Pas tout à fait exact car l’orchestre lui est bien français, et toulousain puisque ce sont les musiciens de notre Orchestre National du Capitole de Toulouse qui officient dans ce programme de concert d’ouverture de saison du samedi 14 septembre à 20h à la Halle aux Grains.
On se croirait presque à l’ouverture de la saison russe II pour laquelle il faudra attendre tout de même mars 2020. C’est Tugan Sokhiev qui dirige. Au programme, les Suites n°1 et n°2 de Roméo et Juliette, tirées du ballet sur une musique de Serge Prokofiev, le même morceau de programme que lors de la première visite du jeune chef à Toulouse un certain soir de fin octobre 2003, un vendredi 30. Le courant passe aussitôt entre les musiciens et le maestro venu d’Ossétie du nord. N’a-t-il pas confié alors : « D’habitude, lors de ma première rencontre avec un orchestre, les choses prennent du temps. Là, nous avons tout de suite parlé le même langage. » À sa deuxième invitation un an après, même sentiment d’évidence : « J’avais conscience que je pouvais réaliser là un rêve musical. » L’affaire était “pliée“, la succession de Michel Plasson se profilant, et les musiciens enthousiastes à l’idée de se retrouver avec ce nouveau chef. Celui qui comparait alors son travail à la tête de la phalange toulousaine, tel un un jardinier, ne peut être que fier de ses résultats. Avec tous ceux qui, autour, ont œuvré pour. À la finesse et la transparence toute française que l’on qualifiera de “plassonnienne“, s’est ajouté, petit à petit, un son plus soutenu et profond. Un développement artistique continu qui permet une ouverture de répertoire que le chef affectionne, et le public aussi.
En première partie, on retrouve devant le clavier Behzod Abduraimov. Ce sera pour nous interpréter le morceau sûrement le plus célèbre de Serge Rachmaninov, le Concerto pour piano n°2 en ut mineur, op. 18. Une fête en perspective.
Lors d’un précédent concert, ce jeune pianiste nous avait interprété, toujours avec Tugan Sokhiev, le Concerto n°1 de Tchaïkovski, et j’écrivais alors par la suite : « Ce seront juste quelques mots pour exprimer notre admiration pour ce jeune pianiste qui, sûrement, a entendu les applaudissements venus du ciel d’un compositeur enthousiaste. Sans esbroufe à aucun moment, ni démonstration physique intempestive devant le clavier, la partition se déroulant comme par enchantement, le soliste nous a délivré une leçon de virtuosité contenue au service d’une musicalité assez impressionnante. Il est aidé en cela par un Tugan Sokhiev qui, décidément, n’est jamais meilleur que lorsqu’il accompagne un chanteur ou un soliste. Ainsi, la précision des attaques ne souffre-telle aucune remarque. Cela donne un tout qui paraît l’évidence dans toute sa simplicité, avec une réelle fraîcheur même, toute théâtralité délaissée, sans pathos exacerbé. Tous les pupitres de l’orchestre ont participé à cette réussite. L’Andante du concerto laissera des traces, le premier mouvement et ses vingt-deux minutes aussi, bien loin des interprétations TGV. » Voilà ce qui vous attend.
Quelques mots sur l’artiste : À l’âge de 18 ans, Behzod gagne le prestigieux Concours International de Piano de Londres avec son interprétation du Concerto n°3 pour piano de Prokofiev. Il y a vraiment plus simple comme partition !
Behzod Abduraimov est né à Tashkent en 1990 et commence le piano à l’âge de 5 ans. Il fut l’élève de Tamara Popovich à Tashkent.
Les places sont chères, mais Behzod Abduraimov s’est rapidement imposé comme l’un des pianistes majeurs de sa génération, grâce à ses performances plutôt fascinantes sur le clavier et la nature affirmée de ses interprétations de certaines œuvres. N’est-ce pas Eric Dahan qui écrivait, vantant « ses qualités époustouflantes » : « A savoir, une main gauche puissante mais jamais écrasante. Des attaques d’une précision chirurgicale. Une sonorité parfaitement ronde et timbrée sur toute la tessiture. Et surtout, un contrôle des plans sonores qui fait que les traits les plus virtuoses se détachent toujours de l’orchestre, sans que l’on perde une seule note…S’il faut qualifier son jeu, on dira qu’il est très masculin. Raffiné et lyrique, mais sans la moindre nervosité ou préciosité. » Un autre critique musical anglais vous dira qu’il a les réflexes neuro-moteurs d’un chat sauvage et les réserves d’énergie d’un athlète olympique au pic de sa forme !!
Malgré son jeune âge, il a déjà travaillé avec de nombreux chefs d’orchestre parmi les plus grands comme Ashkenazy, Gergiev, Petrenko, Dutoit, Vladimir Jurowski, Zinman….
Au printemps 2014, il a fait ses débuts avec le Boston Symphony Orchestra sous la direction de Lorin Maazel, débuts qui seront suivis par une tournée en Chine. En Amérique de Nord, il a également été réinvité au Kansas City Symphony ainsi que dans une série de récitals à Vancouver. Il a fait aussi ses débuts dans la saison de concerts de l’Université de Princeton et a récemment travaillé avec les orchestres symphoniques d’Indianapolis, Atlanta, Ottawa et a donné un récital au Ravinia Festival. C’est un début de carrière époustouflant.
