Sans recherche de style, comme en transe… Il réveille le public !
Que neni, tout semblera neuf ! Personne ne se permet de jouer d’une traite, sans respirer, cinq morceaux de Chopin puis la sonate au clair de Lune de Beethoven. Comme en état d’apesanteur le public, particulièrement silencieux jusque dans un long silence après la musique, exulte après le dernier accord de la sonate. Ce qui se passe dans un tel concert est l’abolition de toute possibilité de critique, voir d’analyse. Tout est immersion sonore, piano expérimental, moderne et inclassable. Sans recherche de style, de toucher différent, de couleurs informées, Pavel Kolesnikov est comme en transe. Il joue avec une facilité déconcertante, choisi généralement des tempi à la limite de la rupture. Tant dans la rapidité démoniaque que la lenteur en apesanteur. Le début de la sonate au Clair de Lune est hypnotique, le final presto agitato furioso. Son Chopin est chaloupé, dansant et étonnamment moderne dans des rythmes et des harmonies comme mise en lumière par un laser. Rien de joli ou d’agréable mais une sorte d’urgence et de fièvre, une beauté absolue du piano. Après l’entracte qui permet au public de retrouver ses habitudes mondaines, le retour du pianiste va le changer en public bien peu distingué, si, si ….
Les trois pièces de Debussy passent comme un ouragan de modernité et d’expérimentation pianistique. Sonorités détimbrées, nuances extraverties entre murmure et tonnerre, harmonie comme diffractée. Rien de la recherche d’un son ou un style français, mais une musique moderne et complètement nouvelle.
Sans marquer de pose l’enchainement avec les premières mesures de la sonate Waldstein ne marquent aucune rupture ni de sonorité ni de style. Comme Beethoven sonne moderne et original ainsi ! La fin du premier mouvement est si furieusement emportée que le public applaudi à tout rompre complément sidéré. A-t-on jamais applaudi dans cet auguste cloître si étrangement mal à propos pour les usages mondains ? Rien ne se passe comme prévu, le public s’oublie… Le début du deuxième mouvement de la Waldstein dans un murmure déchirant devient fantomatique et comme exsangue. Le final sera prestissimo à la limite des possibilités de discrimination de l’oreille humaine. L’opposition des nuances est presque violente ; les couleurs s’entrechoquent entre le thème aigu et le grondement du piano dans le grave. Dans l’aisance digitale surnaturelle du jeune prodige, les thèmes se superposent, se rencontrent s’opposent avec fureur. En pantalon noir et chemise blanche, avec une allure d’adolescent tout en finesse, la force qui se dégage de son jeu semble ne pas venir de son corps mais être complètement surnaturelle.
Trois bis passent comme un songe. J’y reconnais Chopin, mais cela me semble sans importance… La stupeur petit à petit s’estompe et l’analyse de ce qui a été si intensément vécu peut se faire. Voilà un concert inoubliable en raison de la puissance pianistique incroyable engagée par Pavel Kolesnikov ce soir. Un pianiste à suivre comme une météorite flamboyante et presque effrayante pour un jeune musicien.
Compte-rendu concert. 40 ème Festival Piano aux Jacobins. Toulouse. Cloître des Jacobins, le 12 septembre 2019. Frédéric Chopin (1810-1849) : Polonaise n°1 en do dièse mineur, Op.26 ; Valse n°1 en la bémol majeur Op.69 ; Impromptu n°1 en la bémol majeur Op.29 ; Fantaisie impromptu en do dièse mineur Op.66 ; Prélude n°15 en ré bémol majeur op.28 ; Ludwig Van Beethoven (1770-1827) : Sonate N°14 en do dièse mineur Op.27 « Clair de lune » ; Sonate n°21 en do majeur Op.53 « Waldstein». Claude Debussy (1862-1918) : La neige danse, ext. de Children’s corner ; Feu d’artifice, ext. de Préludes livre 1 ; Mouvement, ext. d’ Images livre 1 ; Pavel Kolesnikov, piano. Illustration : © Eva Vermande