Entretien avec Anne Boyer, Vice-Présidente en charge de la culture
« Faire vivre la culture sous toutes ses formes et dans toute sa diversité reste une de nos priorités », soulignait récemment Georges Meric, Président du Conseil départemental de la Haute-Garonne.
En Occitanie, environ 7% des emplois soit 70 000 personnes dont 15000 intermittents dépendent du secteur culturel. Alors que les lieux culturels viennent de rouvrir après 55 jours de confinement, des festivals annulés et des structures à l’arrêt, la situation est sans précédent.
Anne Boyer, Vice-présidente du Conseil départemental de la Haute-Garonne en charge de la Culture revient sur les grands projets menés par la collectivité.
Quelles sont les conditions de réouverture des lieux culturels depuis le 2 juin, pour les acteurs concernés – certains festivals seront-ils maintenus ?
Anne Boyer : Le public peut enfin revenir en toute sécurité sur l’ensemble des sites culturels départementaux depuis le 2 juin, en conformité avec les préconisations sanitaires nationales et nous en sommes très heureux. Ces réouvertures ont lieu en plusieurs phases : depuis le 30 mai pour les Olivétains à Saint-Bertrand-de-Comminges, depuis le 2 juin pour le Musée départemental de la Résistance et de la Déportation à Toulouse, la Médiathèque départemental de Labège et le musée archéologique départemental de Saint-Bertrand-de-Comminges, le 3 juin pour les Archives départementales à Toulouse et le Musée de l’Aurignacien à Aurignac dans le Comminges, le 16 juin pour La galerie 3.1 à Toulouse et enfin le château de Laréole sera rouvert dès le 3 juillet.
Nous avons maintenu toutes nos expositions et prolongé certaines pour laisser le temps au public de les apprécier plus longtemps, soit une dizaine au total. Car nous avons cet été de très belles propositions autour notamment de la création photographique féminine : 2 expositions simultanées à Toulouse consacrées à la photoreporter avant-gardiste toulousaine Germaine Chaumel, avec 2 regards différents sur son travail : le photoreportage en temps de guerre (1938-44) au Musée départemental de la Résistance et de la Déportation, avec une prolongation jusqu’à fin décembre 2020 et son art du portrait à La galerie 3.1, à partir du 16 juin et jusqu’à la fin de l’été, avec au total près de 200 photos inédites. C’est exceptionnel.
Deux femmes sont également à l’honneur dans le cadre de notre partenariat avec le festival MAP Toulouse, dont nous accueillons les deux seules expositions « physiques » de cette édition 2020 réalisée en version numérique : le magnifique hommage à la photoreporter Camille Lepage, assassinée en Centrafrique en 2014 au château de Laréole et le travail de la jeune photographe montpelliéraine Myriem Karim, lauréate du Grand prix Appel à auteurs 2020, financé par le Conseil départemental, aux Olivétains, toutes deux jusqu’à fin septembre. Sans oublier l’exposition des œuvres de la collection de Lucien Vieillard à voir dans la salle d’exposition permanente qui lui est dédiée au château de Laréole dès le 3 juillet, après un détour par les Olivétains en mai et juin.
Il est important et essentiel que nos concitoyens retrouvent une activité culturelle pleinement épanouissante surtout après avoir été confiné plus de 2 mois. Le numérique est un lien – que nous avons d’ailleurs utilisé grâce à une offre culturelle numérique gratuite sur le site de la Médiathèque départementale et qui a réuni plus de 21 000 personnes connectées depuis le 3 avril dernier – mais le digital ne peut pas remplacer le lien direct et la rencontre physique avec l’art, le patrimoine, le partage de nos émotions…
Du côté des festivals, la situation est plus complexe et nous avons malheureusement été contraints d’annuler le festival 31 Notes d’été 2020. Mais à situation inédite, dispositif inédit : nous proposerons une série de 8 concerts en ligne, réunissant 20 artistes initialement programmés sur le l’édition 2020, qui se produiront sur la scène du Pavillon République, situé dans la cour de l’Hôtel du Département. Les enregistrements sont actuellement en cours et je peux vous assurer que les artistes sont ravis de pouvoir pratiquer à nouveau leur art dans des conditions optimales, même si le public leur manque terriblement. C’est malgré tout une alternative heureuse pour les artistes et le public. Rendez-vous donc dès le 8 juillet à partir de 19h30 sur la chaîne YouTube du Conseil départemental. Ces concerts, au rythme de 2 à 3 par soirées, seront précédés d’un petit reportage sur des lieux touristiques, fleurons et découvertes de notre département, afin de préserver l’ADN du festival qui allie chaque année culture, tourisme et découverte du patrimoine.
