La production artistique contemporaine dans le domaine des arts visuels est foisonnante et diverse. Si la Covid-19 a marqué un coup d’arrêt dans les agendas des centres d’art et galeries, de quelle façon ce secteur essentiel peut-il rebondir ?
Jean-Paul Barrès – Galerie Jean-Paul Barrès, Marie Bechetoille, directrice par intérim du BBB et Alix Serventi de la galerie Serventi racontent. Ces trois acteurs de la vie artistique toulousaine, aux profils différents, dressent leur état des lieux post-confinement, en regardant vers cet après qui commence dès maintenant, porteur de questions et d’espoirs de renouveau.
Louise Siffert, « Gut Feelings. Tellement vitales et si vivantes »,BBB centre d’art, 2020. Conception graphique : Sarah Vadé
BBB– Marie Bechetoille est la directrice par intérim du BBB à Toulouse. Ce centre d’art est présent depuis 1994, il montre et accompagne le travail des artistes plasticiens.
Avez-vous fixé une date de réouverture ? Qu’est-ce que cette crise change et va changer dans la façon de travailler de votre équipe ?
Le retour au bureau de l’équipe va être progressif, on est en train de voir les mesures de sécurité, d’hygiène. On met tout en place pour que ce soit un retour qui soit dans un premier temps en présentiel et en télé-travail. Le BBB centre d’art est assez grand pour que ce soit ok en terme de normes et de respect des distances. Néanmoins il faut qu’on achète du matériel pour que les salariés puissent nettoyer leur plan de travail, mettre des masques, se laver les mains, etc.
En ce qui concerne la réouverture au public, l’idée serait de rouvrir en septembre avec l’exposition personnelle de Louise Siffert qui devait avoir lieu fin mars. On est encore en discussion avec l’artiste, notamment pour voir dans quelles conditions la réouverture pourra se faire, en dialogue avec Mathieu Marmiesse qui est chargé de production et régisseur au BBB. S’il y a des modalités sur les rassemblements, il faudra qu’on réfléchisse à la durée, au nombre de personnes dans l’espace, etc. En tout cas pas de réouverture prévue avant septembre. Toutefois, certains centres de loisirs sont susceptibles de rouvrir, alors on est en train d’en discuter avec la coordinatrice des publics au BBB, Lucie Delepierre et son équipe, Anna Buros, médiatrice et Charlotte Meunier, en service civique. On se demande si ponctuellement il sera possible d’accueillir des enfants ou non. C’est évidemment une envie mais on ne veut surtout pas faire prendre des risques aux publics qui viennent.
Le BBB est un centre d’art mais également une plateforme ressource donc il y a aussi tout un accompagnement et des formations professionnelles pour les artistes. Ce volet là est maintenu en visioconférence, c’est énormément de travail pour Pauline Grasset et pour Stéphania Meazza qui s’occupent de l’accompagnement professionnel et des formations proposées par le BBB avec Clémentine Picoulet, volontaire en service civique. Pendant qu’on parle, elles sont en rendez-vous, par téléphone ou visio, pour aider les artistes sur des points juridiques, administratifs, ainsi que sur le suivi artistique de façon générale ou la façon dont on contacte des institutions en ce moment. Tout ce travail a dû être repensé pour s’adapter au contexte. Via la plateforme ressource, on propose aussi pour les étudiants en partenariat avec l’isdaT, l’institut supérieur des arts de Toulouse un programme intitulé Fin d’études début de carrière pour leur parler, entre autres, de la question des droits d’auteur, de la présentation d’un portfolio, etc. Ce volet là sera aussi proposé en visio et demande donc à notre équipe chargée des formations de repenser le contenu pour qu’il s’adapte à ce format.
Quels sont vos projets / programmes ou envies pour les prochains mois ?
Pour le moment on est au travail pour préparer la prochaine exposition de Louise Siffert et l’année à venir.
Comment soutenir concrètement les artistes plasticiens et les lieux d’art ?
Au niveau des institutions il est nécessaire de continuer à payer les artistes, même quand les évènements sont annulés. Il faut maintenir une rémunération autant que possible, en passant parfois par des aides. Quand c’est plus compliqué, il faut aussi penser à d’autres façons de les rémunérer, en imaginant d’autres formats, sur d’autres interventions. Il existe très peu d’aides pour les artistes, donc il faut qu’ils puissent continuer à travailler malgré tout. Au BBB, on a rémunéré les artistes quand les actions ont été annulées et pour la plateforme ressource, des workshops prévus initialement en présentiel se déroulent en visio, et de cette façon le BBB peut continuer à travailler avec les intervenants.
