Histoire vraie ou imaginaire, peu importe ? Le résultat est que cet acte héroïque de la jeune veuve magnifique sur un général ivre de désirs dans tous les sens du terme, ce fait a inspiré bon nombre d’œuvres aussi bien en peinture que sculpture et dessins. Et, c’est aussi un thème en musique et littérature, sans oublier, mais à un degré moindre, théâtre et cinéma.
Cependant, cette Judith et sa servante et la victime vont bien constituer un événement mondial dans notre chère ville de Toulouse. Oui, l’événement est bien mondial puisque, voilà “ t-y pas“ qu’un de nos compatriotes a décidé un jour de s’intéresser de plus près à une toile roulée encombrant plus ou moins le coin d’un grenier et, après avoir chassé grossièrement la poussière, découvert une jeune femme tranchant la gorge d’un homme fort grimaçant. Depuis 2014, faisons court sur les différentes péripéties qui ont conduit l’objet entre des mains plus curieuses et professionnelles, celles de Maître Marc Labarbe, commissaire-priseur bien connu sur Toulouse. Ce dernier fait le lien avec cette chère Judith en train de décapiter le général Holopherne, sujet fort représenté en peinture. Les premiers instants de stupeur passés, j’ignore les moments d’exaltation qui ont pu suivre et les flashes du genre : « non, ça n’est pas possible » répétés, debout, assis, couché mille fois suivis de : « Et si c’était ? », car Me Labarbe, dans un coin de son espace de pensée, ne pense plus qu’à l’œuvre qu’il connaît d’un certain Caravage.
Le découvreur se confie en même temps à son expert connu et reconnu, Maître Éric Turquin, commis par près de 250 maisons de ventes et, lui-même, entouré de compétences. À partir de là, la tension devient insoutenable, du moins, je le suppose. Un vrai thriller. Quelques détails supplémentaires vous seront donnés plus loin et arrivons illico au dénouement : c’est bien un Judith et Holopherne, et pas de n’importe qui, mais d’un certain Michelangelo Merisi da Caravaggio ou, plus simplement, un tableau du Caravage !!! Une formidable aventure qui va trouver son épilogue lors de la vente du chef-d’œuvre, et là, Me Labarbe y tient, en nos murs, à la Halle aux Grains, un 27 juin 2019. La vente de l’année dans les très hautes sphères de l’art aura bien lieu à Toulouse. Une vente dont peut rêver toute étude de commissaires-priseurs parmi les 3610 existant dans le monde.
Avant de détailler un peu plus, signalons que Judith et Holopherne sont bien présents aussi, en ce moment, au musée les Abattoirs, au sous-sol, dans le cadre de l’exposition actuelle sur Picasso et l’exil, avec une toile du peintre Xavier Bueno qui a fui son pays en pleine guerre civile. Quelques lignes ci-dessous :
Xavier (ou Javier) Bueno est un peintre espagnol naturalisé italien, né à Vera de Bidassoa en 1915, mort en 1979 à Fiesole, près de Florence, en Toscane.
Judith et Holopherne, huile sur toile de 1939, illustre un épisode de l’ancien Testament. Cette grande composition décorative est la seconde œuvre importante de l’artiste après Le Combattant espagnol (1936), peinte à Paris et datant de sa meilleure période, celle d’avant la guerre de 1939-1945. Cette dernière est dédiée à un ami mort sur le front de Madrid. Toutes deux sont conservées au musée Goya de Castres.
Outre les réminiscences de l’art italien de la Renaissance (Judith, le groupe des muletiers) mêlées à des accents d’Art nouveau (la danseuse, à droite) l’ensemble de la composition, par son rythme, la conception symbolique du paysage et sa sobriété tire son inspiration de l’antique. Si l’on retrouve le réalisme robuste et expressif du Combattant espagnol dans le groupe des gueux et des Anciens autour de Judith, le dessin est plus souple et les expressions plus fouillées.
Mais Judith et Holopherne, c’est aussi à la Fondation Bemberg dans l’exposition temporaire de la Collection Motais de Narbonne à ne rater sous aucun prétexte, de même que l’achat du catalogue fort bien fait. Vous pourrez y admirer un Judith et Holopherne, une huile sur toile de Carlo Maratti dit Maratta, une des premières pièces entrée dans la collection de ce couple guère effrayé par certains thèmes choisis !! Un travail daté aux environs de 1680 d’un peintre qui eut une vie très longue puisque décédé à 88 ans à Rome. Vous pourrez remarquer que la vieille servante est ici une jeune femme bien plus apeurée que sa maîtresse.
Il est précisé que le couple a commencé sa collection avec un tableau de Ludovico Mazzanti ayant pour thème…Judith et Holopherne ! À croire que ce thème est favorable car voilà un peintre qui a rendu son dernier soupir à presque 90 ans. Ici, pas de servante au premier plan, seule Judith et la tête du puissant général, tête qu’il a perdu, faute d’avoir trop bu. Une Judith représentée physiquement de façon plus que flatteuse, avec tous ses atours, et un regard tourné vers le ciel, qui ne semble pas chercher obligatoirement le pardon pour un acte pareil.
