Depuis le 17 mai dernier et jusqu’au 3 juin, l’exposition MétamorphOse(s) investit le métro toulousain, et en particulier la ligne B. Le Directeur du Théâtre Sorano et metteur en scène, Sébastien Bournac, accompagné de son ami de longue date, le photographe François Passerini, ont décidé de partir à la rencontre d’une vingtaine d’habitants des quartiers Nord de Toulouse, pour leur faire vivre une véritable métamorphose artistique et photographique. En outre du métro, l’intégralité du projet est aussi exposée au centre Culturel des Mazades, jusqu’au 12 juin 2019.
Un projet qui n’aurait pas pu voir le jour sans la contribution des habitants des quartiers. Sébastien Bournac nous en dit davantage.
Rentrons dans le vif du sujet, parlez nous de MétamorphOse(s). Pourquoi ce projet ? Quelles ont été les motivations ?
C’est pas la première fois que je travaille avec François Passerini, car il y avait déjà eu une première édition de l’exposition Métamorphose, mais elle avait eu lieu dans le quartier Bonnefoy à Toulouse. C’est vrai que nous avions envie de réitérer. On a mis deux ans à aboutir à la deuxième salve de MétamorphOse(s). C’est un projet assez chronophage.
Les motivations, elles, sont multiples. Déjà personnellement, j’aime que mon travail de création soit partagé le plus largement possible et avec des publics très divers. Parfois, ce n’est pas toujours simple d’amener des gens dans les théâtres, donc c’est vrai qu’à l’origine, quand on a eu en 2011, l’idée de cette exposition, l’envie était vraiment d’aller à la rencontre des personnes qui n’allaient pas forcément au théâtre, ainsi que de fabriquer un objet artistique entre photographie, collectage de paroles mais aussi théâtre, car d’une certaine manière, chaque photo est un théâtre.
Il y avait donc cette envie de rencontres, de sortir de sa pratique et d’hybrider également le travail. Après, on réitère l’expérience car, la première édition, nous avions exposé dans le quartier Bonnefoy, en partenariat avec le centre culturel Bonnefoy, mais c’était resté un peu plus à l’échelle d’un quartier. Aujourd’hui, l’envie est revenue car déjà nous avions adoré faire ce projet, rencontrer les gens, ou travailler sur leurs imaginaires, c’est passionnant. Et puis, j’avoue que j’ai pensé à le refaire à la période où j’ai pris la direction du Sorano. Effectivement, je me suis dis finalement, quoi faire de plus ? Mon réflexe a de suite été de ne surtout pas m’enfermer dans ce Théâtre. Donc j’ai aussi réalisé ce projet dans le but de décentrer un peu, et de ne pas passer ma vie au bureau.
Pourquoi cette idée de métamorphoses ? Quel est le message à faire passer ?
C’est un projet politique, c’est à dire que ce sont des dytiques photographiques, avec la première photo que nous, nous appelons « quotidienne », faite par le photographe sans moi d’ailleurs. Et puis la photo mise en scène, métamorphosée, que nous imaginons ensemble, avec eux.
L’idée est que nous ne sommes pas seulement ce que l’on voit de nous dans le quotidien, nous avons tous des espaces imaginaires, des désirs secrets, enfouis, des vies à l’intérieur autres que ce que nous vivons. Nous essayons donc d’aller détecter ces traces, parfois invisibles, ou peu apparentes de ces vies cachées. Et je crois que ce qui fait de ce projet un succès, c’est que les modèles se trouvent grandis. Quand ils voient les photos, on donne une image d’eux qui est plus complexe que la simple image du quotidien. On pourrait citer ce jeune garçon de quartier qu’on rencontre, et qui nous raconte ses désirs d’aventure. La majorité des personnes extérieures qui vont le voir vont l’imaginer devenir dealer par exemple. Et c’est ça qu’il faut changer. Peu importe l’endroit où nous vivons, on peut avoir des rêves très grands. L’exposition en est bel et bien le reflet. De plus, à travers leurs transformations, il faut oser. Un travail qui demande beaucoup de confiance, que ce soit à travers la photo, ou même avec les questions que je leur pose.