Avant cela, le 21 juin, à l’occasion de la Fête de la Musique, le Conseil départemental proposera aussi une soirée musicale en ligne avec un concert du chanteur toulousain, d’origine argentine Fabian Ordoñez, père des rappeurs toulousains Bigflo et Oli, filmé depuis le Pavillon République et retransmis en direct sur la chaîne YouTube du Département à partir de 19h30.
Quant au festival Jazz sur son 31, il aura bien lieu cet automne. Les dates et la programmation seront annoncées très prochainement.
Quel sera l’accompagnement à venir pour les structures soutenues avant le confinement ?
Anne Boyer : Les collectivités locales, de manière responsable ont répondu à l’urgence notamment par l’engagement de fonds de soutien exceptionnel. Elles ont ainsi réaffirmé le sens de la culture dans un projet de société global, et la vitalité sociale et économique qu’elle représente pour nos territoires. Le Conseil départemental a été une des toutes premières collectivités françaises à mettre en place le 26 mars un fonds d’urgence de soutien au monde associatif et au secteur culturel en particulier d’un montant de 3 M€. À ce jour, 128 associations culturelles en ont bénéficié, pour un montant total de 470 000 €. Au total, et en fonction des derniers dossiers reçus, le fonds représentera une aide exceptionnelle d’un montant total de 3,5 à 4 M€. Ces aides exceptionnelles, immédiates, directes et sans contreparties s’ajoutent aux aides habituelles du Département au monde associatif, qui alloue déjà chaque année, hors fonds exceptionnel, 23 M€ d’aides à près de 3 000 associations haut-garonnaises, dans tous les domaines. Cet effort financier exceptionnel de près de 4 M€ sera pérennisé en 2021.
L’accès à la culture et le soutien aux acteurs est une de nos priorités depuis 2015, et nous restons mobilisés aujourd’hui plus que jamais pour accompagner la culture en Haute-Garonne à la sortie de cette crise. D’ailleurs, nous n’avons pas attendu l’État pour réagir à la situation dramatique des intermittents et techniciens du spectacle après la mise à l’arrêt de leurs activités. Entre le 13 mars et le 28 août, nous avons dû annuler 161 manifestations culturelles (Scène de printemps, résidences à l’Espace Roguet, Semaine des cultures urbaines, Fête de la musique, festival 31 Notes d’été…) et nous sommes immédiatement engagés à dédommager à 100 % les artistes programmés, soit 60 artistes, groupes ou compagnies, 368 intermittents et la prise en charge financière de 753 jours d’intermittence, pour un budget total de 245 000 €.
J’ai à ce sujet personnellement alerté le ministre de la Culture, par courrier le 27 avril dernier, sur la situation catastrophique des intermittents, demandant « le renouvellement automatique des droits à l’assurance chômage des artistes, des techniciens jusqu’au 14 mars 2021 et la mise en place d’une aide dédiée pour les nouveaux inscrits et les plus fragiles ». Je me réjouis de cette « année blanche » décidée par le gouvernement mais reste déçue par le manque de mesures concrètes et précises du « plan culture » présenté par le président de la République le 6 mai dernier.
Cette crise nous a montré que les plus fragiles, les plus isolés le sont encore davantage dans ce contexte. L’isolement, la rupture des liens du quotidien avec les voisins, amis, collègues, familles ont été difficiles à vivre, et sont propices au repli sur soi. Nous devons permettre à chacun de retrouver une vie culturelle, et donc sociale, épanouissante, grâce à une politique culturelle engagée.
Suite à l’annonce du Président de la République du déploiement de la culture dans les écoles, quel bilan dressez-vous des 7 parcours artistiques et culturels proposés par le Conseil départemental dans les collèges depuis une dizaine d’années ?
Anne Boyer : L’Éducation artistique et culturelle est un axe fort de la politique culturelle du Département. Il s’agit à travers ses dispositifs de proposer à des collégiens de bénéficier gratuitement tout au long de l’année des cours d’éducation artistique dans différents domaines (théâtre, musique, danse…) par des artistes professionnels, et de spectacles également gratuits pour mieux appréhender le monde du spectacle. Le bilan est jusqu’ici très positif, puisque ces parcours ont touché en 2019 près de 20 000 collégiens, soit près de 400 classes dans tout le département. Nous avons également fêté en 2019 les 10 ans du parcours « Jazz au collège » avec un concert de 340 élèves et de leurs enseignants au Phare à Tournefeuille. Pour l’année scolaire 2020-2021, nous rajouterons 2 parcours d’éducation artistique et en proposerons donc 9 au lieu de 7 : le parcours « Collège au cinéma », pour une éducation à l’image et le concours départemental d’éloquence au collège.