En ce qui concerne les lieux d’art, on se rend compte qu’il y a un vrai problème de multiplicité et d’invisibilité des structures qui représentent les artistes, et pour le moment il n’y a aucune voie qui se dégage. Les arts visuels ont été à peine mentionnés dans la Journée de la culture sur France Culture ou France Inter par exemple. Et quand je parlais de multiplicité j’entends par là qu’il y a pleins de familles dans les arts visuels qui forment difficilement un bloc, il est donc plus complexe d’ en raconter les difficultés.
Le cinéma et le spectacle vivant arrivent à se faire un peu entendre par le gouvernement mais la culture syndicale était jusqu’à présent quasi inexistante dans le champs des arts visuels et elle est en train d’émerger en lien notamment avec les mobilisations contre la loi retraite. Il y a toutefois un problème de visibilité et de représentation des problématiques vécues par les artistes, qui sont dans de vraies difficultés financières. Même si un mouvement comme Art en grève est très actif ou des collectifs comme le réseau La Buse agit finalement comme un lanceur d’alertes et fait un travail important et nécessaire. J’ai aussi vu récemment apparaître le STAA ( Syndicat des Travailleurs Artistes-Auteurs), mais je ne connais pas encore suffisamment pour en parler.
Avez-vous découvert durant le confinement, des travaux d’artistes ou des initiatives qui vous ont particulièrement intéressées et que vous recommanderiez ?
Cette période a surtout été pour moi un temps de travail avec l’équipe du centre d’art. Je me suis posée des questions en tant que directrice par intérim du BBB, parce qu’on parle des valeurs dans le monde de l’art, c’est aussi important qu’au sein de l’institution elles soient présentes. Par exemple on a choisi avec Eva Ferrés Ramos, chargée de communication et de la presse, de ne pas faire trop surcharger les réseaux par de nouveaux posts, mais plutôt de proposer des recommandations de choses qu’on pouvait retrouver en ligne, mettre en avant des artistes qu’on aime bien ou encore partager des podcasts, des films, des sites, des ressources.
Certaines institutions partagent leurs archives sur les réseaux sociaux et nous le faisons actuellement au BBB. J’ai pu voir ou revoir en images grâce à cela de projets qui maintenant plusieurs années comme ceux de Lieu commun , du CRAC Occitanie ou du Printemps de septembre et des supers programmations de vidéos sur les sites du CRAC Alsace de la galerie Marcelle Alix ou du Wiels. On est tellement pris dans de l’évènementiel que revenir sur des projets passés permet de voir le travail et l’accompagnement des artistes et cela permet de montrer combien les lieux d’art sont importants car ils permettent à des artistes de développer leur pratique, d’être accompagnés grâce à la production de projets inédits.
BBB CENTRE D’ART
96 rue Michel Ange • Toulouse
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Galerie Barrès – Jean Paul Barrès est un passionné d’art de longue date, c’est tout naturellement qu’il a ouvert sa galerie à Toulouse il y a 3 ans.
Avez-vous fixé une date de réouverture ? Qu’est-ce que cette crise change et va changer dans la façon de travailler de votre équipe ?
J’ai rouvert le 13 mai et la crise a mis un coup d’arrêt aux expositions, et puisque je ne pouvais plus recevoir de monde à la galerie, elle a été purement et simplement fermée. Les changements sont consécutifs à l’impossibilité d’organiser les expositions qui étaient prévues en avril et en mai, en juin et pour l’été. J’avais dans mon programme un artiste italien, de Milan, dont je n’ai jamais pu allé voir les œuvres, donc l’exposition est annulée et il en va de même pour l’exposition prévue à la rentrée dans le cadre de l’édition 2020 du Printemps de Septembre. Ce chamboulement se répercute sur toute l’année finalement.
Quels sont vos projets / programmes ou envies pour les prochains mois ?
Cette situation fait naître l’obligation de trouver des alternatives. Il faut donc essayer d’avancer la date des expositions prévues pour l’année prochaine, qui n’étaient pas totalement mûres mais que je vais quand même pouvoir proposer dès maintenant. Elle ne sera pas totalement comme elle aurait du être puisque j’ai une artiste qui est à Berlin et je ne peux pas récupérer les œuvres, donc l’exposition sera en partie celle que j’aurais dû faire l’année prochaine. On s’adapte en fonction de ce que l’on a de proche puisqu’on ne peut pas aller à l’étranger.
