Pop, Funk, Bad painting and More, tel est le titre de la rétrospective consacrée à l’artiste américain Peter Saul, né en 1934, au Musée Les Abattoirs à partir du 20 septembre jusqu’au 26 janvier 2020, exposition déclarée d’intérêt national 2019.
« La soi-disant “bonne peinture“ est comme une parade de penseurs intelligents. Je suis content d’être en dehors de ça. Traitez-moi de cinglé si vous voulez. » Peter Saul
C’est la première exposition dans un musée en France depuis 1999 couvrant la carrière d’un des tout derniers contemporains du Pop Art, depuis la fin des années 50 jusqu’à nos jours. Elle rassemble, avec une ampleur inégalée, un peu plus de 90 œuvres (peintures, arts graphiques, etc…), pour certaines inédites, ainsi qu’un ensemble d’archives. Un tout déconcertant aux ambiguïtés multiples. De Toulouse, l’expo rejoindra par la suite les rives de l’Hudson.
Peter Saul dézingue à tout va. Toutes les images emblématiques de l’American way of life en prennent “plein la gueule“. « Quand j’ai commencé à introduire une imagerie insensée ou stupide dans mes tableaux […], j’en riais d’excitation » confie-t-il. Il se félicitera de la plus grande combativité encore de ses dernières œuvres qu’il trouve beaucoup plus engagées que les premières. Il distille alors le venin de ses valeurs, souvent écrites directement dans la peinture – comme “respect“, “amour“, “éducation“, “justice“.
« Accepter de ne pas être choquant, c’est accepter d’être un meuble » dit-il encore.
Il semblerait que cette phrase a pu le guider tout au long de ses bientôt 65 ans de créations. Né en 1934 signifie alors, pour un jeune artiste américain, avoir 20 ans au moment où l’expressionnisme abstrait est au plus haut de son succès national et de son autorité internationale. Cette puissance, il faut soit l’admettre et se loger à l’enseigne de Willem De Kooning ou de Mark Rothko, soit la rejeter en la moquant et la parodiant, ce que font alors Robert Rauschenberg et Jasper Johns.
Le jeune artiste, bravache, va rompre avec ces valeurs l’estimant en pleine dérive décorative, bien plus intéressé par les liens unissant l’art et la vie même. Il va quitter les USA et venir en Europe pour forger son indépendance face aux courants artistiques de son pays natal. C’est en Europe, qu’étonnamment, à l’orée des années 60, l’artiste réalise ses premières œuvres avec des comics, des superhéros, des objets du quotidien de l’American way of life comme les Icebox, ces réfrigérateurs qui l’intriguent, etc…
Peter Saul va repartir d’Europe vers son pays natal en 1964 au moment où il aurait pu se faire récupérer à Paris par un mouvement de créateurs presque tous nés dans ces années trente, adeptes de la Figuration narrative. Sous le titre des Mythologies quotidiennes, un certain Gérald Gassiot-Talabot organise une rencontre entre des peintres tels que Télémaque, Errò, Schlosser, Adami, Klasen, Rancillac, Buri, ……au milieu desquels un Saul n’aurait pas choqué. Peut être un peu plus qu’un Jan Voss ou un Gérard Guyomard. Adieu l’expressionisme abstrait et l’abstraction lyrique et vive “l’objectivation“. Une phrase du discours colle au mieux à ce qui est déjà le travail de Peter Saul : « …le plus souvent l’humour, la malice, une lucidité qui ne se paie pas de mots, nuancent tout ce que cet acte d’accusation a d’insupportable et d’horrible, et lui donnent la nécessaire échelle de toute relativité humaine.… »
Plus radicalement, Peter Saul va faire de l’indécence sa stratégie artistique, et d’une férocité insolente, l’âme de sa peinture. Résultat ? Une œuvre inspirée d’un puissant mélange d’humour et d’indignation, qui n’a pas pour but d’être à la mode, une force irréductible pour lui, et qui le rend inimitable.
Dès ses toiles les plus précoces, période faussement Pop, Peter Saul ne va pas faire dans la demi-mesure : trivialité, brutalité, insultes, il faut choquer. Saul est d’une inventivité et d’une crudité constantes, je dirais même cruauté. Son pop art n’est pas tendre comme la majorité des œuvres en relevant alors. Saul n’est pas séduisant, qui est bien plus politique. D’aucuns ont même écrit qu’il invente la peinture bête et méchante faisant le lien avec le journal Hara-Kiri fondé en 1960, période où l’artiste était à Paris. Il n’empêche que sa peinture est brandie comme une véritable “arme politique“ dont l’âme n’est que férocité insolente.
Peter Saul rentre donc dans son pays en 1964 après ce périple européen de huit ans (Angleterre, Pays-Bas, Paris et Rome). Et à partir de ces années 60, il va produire une peinture que ses compatriotes ne voulaient surtout pas voir. Par exemple, ses nombreuses huiles présentant une victime de la chaise électrique (1964) ne pouvaient que difficilement trouver admirateurs. On ne peut s’étonner alors que Saul ne soit pas accueilli par des galeristes empressés et des collectionneurs fervents. Les collections publiques aussi, ont été longtemps réticentes, autant aux Etats-Unis qu’en France. Mais il continue toujours, imperturbable, tel en ce moment, tout ce qui tourne autour de Donald Trump qui, comme le dit l’expression courante, charge au maximum.
