’intérieur, un lieu ouvert à la culture, à la réflexion, à la création, où se croisent, chercheurs, mathématiciens, musiciens, sculpteurs, peintres, un lieu assez inouï qui évidemment ne peut se visiter d’où, par la suite, cette idée d’une série d’expositions du fonds artistique pour retrouver cet esprit essentiel du partage. Et ce fut le domaine dit Les Treilles, cet immense domaine de plusieurs centaines d’hectares voué à la Nature, la Nature qui est, nous dit Anne Gruner, sa religion, la seule. On est ici à la croisée des chemins de l’art et du rêve, d’où le titre donné : De l’autre côté du rêve. Grande lectrice, le lieu est aussi comme une sorte d’immense bibliothèque. Un très beau panoramique nous le rappellera.
« Takis, gai laboureur des champs magnétiques et indicateur des chemins de fer doux. » Marcel Duchamp. L’exposition est rendue possible grâce à Maryvonne de Saint-Pulgent, Présidente de la Fondation des Treilles disant d’Anne Gruner : « C’est une des grandes originalités de ce mécène d’avoir réuni à un point rarement atteint autant de passion pour la création artistique sous toutes ses formes ainsi qu’une curiosité intellectuelle intense, et de les avoir fait vibrer ensemble dans ce qu’elle appelait elle-même “une foi d’amour“. »
Nous nous permettrons de souligner, mais cela devient une habitude, la qualité de ce tout que constitue cette exposition, du Commissariat scientifique et du magnifique catalogue, photos très fidèles et textes, travail assuré par Danièle Giraudy, de la Muséographie fort réussie avec Constance Guisset, et des panoramiques surprenants de Dominique Laugé. Un résultat enthousiasmant.
Et bien sûr, comme tout le musée vous est ouvert, vous ne manquerez pas d’aller jeter un œil sur le nouveau Saint Jérôme de Simone Cantarini, élève de Guido Reni, dernier achat de la Fondation, et revoir tel ou tel chef-d’œuvre. Avec les éléments de l’expo, les contrastes en sont d’autant plus saisissants et donc intéressants.
Fondation Bemberg