Sous-titré « De la Perse à la Méditerranée », le concert de vendredi dernier au COMDT de Toulouse réunissait Françoise Atlan au chant et Shadi Fathi au setâr et au tar (cordes), au daf (percussion), et au chant. Un récital d’une intelligence musicale rare qui tient autant à la réussite d’un pari sur la richesse de l’altérité qu’à la qualité de la rencontre entre les deux artistes – un double réconfort donc, pour l’auditoire complet.
Al Andalus désigne certes un territoire ibérique jadis sous administration arabe, mais bien plus la civilisation qui abrita dans l’Europe médiévale un foyer de haute culture cosmopolite. Les trois traditions monothéistes y coexistaient pacifiquement et ont par le fait favorisé une alchimie rare entre les arts, laquelle a nourri entre autres un répertoire unique de chants sacrés et profanes: chants des femmes troubadours et séfarades, poèmes soufis, et jusqu’à inspirer les chants extatiques de Hildegarde Von Bingen.
Avec cette proposition de programme, le Centre Occitan des Musiques et Danses Traditionnelles (COMDT) étirait son périmètre de prospection aux confins orientaux de la Méditerranée pour mettre en valeur un dialogue brillant entre les chants judéo-arabes et la tradition persane millénaire. Le petit miracle de ce concert relève avant tout d’une intuition subtile: celle d’un accordage sur les pulsions intimes propres à chaque tradition musicale en présence. Après une entrée a capella sur une mélodie venue d’Arménie (majestueuse, Françoise Atlan remonte l’allée centrale vers la scène), plusieurs chants ont ainsi résonné d’une alchimie naturelle et du bruissement de langues aussi variées que le judéo-espagnol, le persan, l’arabo-andalous, l’hébreu et l’arabe.
Françoise Atlan, de par sa tradition séfarade nativement métissée, est visiblement habitée par l’identité judéo-arabe dont elle porte l’expression lyrique dans toutes ses déclinaisons.
Shadi Fathi est infusée d’une tradition musicale et poétique persanes qui – à l’école du grand maître Darius Talaï à Téhéran – l’a faite virtuose. Mais cette artiste qui respire la poésie (autant Hâfez de Shiraz que Juarroz) bouillonne d’une rare vitalité et semble dotée d’une interface extraordinairement intuitive pour confronter avec bonheur sa tradition avec les esthétiques européennes et méditerranéennes.
A l’issue du concert, elle confie que l’évidence de ce répertoire en duo a été acquise dès lors que l’une et l’autre ont réalisé, chacune chantant ou jouant dans sa plus intime tradition, qu’on n’entendait qu’un seul chant, harmonieux – et ce jusque dans les improvisations. Une brillante illustration en a été donnée sur un poème du grand Mowlana Rumi, chanté en persan par Shadi, alternant avec les vers d’une chanson d’amour improvisés par Françoise en judéo-espagnol . Un bijou précieux, serti dans une soirée inoubliable. Voyez plutôt:
Le programme de ce récital était logiquement accentué sur sa composante lyrique, en préfiguration du stage Poésie lyrique courtoise des deux côtés de la Méditerranée organisé le même week-end par le COMDT avec Françoise Atlan et Brice Duisit.
Merci donc au COMDT d’avoir ainsi favorisé la venue à Toulouse de Shadi Fathi, inexplicablement trop rare dans le Sud-Ouest…
Un article du blog La Maison Jaune