Peter Saul devant California Artist (1973) dans son atelier, Mill Valley, Californie, 1973, photographie. Collection de l’artiste; photo. Courtesy Michael Werner Gallery, New York and London
Peter Saul n’a pas dit qu’il n’aimait pas son pays : « Saul entretient une relation viscérale et véhémente avec sa terre natale, source des créatures licencieuses qui habitent ses tableaux, mettant les nerfs de la peinture à vif dans la distorsion des corps, l’exaspération des couleurs et l’étalage cru des sujets les plus scabreux – crime, guerre, sexe, misère. » Mais par contre, il n’aime pas et le mot est faible, certains faits qui le plongent dans une colère sans fin comme la guerre au Vietnam dont il est un conteur subversif, exécutant de véritables peintures de guerre.
Autre cheval de bataille, le racisme : En 1971-1972, il consacre une série à Angela Davis, militante communiste féministe et membre des Black Panthers alors en prison. Dans Bewtiful & Stwong , titre à la phonétique « nègre », il l’associe à une autre icône du Black Power, Cassius Clay (Muhammad Ali), dans une parodie de crucifixion où l’union de la « force » et de la « beauté » est porteuse d’un message de « vérité » ( troo pour true ). La chair affichant une féminité coupable mais la bouche claironnant, elle trouve ici le secours d’un Superman victorieux, porteur des espoirs de reconnaissance des Noirs américains.
Dans ces véritables peintures de combat, il s’en prend aussi aux prisons, à Ronald Reagan, à Fidel Castro, à George Bush… Il dénonce l’hypocrisie de la société, son consumérisme. C’est la période Funk durant laquelle quelques sculptures se rajoutent. Les indications écrites dans chacune de ses toiles ne sont pas anodines non plus et sont délibérément données en langage argotique américain bien sûr. Cette intrusion du mot dans l’image prend l’aspect de commentaires et de messages qui accentuent l’ironie déjà manifeste. On peut y mêler le Bad Painting. Saul cogne toujours aussi dur. Certains ont même établi un parallèle entre sa peinture et Michael Moore au cinéma, de vingt ans son cadet.
Les sujets sensibles sont surimpressionnés au day-Glo, peinture synthétique fluorescente offrant des couleurs dissonantes accentuant encore la vulgarité du sujet ou son irrévérence ou sa laideur.
On ne peut laisser de côté le traitement que Peter Saul fait subir à la morphologie des personnages qui ne sont vraiment pas épargnés. On est loin des vamps de calendriers et des corps sculptés de certaines plages .Les corps sont étirés comme des chewing-gums sur lesquels on tire, déformés un peu comme les sucres d’orge ou de guimauve des fêtes foraines et toutes ces morphologies, résultats de la malbouffe et autres excès de la surconsommation, ne sont pas à leur avantage. Quant au traitement des fumeurs, pour un ancien fumeur qu’il fut, la charge est absolument virulente, et salutaire.
L’exposition comportera aussi un espace réservé au “Musée de Peter Saul“ dans lequel on retrouvera une galerie de chefs-d’œuvre de la peinture, revus et corrigés par l’artiste lui-même qui, comme d’autres, réinterprète des figures classiques d’un Velasquez ou d’un Rembrandt, ou Delacroix, ou des artistes pionniers du modernisme comme Dali, Picasso, Duchamp. Ce dernier est symbolisé par sa Fontaine de 1917, un urinoir signé R. Mutt. On ne peut expliquer décemment quel usage un gardien de musée prétend faire de l’objet fétiche. Le clou étant bien sûr, la réappropriation de la Joconde. Saul ne donne pas dans la copie classique, transformant l’œuvre entièrement dans son propre style, dans l’irrévérence la plus audacieuse. Et, après tout, plus près de nous, Jean-Michel Basquiat a bien fait pire avec ses Five Grotesque Heads d’après Léonard de Vinci. « Mon œuvre, c’est 80% de colère. » disait-il. Peter Saul pourrait dire pareil, tout comme un certain Paul Rebeyrolle et ses corps déchirés par l’angoisse.
Remarque : suivre le parcours adéquat permet une meilleure lecture de l’évolution de la peinture de l’artiste.
À côté de l’exposition consacrée à Peter Saul, la bibliothèque consacre ses locaux jusqu’au 25 janvier 2020 à Carole Schneemann, décédée cette année à 80 ans, artiste majeure de l’art américain et international, pionnière de la performance, plasticienne, faisant de son art une “œuvre d’art total“, ayant poussé au maximum sa réflexion sur la place du corps lui-même dans l’espace et plus particulièrement le corps féminin. Elle fut une véritable éclaireuse pour une première génération d’artistes féministes. ( Livres, publications, textes, documents)
Les Abattoirs
Peter Saul • Pop, Funk, Bad Painting and More
jusqu’au 26 janvier 2020