On espère que le public aura envie de voir de l’art contemporain en réel et moins en virtuel. La difficulté vient aussi du fait que la galerie est un espace restreint donc il faut pouvoir accueillir le public en toute sécurité. Les moments d’échanges avec les artistes sont très importants donc il faut penser à la façon de les mettre en place.
Comment soutenir concrètement les artistes plasticiens et les lieux d’art ?
Pour les soutenir, il faut que les institutions puissent jouer davantage leur rôle mais je ne sais pas s’ils auront les finances nécessaires à ça. S’intéresser davantage à l’art contemporain français, dans toute sa diversité, est déjà une façon de soutenir.
Ce qui est le principal sujet c’est l’attrait à l’art contemporain. Comme dans beaucoup de périodes, il faut qu’il y ai des collectionneurs, des gens qui soient mécènes, que des entreprises, même si je sais que pour beaucoup elles sont touchées, jouent ce rôle et apportent ce soutien aussi aux lieux d’art pour qu’ils puissent exister, que le artistes puissent travailler, montrer et vendre leur production.
Avez-vous découvert durant le confinement, des travaux d’artistes ou des initiatives qui vous ont particulièrement intéressées et que vous recommanderiez ?
Non, de mon côté j’ai essayé de dynamiser mes réseaux sociaux en remettant l’art en général au centre de la vie que ce soit de la peinture, de la musique ou de la littérature. Voir et découvrir des artistes ça se fait dans les ateliers. Mon souhait c’était qu’on puisse de nouveau sortir, aller à la rencontre des gens.
Ce que je souhaite c’est qu’il y ai de l’intérêt. Les gens ont été confinés, ils se sont retrouvés face à eux-mêmes, à leurs mystères et j’aimerais qu’ils voient en face d’eux ou à côté d’eux, des œuvres d’art qui les interrogent et leur permettent de faire tout un cheminement intellectuel à travers des œuvres d’art, des textes, de la poésie.
GALERIE JEAN-PAUL BARRÈS • CULTURE 31
1 place Saintes-Scarbes • Toulouse
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Galerie Serventi – La galerie Serventi est une histoire de famille, entre art du Xxème siècle et antiquités. Aujourd’hui à sa tête, Alix Serventi, a pu maintenir une autre forme d’activité durant le confinement.
Qu’est-ce que cette crise change et va changer dans la façon de travailler de votre équipe ?
On a travaillé tous les quatre chez nous durant ces deux mois puisque la galerie était fermée. Nous avons travaillé depuis nos ordinateurs sur les différents sites internet que nous avons. On a pu fournir pas mal de pièces durant ces mois là et ainsi maintenir une activité. Nous avons deux activités, celle du magasin et celle d’Internet dans laquelle nous arrivons à avoir une clientèle mondiale.
Quels sont vos projets / programmes ou envies pour les prochains mois ?
Nous allons continuer à travailler depuis le web pour vendre des pièces. On arrive à y vendre des tableaux connus dans le monde entier ! Donc c’est une voie que nous allons continuer de suivre sans pour autant négliger l’activité à la galerie car elle attire forcément une clientèle locale.
Comment soutenir concrètement les artistes et les lieux d’art ?
Nous sommes marchands de tableaux de peintres du XX ème siècle, qui sont donc décédés. Il est régulièrement organisé à la galerie, des expositions de peintres toulousains contemporains. Malheureusement, celle prévue au mois de juin est suspendue pour le moment, nous pensons à la proposer en septembre. Donc nous maintenons ce volet là de notre activité.
Avez-vous découvert durant le confinement, des travaux d’artistes ou des initiatives qui vous ont particulièrement intéressées et que vous recommanderiez ?
Pas vraiment non, parce que nous avons continué de travailler chacun chez nous. Il était important de maintenir une activité via les sites pour continuer de vendre, pour les salariés, pour s’en sortir.
On a pas su, pas pu, anticiper cette crise. La galerie n’a rien acheté pendant ces deux mois puisqu’on a vu personne mais aussi pour maintenir la trésorerie. Les choses repartirons peut-être davantage à la rentrée, pour le moment on fait profil bas en limitant les achats et en vendant autant que possible sur nos sites marchands.
Je présente les choses de façon assez positive, parce qu’on a essayé de trouver des moyens de travailler sur le moment. Dans les prochains mois je ne sais pas ce que ça va donner, je ne peux pas affirmer que ça va aller pour le marché de l’art. Je parle pour le moment de ma situation à l’instant T, de la façon dont nous nous sommes débrouillés durant ces deux derniers mois.
GALERIE SERVENTI
7 rue d’Astorg • Toulouse
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