Avant de revenir à notre Caravage toulousain, quelques mots sur le tableau Judith décapitant Holopherne du Caravage, le plus connu, celui admiré déjà par des millions d’intéressés ou supposés. Un tableau autographe reconnu du Caravage qui ne signait pas ses tableaux. Une composition admirable exécutée dans une technique parfaite. Il est à Rome, Galerie Nationale d’art antique, Palais Barberini. Il aurait conçu dans les premiers mois de 1599. C’est un travail du jeune peintre pas encore trentenaire. Il est mentionné comme une « Judith qui coupe la tête d’Holopherne, (peinte) pour les seigneurs Costi », soit le banquier Ottavio Costa. L’historique du tableau jusqu’à son arrivée au Barberini a été reconstitué en 1989. Il est dit comme étant le premier vrai tableau « d’histoire » de Caravage. Il fut découvert en 1951 lors d’une grande expo à Milan. À propos de son iconologie, les experts insistent surtout sur la signification profondément religieuse du tableau, y voyant une sorte d’exaltation de la victime, comme une allégorie de la vertu qui triomphe du mal, et plus précisément un symbole de l’Église qui, au nom du Christ, remet les péchés et détruit le démon en l’occurrence Holopherne. Quant à la servante, elle représenterait l’humanité mortelle, pouvant atteindre à l’immortalité par l’entremise de la grâce. Elle semble une allusion à La Vieille de Giorgione que Caravage a peut-être connu. Des considérations que l’on peut évidemment attribuer aussi au tableau toulousain. Dans celui de Toulouse, il y a une force incroyable dans la représentation des rides et de ce magnifique goitre !! Les connaisseurs auront remarqué que ce n’est pas une décapitation mais bien un égorgement, le peintre respectant à la lettre les indications du texte biblique ! Le sang jaillit à flots de l’artère carotide et des artères vertébrales tranchées. Il a été écrit : « L’image est extrêmement sanglante, mais elle a le calme de l’inexorable. » !
On précise, qu’à ce jour, en 2014 !! aucune copie de celui-ci n’est connue. L’œuvre a été judicieusement acquise en 1971 par l’Etat italien pour 230 millions de lires soit l’équivalent de ……2 petits millions d’euros!!! Pour la découverte toulousaine, le tarif ne sera pas le même, on en est persuadé.
Avec le Caravage, on sait l’immense problème des attributions, les deux clans des « restrictionnistes » et celui des « extensionnistes » s’affrontant rageusement dès la moindre découverte sérieuse, les tableaux authentifiés originaux dits autographes, ceux attribués à par certains experts, ceux simplement attribués à, et la nova quæstio des “doubles“ : Judith 1599 n’a toujours pas de “double“ mais la Judith 1607 de Naples avait un original !
Revenons à Toulouse. C’est l’événement chez tous les proches du tableau. Les points communs avec la Judith du tableau accroché à un mur d’une banque de Naples – Banco di Napoli – finissent par donner des sueurs froides. Les vidéos vous informent. Sur les toiles du Caravage, on sait tout grâce aux examens scientifiques, les mêmes que la toile découverte aura subis, que ce soit la nature du support, la couleur de l’apprêt, son nombre de couches, leur nature, ce qu’elles contiennent. Comment tous ces composants ont pu être liés. Il faut repérer les incisions. Enfin, la palette de couleurs et même la provenance de certaines. Ce sont certains pigments rouges qui, retrouvés dans d’autres tableaux, aide à situer celui-ci lors de sa fuite à Naples et son premier séjour vers 1607. Sans oublier les traces du pinceau, comment il est passé ! quand il s’attarde ! quand il roule la pointe ! quand il le lève,……Au bilan, finalement, peu de couleurs et surtout pas de bleu, “le poison des couleurs“ comme il l’appelle, sauf pour peindre La Madone.
Les scientifiques passés, toutes les radiographies discutées, comme pour les parfums, il y a les nez, ici, nous avons les « yeux », un peu comme pour les pièces d’arts premiers. Plusieurs « yeux » reconnus pour ce peintre ont dit oui, tout en regrettant que l’œil le plus aguerri et dit, exceptionnel ne puisse donner son avis : Roberto Longhi. Il est décédé en 1970. Mais, depuis que le tableau a été nettoyé, rassurez-vous pas au Karcher, de nouveaux avis ont été émis qui ont permis d’acquérir une certitude au bout de deux ans de restauration : le tableau est bien de Michelangelo Merisi da Caravaggio dit Le Caravage. Mieux que ça, le tableau napolitain serait bien la copie de l’original disparu, qui serait donc retrouvé à Toulouse !! le grenier hébergeait l’original d’une toile du Caravage sûrement peinte lors de son premier passage à Naples. Comme le soupire Me Labarbe : un rêve éveillé depuis quelque “cinq ans“. Entre ça et les sceaux et rouleau impériaux, il faut avoir un cœur “bien accroché“.
Classé trésor national, le délai de trente mois étant écoulé, la restauration s’étant révélée fort longue, il y a de fortes chances que le tableau parte hors de nos frontières, la somme qui se révèlera sûrement nécessaire étant hors de portée de nos musées nationaux mais, pas de certaines fortunes personnelles. Un certain Bernard Arnault, pour ne citer que lui, pourrait décider de se faire ce petit cadeau, cadeau indirectement à la France. Cependant, les dizaines de millions peuvent venir d’horizons très divers. Qui sait ? l’État italien peut souhaiter récupérer un Caravage …, une autre Judith mais bien plus chère que la précédente ! En tous les cas, c’est un « sacré »événement dans le monde de l’art qui aura donc lieu à……Toulouse. Merci aux propriétaires et à Me Labarbe. Et tant mieux pour les heureux possesseurs de la toile qui n’auront pas perdu la journée et qui pourront remercier les ancêtres. Il reste à élucider une partie du CV de la toile depuis Amsterdam.
Un autre article sera exclusivement consacré à la Judith toulousaine dans quelques semaines.
Caravagio • Judith et Holopherne
jeudi 27 juin 2019 • Halle aux Grains