En prime, ce ne sont pas des personnes qui parlent facilement de leur vie, et puis c’est un sujet délicat et très intime. Mais ce n’est pas un projet déguisement, ce sont des métamorphoses que eux ont choisi, c’est les leurs. Nous montrons une autre partie d’eux, mais finalement, qui en devient plus intensément le reflet d’eux-même.
Chaque récit est une histoire qui fait réfléchir sur l’image de soi qu’on dégage. Un projet qui donne toute sa part à la complexité de l’être, de l’humain, à sa sensibilité, à sa fantaisie, ainsi qu’à la puissance du jeu. Car au fond, il s’agit d’un jeu de théâtre.
Comment avez-vous choisi les personnes qui posent sur les photos ? Y avait il des critères spécifiques pour être modèle ?
Non du tout, après c’est sûr qu’on essaie d’être vigilant sur la parité par exemple. D’ailleurs, nous avons dû aller chercher davantage les hommes que les femmes. Et nous n’avons pas totalement réussi car il y a plus de femmes dans le projet que d’hommes. Ils ont plus peur de se livrer. Ils sont peut être moins aptes à la métamorphose, je ne sais pas, ça pourrait être une réflexion à avoir.
Il faut aussi vérifier que ce soit bien intergénérationnel, qu’il y ait à la fois des enfants et des personnes plus âgées. Il faut que l’exposition concerne tout le monde et que chacun puisse trouver son endroit de projection, parce que même si nous aimons beaucoup certaines photos, nous nous projetterons plus facilement dans certains cas que dans d’autres.
Ensuite, il y a quand même tout un protocole pour rencontrer ces personnes, car on les contacte par le biais d’associations, ensuite une médiatrice les rencontre, et enfin nous devons faire toutes les démarches d’échanges, de photos, plusieurs fois avant d’aboutir au résultat final.
Il ne faut pas imaginer que tout ça se fait en quelques minutes, on a mis plus de 2 ans à tout réaliser.
Pourquoi une exposition dans un métro ? L’idée des oeuvres qu’avait eu Tisséo à l’époque vous a t elle parlé ?
Alors c’est vrai que nous avions déjà prévu l’exposition aux Mazades, avec les photos, les traces sonores, les montages vidéos… Mais cette collaboration avec Tisséo n’était pas prévue à la base. Nous sommes allés les voir en cours de projet pour le leur présenter. Ils ont été de suite emballés par le projet. Nous leur avons montré deux ou trois photos qu’on avait déjà fait à ce moment là et ils ont de suite dis banco. Ils trouvaient que transformer une ligne de métro en exposition était une magnifique idée, ainsi que la curiosité d’aller de stations en stations voir les oeuvres suivantes. Puis, pour nous, au regard de la fréquentation des métros tous les jours, cela permet aussi de toucher un public beaucoup plus large. Après, c’est sûr, ils ne doivent pas voir toutes les oeuvres mais si ils sont curieux d’en voir quelques unes c’est déjà bien. Pour moi ce projet doit ramener de la poésie dans la réalité, il doit nous faire faire un pas de côté par rapport à nos pratiques quotidiennes, c’est à dire que quelqu’un qui va s’arrêter ne serait ce que quelques secondes, parce qu’il va être interpellé, il y a quelque chose derrière. Si il y a eu cet arrêt, c’est qu’il y a eu quelque chose en lui qui s’est passé et qui est déjà formidable.
Pourquoi cette envie de collaborer avec ces quartiers en particulier ?