Toutes ces propositions nous paraissent fondamentales pour favoriser l’égal accès de tous les élèves à la culture, développer leur sensibilité artistique, en lien avec les programmes scolaires, favoriser leur épanouissement personnel et offrir des rencontres privilégiées avec des artistes. C’est ainsi que nous souhaitons contribuer à la formation du citoyen de demain, par l’éveil à la sensibilité artistique et le développement de l’esprit critique des jeunes, dans les valeurs de respect, de solidarité et de mieux vivre-ensemble.
Depuis la crise sanitaire, comment se traduit la coordination avec les communes et la Région ?
Anne Boyer : Le Département de la Haute-Garonne est un acteur central de la politique culturelle dans les territoires, notamment les plus éloignés des centres urbains. Nous soutenons par nos actions et nos moyens des projets de développement culturel indispensables à l’épanouissement et à la vitalité des territoires hors métropole et dans la métropole, nous accompagnons chaque année 500 acteurs culturels par des investissements, des partenariats ou l’organisation d’événements, en lien également avec les autres collectivités. Dans cette période d’après crise, les communes et les territoires vont avoir besoin de nous et nous serons à leurs côtés.
Nous sommes également un partenaire fort du projet Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale), aux côtés de Toulouse Métropole. Ce très beau projet de démocratisation de la musique classique, coordonné au plan national par la Cité de la musique-Philharmonie de Paris, permet à des enfants de 7 à 12 ans éloignés de la pratique musicale pour des raisons sociales, économiques ou géographiques, de suivre un apprentissage gratuit de la musique et d’intégrer un orchestre d’enfants. Notre participation a notamment consisté à inclure dans ce programme des communes hors métropole, comme Muret et une commune du Lauragais. Les enfants suivent plusieurs ateliers dans l’année et se retrouvent lors d’un concert annuel de restitution à la Halle aux grains. Ce dernier, qui devait avoir lieu en juin, sera certainement reporté à l’automne.
Photo ci-dessus : Remise des instruments aux 107 enfants de l’orchestre Demos Toulouse Métropole-Département de la Haute-Garonne le 7 octobre 2019 à la Halle aux Grains
Je rappelle également que le Département porte deux schémas sur ses domaines de compétence : le Schéma départemental des enseignements artistiques, avec le soutien de 60 écoles de musique dans différentes communes du département pour près d’1 M€ par an, le Schéma de lecture publique, qui intègre et alimente 160 bibliothèques ou médiathèques du réseau de la Médiathèque départementale, avec près de 400 000 documents prêtés chaque année.
Enfin, les habitants jouent un rôle très important dans l’élaboration de nos politiques publiques, nous travaillons très étroitement avec eux depuis 2018, lors de la grande concertation citoyenne sur la culture en vue de l’élaboration du schéma politique départemental 2018-2022. Un dispositif unique en France qui a réuni plus 4000 Haut-Garonnais au cours de 2 années de concertation sur tout le territoire. Et plus récemment, en janvier 2020, la mise en place d’un jury citoyen chargé de la création et de la mise en place du label « Comme à la maison » visant à distinguer et accompagner financièrement des lieux de culture favorisant un rapprochement entre les espaces culturels et les citoyens dans le département. 5 lieux seront labellisés en 2020.
Pouvez-vous nous donner votre sentiment sur l’avenir culturel de notre département ?
Anne Boyer : Le monde de la culture a été durement touché partout en France. En Haute-Garonne, comme ailleurs, la plupart des manifestations, spectacles et festivals ont été annulés et les artistes et acteurs cherchent des solutions pour faire culture autrement, avec des moyens différents. Au cours de cette crise, les collectivités ont été en première ligne pour aider en urgence et durablement ceux qui souffraient de cette mise à l’arrêt. Le Département de la Haute-Garonne, aujourd’hui comme auparavant, a montré qu’il était l’échelon de la proximité culturelle. Sa politique culturelle n’est pas une variable d’ajustement, elle participe activement à l’émancipation de tous nos concitoyens. Dans les années à venir, nous avons défini trois enjeux majeurs pour mieux « faire culture ensemble » : la culture et le lien social, la culture et la jeunesse, la culture et la coopération culturelle, aussi bien avec les acteurs culturels qu’avec les territoires. L’enjeu se trouve dans ces transversalités, dans une stratégie en cohérence avec nos missions et plus que jamais ouverte à de nouvelles expérimentations.
Propos recueillis par Maïa de Martrin
Toute la programmation culturelle du Conseil départemental sur : https://cultures.haute-garonne.fr/