Premier programme de la saison du Ballet du Capitole, «Joyaux français» met à l’affiche deux pièces emblématiques de Serge Lifar au Théâtre du Capitole, sur des musiques de Lalo et Sauguet interprétées par l’Orchestre national du Capitole.
Né en 1905, à Kiev, Serge Lifar a bouleversé le monde de la danse et s’est imposé comme l’un des artistes majeurs du XXe siècle. Loué par les uns pour sa beauté, son génie et son talent, il était accusé par d’autres d’être prétentieux, impétueux et vendu. Il a 17 ans quand il quitte l’Ukraine en guerre pour rejoindre la troupe des Ballets Russes, à Paris, comme simple danseur. Serge de Diaghilev le pousse à parfaire son style, son physique et son éducation. Lorsqu’il est recruté à l’Opéra de Paris, son ascension est fulgurante : il devient chorégraphe et maître de ballet à seulement 25 ans.
Lorsqu’il accède à la direction du Ballet, «il n’y avait pas de troupe, pas de public et pas de tradition vivante digne de ce nom», selon Lifar lui-même. Il redore alors le blason du Ballet de l’Opéra de Paris, à une époque – le début des années 1930 – où il avait sombré dans une grande léthargie. Il réforme la compagnie, hausse le niveau technique, forme des interprètes, et crée un répertoire… Ses pièces comme « Icare », « Suite en Blanc » ou « les Mirages » connaissent alors un succès mondial. Le pouvoir d’attraction de Serge Lifar est à l’époque phénoménal, il fascine le public et se retrouve au carrefour de la création artistique, collaborant avec Pablo Picasso, Coco Chanel ou Jean Cocteau. Sa maîtrise technique et son inventivité révolutionnent le monde poussiéreux du ballet et lancent une nouvelle esthétique néoclassique.
Pour le programme présenté à Toulouse en hommage à Lifar, le Ballet du Capitole reprend « les Mirages » (photo), féérie chorégraphique entre rêves et réalités, et fait entrer à son répertoire « Suite en blanc », feu d’artifices de technique et de style. Monique Loudières et Charles Jude, grands interprètes du style Lifar et étoiles du Ballet de l’Opéra de Paris, sont chargés de remonter ces deux pièces au Théâtre du Capitole. Monique Loudières rappelle que «Serge Lifar a réussi à imprimer un style en déhanchant, en décalant et en exagérant les positions classiques. Nous lui devons donc d’avoir créé, comme l’ont fait George Balanchine, Jerome Robbins, Roland Petit et Maurice Béjart, une nouvelle danse “néo-classique”, sorte de transition entre la danse classique et la danse moderne. Au-delà de l’aspect esthétique, ce que j’apprécie plus particulièrement chez Lifar, ce sont ses ballets à thème, narratifs ou poétiques, souvent portés par une symbolique qui les rend intemporels et donc, toujours accessibles et convaincants aujourd’hui.»
Parmi les quelques 80 ballets imaginés par Lifar au cours des vingt-cinq années de son règne à l’Opéra, « Suite en blanc » a été créé par le Ballet de l’Opéra de Paris au Grand-Théâtre de Genève, en 1943. La musique est constituée d’extraits de « Namouna », partition composée en 1881 par Édouard Lalo pour Marius Petipa. Mais comme toujours chez Lifar, grand théoricien de la danse et du ballet, la musique ne prime jamais sur la chorégraphie, qu’elle doit au contraire servir. C’est en effet une «pièce de danse pure», ainsi qu’il le souhaitait ; une œuvre abstraite – c’est-à-dire non narrative – et emblématique qui fut l’une des pierres angulaires de ce fameux style néoclassique, qui modifia et inspira durablement le visage de la danse française. Les variations, pas de trois, pas de cinq, adages de « Suite en blanc » peuvent être considérés comme le manifeste de l’école française de danse, un style associant l’élégance, la pureté des lignes et la virtuosité.
Mais pour Charles Jude, «ce n’est pas parce que « Suite en blanc » est un déploiement de technicité et de virtuosité qu’il doit être absent d’expressivité. Serge Lifar voulait que chaque danseur exprime sa personnalité, montre ce qu’il éprouve à l’intérieur de lui-même. Lorsque Lifar chorégraphiait, que ce soit pour lui-même ou pour les autres, son souci était de mettre en valeur les interprètes afin de dégager les personnalités dansantes. « Suite en blanc » est un ballet redoutable, en raison des difficultés techniques certes mais aussi, car chaque danseur n’a qu’un seul passage en scène. Aucun droit à l’erreur n’est donc permis. « Suite en blanc », c’est la technique, la musicalité mais surtout le style, le style néoclassique inventé par Lifar, assorti d’une touche lifarienne dans le regard, l’accent, l’intention à donner… Il faut de l’élégance, de la classe et une désinvolture, difficile à acquérir. Personnellement, j’ai eu beaucoup de mal à entrer dans l’œuvre, la première fois que je l’ai abordée».
Créée en 1947, sur la musique d’Henri Sauguet et dans les décors et les costumes de Cassandre, « les Mirages » est l’un des plus beaux ballets du chorégraphe. Lifar est coauteur avec Cassandre du livret de cette féerie chorégraphique dominée par le thème de la solitude (la seule compagne de l’homme est son ombre). Le décor de cette pièce poétique d’une grande profondeur est celui du palais déserté de la Lune, où un Jeune Homme erre suivi de son ombre. Il y découvre la clé des songes avec laquelle il délivre les Rêves, mais la Chimère reste insaisissable. Un marchand oriental le trompe en lui vendant un coffre qui ne contient que son Ombre… À l’occasion de ces représentations au Théâtre du Capitole, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse est placé sous la direction de Philippe Béran.
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
Rencontre avec M. Loudières et C. Jude, samedi 19 octobre, 19h30, au Théâtre du Capitole (entrée libre)
Billetterie en Ligne du Théâtre du Capitole
Théâtre du Capitole
du 23 au 29 octobre 2019