On avait le choix, mais il y avait une sorte de logique territoriale au niveau de la ligne de métro. La ligne qui passe ici, va aussi jusqu’à ces quartiers là. Et on s’est dit que c’est peut être le moment d’imaginer un projet qui créé des ponts entre le centre et la périphérie. Nous avons donc choisi les quartiers des Izards, des Mazades, de Negreneys, ou de Bourbaki, qui ne sont pas des quartiers très attrayants sur le papier, et surtout sur lesquels les toulousains ont beaucoup de préjugés. C’est donc aussi une manière d’aller voir vraiment ce qui s’y passe, d’y rencontrer les gens, et puis surtout de dépasser les clichés. C’est ce qui s’est passé d’ailleurs, car personnellement, je vais beaucoup plus facilement là-bas, que je n’y allais au départ.
D’ailleurs, pouvez-vous nous faire un point, en quelques mots, sur votre parcours ?
Je commence à avoir un petit peu de vécu à Toulouse, ça fait une vingtaine d’année que je suis là. Pour dire les choses rapidement, je suis venu sous l’invitation de Jacques Nichet, qui était à l’époque le directeur du Théâtre de la Cité et j’ai été ainsi son collaborateur pendant 4 ans. Puis, je me suis installé dans cette région, j’ai ensuite monté ma compagnie, où j’ai développé tout un travail de metteur en scène, un projet artistique sur le territoire. Et enfin, il y a trois ans, j’ai été nommé directeur du théâtre Sorano. Il s’agit donc d’un cursus qui s’inscrit dans un parcours artistique sur un même territoire. Mon médium c’est le théâtre, je le revendique haut et fort. Mais j’ai aussi une passion pour la photo, et une amitié très forte depuis une quinzaine d’année avec François Passerini, ce qui en a découlé à un projet artistique partagé.
Le travail du photographe s’apparente finalement très bien à celui du metteur en scène.
Vous avez donc toujours vécu plutôt dans les arts de la scène, d’abord en tant que directeur de compagnie, puis metteur en scène et maintenant directeur du Sorano, aimeriez-vous peut-être vous détacher du théâtre pour d’autres disciplines ?
Cela, on verra bien, mais mon activité principale reste le théâtre, le plateau. C’est vrai que penser chaque photo comme un théâtre et travailler avec le photographe, pour décider du montage, du cadrage ou de la construction, est une activité plutôt à mon goût.
Chaque photo est pensée comme une production de théâtre, avec un lieu, un décor, les positions, les costumes. Il y a finalement, tous ces éléments qui permettent de faire de la photographie, une réelle mise en scène. Et c’est cela qui m’intéresse. En définitive, je trouve ça plus juste de faire du théâtre à cet endroit là, que de les amener sur une scène. Quasiment tout ceux avec qui nous avons travaillé ne seraient pas prêts à monter sur une scène, mais là, il font presque du théâtre sans le savoir, avec eux-même, ce qui les rend encore plus touchants.
Mais pour en revenir à la question, comme je disais tout à l’heure, ce n’est qu’un pas de côté, cela ne deviendra pas un nouveau crédo artistique.
Avez vous d’autres projets pour les mois à venir ?
Je ne sais pas si il y aura une troisième édition à cette exposition. Mais des projets avec des gens, du réels, oui, car c’est important que le théâtre soit traversé par des éléments non théâtraux et amener sur scène des jeunes, on le fait souvent. Au Sorano d’ailleurs, il y a beaucoup de projets où nous débordons un peu. Nous avions la semaine dernière la présentation d’un projet d’une compagnie de Montpellier qui est partie en immersion pendant trois semaines dans une classe, et il y a aussi en ce moment une série de représentations en extérieur…
Il y a une réelle dynamique plus globale, car le Sorano est un lieu, mais aussi et surtout un esprit. Ce n’est pas juste la pratique d’un art ancestral derrière ses colonnades assez imposantes, ce n’est pas l’idée, car notre mission est de travailler les imaginaires, et que tout le monde y ait sa place.
MétamorphOse(s)
Exposition du 17 mai au 3 juin 2019 • Stations de la ligne B
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