Concert encore plus émouvant que la veille à Lagrasse.
Il en faut du cran à ces si jeunes interprètes pour s’autoriser un programme aussi dense.
Cela commence agréablement et presque sagement avec une magnifique sonate pour violoncelle et piano de Beethoven. Ce qui est terrible c’est que chacun a dans l’oreille des versions d’ interprètes grandioses de ces sonates tant elles sont jouées et enregistrées. Pourtant les deux frères ont su imposer leur style simple et franc et leur belle musicalité dans la sonate n°2. Tout avance bien, les tempi sont évidents et l’entente mutuelle est belle à voir. Le jeu impeccable de Guillaume et les belles nuances d’Adrien ont conduit l’écoute du public vers une forme de sérénité.
Le quatuor d’Arenski est une vraie merveille. Équilibrant le son vers le grave en utilisant deux violoncelles, le compositeur russe obtient des effets d’une très grande originalité. La partition est pleine de beautés romantiques et d’un lyrisme slave émouvant. Menée par une Charlotte Juillard pleine de passion, les instruments graves sont animés du même enthousiasme. Les regards, les sourires, les gestes complices tout cela est aussi beau à voir qu’à entendre. Léa Hennino offre un son chaud et rond avec son alto. Les deux violoncellistes ont des parties très importantes et sont d’égale importance. Yan Levionnois et Adrien Bellom sont impliqués de la même manière. Les couleurs sombres sont ondoyantes et le violon plane souvent sur cette mer sombre avec un bel éclat. Cette partition écrite en hommage à Tchaïkovski est parée de mélancolie slave de toute part avec une partie centrale très émouvante. Le final virtuose et flamboyant permet de terminer en obtenant une ovation du public.
Le cycle Op. 39 de Schumann est d’une très grande beauté et s’ordonne un peu à la manière d’une quête amoureuse qui se termine avec une union après des états d’âmes romanesques remplis de craintes. Nous avions déjà entendu Adam Laloum dans ce cycle avec Martin Berner à Salon de Provence l’an dernier. Nous avions été totalement convaincus par son jeu très habité. Avec la mezzo-soprano Fiona McGown, la liberté prend son envol avec une connivence exceptionnelle entre la cantatrice et le pianiste. Ce cycle est ce soir théâtralisé avec un art particulier. La cantatrice semble déguster chaque mot et nous faire profiter de chaque scènette trouvant le poids exact dans la narration générale. Le numéro 7 « Auf einer Burg » devient une scène cinématographique dans laquelle le temps suspendu est perceptible avec le tempo étiré choisi par les interprètes. La diction précise et dramatisée de la chanteuse trouvant dans le piano si sensible de Laloum le décor sublime attendu. Le temps s’arrête avec une grâce infinie avant que reparte la narration vers le bonheur des amants réunis. La voix ronde et les phrasés amples de Fiona McGrown sont magnifiques. Les couleurs partagées entre le piano et la voix, les subtiles nuances qui se répondent tiennent d’une magie musicale où les mânes de Schumann en quête de l’âme soeur se retrouveraient sans peine. Le grand succès en retour prouve combien le public sait reconnaître les moments de poésie rares quand ils sont présents.
Le final très impressionnant mérite une analyse. Car cette Histoire du Soldat de Stravinski est hallucinante de modernité. Les quatre artistes qui nous ont interprété cette partition si particulière ont fait preuve d’un esprit d’équipe inouï. Car un violon, une clarinette, un piano et un récitant doivent nous emporter dans ce conte philosophique et satirique sans que nous puissions nous y opposer par la raison froide qui n’y verrait qu’une histoire pour enfants.
Ce soldat qui cède à l’appât du gain perd son temps, sa vie, son amour et son humanité face à un diable cynique : c’est un peu nous chaque jour dans la course à la consommation. Son ultime action de dépossession de l’argent dont il voit enfin l’inutilité, lui permet de gagner l’amour de la princesse… Le grotesque de la partition n’a d’égal que sa terrible virtuosité. Le texte a des significations de niveaux différents et demande un interprète doué pour créer plusieurs personnages et les rendre présents. Au violon Charlotte Juillard dégage une énergie totalement incroyable. Raphaël Sévère joue de deux clarinettes, il est capable de dégager un esprit moqueur comme de créer des moments de grande tendresse. Guillaume Bellom au piano tient impeccablement le tempo et sert de référence stable à toute cette agitation tour à tour joyeuse ou grotesque. Antoine Chapelot arrive à incarner jusque dans le moindre de ses gestes ce soldat qui aspire à un peu de repos ; homme simple et bon qui se laisse pourtant séduire par le diable. Il arrive à le vaincre de justesse en se dépouillant du superflu. La voix du diable sans être grossie a quelque chose de très effrayant dans sa simplicité apparente. L’acteur est très touchant également et la pantomime finale est pleine de grâce. Durant les moments de pur théâtre il n’est pas rare que les instrumentistes restent bouche bée devant cette histoire si incroyable.
Il en faut du talent et une équipe soudée pour rendre accessible au public une partition si originale, complexe et si rarement donnée. Le succès a été au rendez vous avec un public absolument conquis, reconnaissant et enthousiaste.
Un bien beau premier week-end pour ce cinquième Festival des pages Musicales de Lagrasse. Il reste encore cinq concerts jusqu’ au 15 septembre.
Compte rendu concert. 5 ième festival des Pages Musicales de Lagrasse. Lagrasse. Eglise Saint-Michel, le 8 septembre 2019. Ludwig Van Beethoven (1770- 1827) : Sonate pour violoncelle et piano Op.5 N°2 ; Anton Stepanovitch Areski ( 1861-1906) : Quatuor à cordes n°2 Op.35 ; Robert Schumann ( 1010-1856) : Liederkreis op.39 ; Igor Stravinski (1882-1971) : L’histoire du Soldat ; Raphaël Sévère, clarinette ; Natacha Kudritskaya, piano ; Charlotte Juillard, violon ; Léa Hennino, alto; Adrien Bellom et Yan Levionnois, violoncelle ; Fiona McGown, soprano ; Adam Laloum et Guillaume Bellom, piano. Antoine Chapelot, récitant.