AMORE AMARO | nouvel album (2020)
On ne compte plus depuis mars les nouveaux projets musicaux suspendus en plein envol. L’attente est ce que tout le monde exprime en cette période, frustrante pour les uns, critique pour ceux qui risquent de dépérir faute de pouvoir maintenir le flux tendu des conditions de leur viabilité. De créations en rencontres publiques, la plupart des artistes de la scène musicale vivent littéralement de cela (à la différence des mega-stars idolâtrées qui nourrissent aussi leur ego). Maria Mazzotta est de cette trempe d’artistes, vulnérables certes, mais dont la dynamique demeure engagée – et celle de ce nouvel album disponible saura animer nos quarantaines, en attendant les live ressourçants.
Maria Mazzotta, déjà chroniquée ici, est l’une des personnalités musicales les plus emblématiques du sud de l’Italie. Auparavant avec le groupe Canzoniere Grecanico Salentino, elle est devenue l’une des voix les plus appréciées de la scène musicale européenne. Elle est de ces chanteuses absolues dont le tempérament transforme toute interprétation, même studio, en live – en vivant les émotions qu’elle exprime. Ces artistes sont captivant(e)s, autant Maria avec son jeu explosif, dramatico, ou encore lyrique, que – à l’opposé par exemple – la trop rare Zsuzsanna Varkonyi dans sa palette toute de douceur mélancolique.
Amore Amaro (« Amour Amer ») est une réflexion intense et passionnée, d’un point de vue féminin, sur les différents visages de l’amour, traitant de l’amour passionnel, tantôt tendre ou désespéré, et des personnalités destructrices que l’on peut rencontrer.
Ces dix chansons traversent toutes les émotions que ce sentiment peut susciter, le chant servant de véhicule à la catharsis, de consolation, et de remède. La chanson-titre Amore Amaro, composition originale de Maria en langue salentine, est par exemple jouée dans le style pizzica, très populaire dans les Pouilles et le Salento, qui est aussi une danse pour guérir, lors des tarentelles, une véritable musique de transe. D’autres chansons de l’album offrent des exutoires libérateurs bienvenus, énergisants comme les danses traditionnelles qu’elles relisent (Rosa canta e cunta, Vorrei volare/Ballata della presa di coscienza, ..), ou les covers puissantes de titres qui ont ouvert la voie à la grande chanson italienne comme Lu pisci Spada de Domenico Modugno, Tu non mi piaci più (« Je ne t’aime plus ») de Gabriella Ferri, sans oublier ce monument de la chanson sarde : Non potho reposare d’Andrea Parodi, qui nous avait fauché lors du dernier Festival Rio Loco à Toulouse en juin 2019.
L’internet aujourd’hui a permis l’hyper-circulation des œuvres et le flux des réseaux sociaux conduit, si on n’y prend garde, à ne plus savoir où donner de la tête, à fonctionner comme une mémoire-tampon qui ne conserverait que les derniers coups de cœur. En ces temps favorables aux pas-de-côté et à la réflexion, je plaide au contraire pour une démarche plus élective, à taille humaine : celle de bien s’entourer et de se constituer une bibliothèque personnelle, choisie, familière. Par le fait, en achetant les albums ou les chansons (les œuvres en général) de ces artisans de la création, on donne un signal, on engage à continuer et on en donne les moyens.
Savez-vous par exemple que le visionnage d’une chanson sur Youtube ne rapporte que quelques cents à l’unité, mais qu’il faut que la chaîne de l’artiste compte au moins 1000 abonnés pour commencer à y avoir droit ?
Voilà. Un peu de réflexion et de pratiques gagnant/gagnant, pour continuer à se sentir vivants.
Pierre David
Un article du blog La Maison Jaune