En Europe, Behzod Abduraimov fut en résidence avec l’Orchestre Philharmonique des Pays-Bas (Marc Albrecht) et invité par les plus grandes phalanges européennes. À la suite de ses débuts triomphants au Wigmore Hall à Londres, Abduraimov y est invité de manière régulière au cours des saisons suivantes et il retourne également à La Societa dei Concerti à Milan (il fait le concert d’ouverture de leur saison). Il a fait ses débuts à l’Auditorium du Louvre, au Théâtre Mariinsky, et ce en plus de nombreux autres récitals en Italie et en Espagne. Behzod Abduraimov est retourné au Japon pour faire cette fois ses débuts avec le NHK. (Il avait fait ses débuts japonais avec le Tokyo Symphony Orchestra en 2012).
Quelques mots sur le concerto :
- Più vivo. Allegro
- Adagio sostenuto
- Allegro sherzando
Les trois mouvements sont sensiblement de même durée, environ dix minutes.
Tout a été dit et écrit sur cet illustre concerto, même le pire. En effet, un certain éminent critique musical, Antoine Goléa pour ne pas le nommer, écrivait en 1977 au sujet des quatre concertos : « Ils sont admirablement écrits pour le piano, mais d’un terrible vide musical. » ou encore : « Des concertos démodés à la sentimentalité la plus plate qui encombrent encore nos programmes. » (Lucien Rebatet-1969) Si l’on veut faire court, on peut dire que ce n°2 prit naissance grâce à l’hypnose ! En effet, le jeune compositeur, émerveillé par les chants orthodoxes, envoûté par la rumeur des cloches, mais alors en plein état dépressif après l’insuccès de sa première symphonie, Serguei donc va finir par reprendre la plume pour écrire deux mouvements d’un concerto, n’étant pas satisfait de son premier concerto écrit à l’âge de dix-huit ans. Ce retour à la plume serait dû à une cure suivi chez le docteur Nicolas Dahl, neurologue, psychothérapeute, adepte des traitements par hypnose du médecin français Jean Martin Charcot. Appuyé par son ami Alexandre Siloti, il s’attaqua au premier mouvement manquant et le concerto entier fut donné avec succès le 27 octobre 1901 sous la direction de Siloti. Il était dédié, bien sûr, au docteur Miracle Dahl, mélomane et excellent musicien amateur.
On ne va pas se livrer à l’étude de l’ouvrage mais remarquer simplement qu’il est une parfaite illustration de ce que son compositeur écrivait alors à l’extrême fin de sa vie, faisant une sorte de bilan : « Dans mes œuvres, il n’y a aucun effort délibéré d’être original, romantique, nationaliste ou n’importe quoi d’autre. Je mets sur papier la musique que j’entends en moi, aussi naturellement que possible. »
Quelques mots sur la musique du ballet Roméo et Juliette :
Concernant la composition de l’orchestre, il s’agit d’un groupe spécifique “de Prokofiev“ : timbales et grandes batteries, harpe, piano et cloches ( les fameuses cloches, souvenir de celles de la cathédrale Sainte-Sophie de Novgorod, berceau de son enfance). Les bois sont par trois, saxophone ténor, les trombones et les trompettes par trois aussi, cornet à pistons, quatre cors, les cordes avec alto solo.
La création du ballet fut plutôt difficile. Au départ, l’idée fut suggérée par la direction du Théâtre du Kirov de Leningrad, notre Théâtre Mariinsky de Saint-Petersbourg actuel, en 1935.Prokofiev a toujours nourri un intérêt certain pour William Shakespeare mais aussi pour le ballet, (il en écrira sept), un genre très apprécié dans les théâtres russes, alors soviétiques mais très fréquentés. Enthousiaste sur le projet, le compositeur va achever la première version en quatre mois. Le livret fut élaboré par Prokofiev aidé d’un metteur en scène Serge Radlov. Mais le projet ne verra pas le jour. La partition est jugée “indansable“ à cause des rythmes bien trop difficiles.
Prokofiev, dépité, va renoncer à la forme du ballet, mais ne voulant pas avoir écrit pour rien décide de mettre toute sa musique sous forme de deux suites pour orchestre. Ces pièces vont être publiées et c’est sous cette forme là que la musique va être connue en premier. Le ballet, enfin, n’atteint la scène qu’à la fin de 1938 à Brno en Tchécoslovaquie, sans la présence du compositeur.
La Première russe attendra le 11 janvier 1940 au Kirov et 1946 pour Moscou avec la troupe du Bolchoï. Là, le musicien va apporter des modifications et ajouter d’autres numéros. « À quoi je travaille actuellement (1939), ma démarche dans Roméo et Juliette et la suivante, je m’applique à imprimer à chaque acte un coloris particulier. » Depuis, les chorégraphies ont été multiples. Grâce à sa musique, plus axée sur l’expressif que sur le descriptif, et aux effets théâtraux très poussés, le ballet accède à une popularité extraordinaire. Dans l’édition définitive, près de deux heures trente, on compte 52 numéros groupés en trois actes et un quatrième très court servant d’épilogue. Quant aux Suites, elles sont régulièrement des morceaux de choix en concert, toujours accueillies avec enthousiasme. L’ordre des numéros n’est pas rigoureux. Il est par conséquent inutiles d’essayer de suivre l’histoire qu’on ne vous fera pas l’affront de détailler ici.
Billetterie en Ligne de l’Orchestre National du Capitole
Orchestre National du Capitole de Toulouse