Le Diable emporte le fils rebelle, publié chez Mercure de France, décrit la rupture entre une mère à bout de souffle et un fils en totale révolte. Un roman puissant.
« C’était l’aîné, ma croix, mon grand tourment. L’aîné toujours à part – si difficile à élever, lui qu’on pointait du doigt dès la naissance », c’est Lorraine qui parle. Mère de famille désabusée qui subit la vie, le quotidien, la misère. Elle habite sur un vieux terrain, dans une vieille bicoque avec son mari et ses quatre fils, dont Adam, l’aînée, celui qu’elle nomme l’escroc. Celui qui lui donne tant de fil à retordre. Il est différent, nerveux, colérique, il accumule les ennuis. Il sort tout juste d’un centre de détention. La mère est usée, elle ne sait pas comment faire avec ce garçon qui la repousse et la provoque sans cesse. Le point de rupture surgit lorsque les belles-sœurs insinuent des choses « ton aîné à un problème », elles ne lui apprennent rien, « un sérieux problème de comportement », elles ajoutent. Lorraine comprend, il s’agit de sexualité et, à force d’insinuations, qu’il s’agit plus précisément d’homosexualité. Les belles-sœurs en ont trop dit, Lorraine tombe de haut. Ça, croyante comme elle est, elle ne peut pas l’accepter. Que diront les gens ?
Sauver les apparences
Lorraine se confronte à son fils. Il ne nie pas, il dit rien. Elle veut qu’il se soigne. Il refuse. Elle le met à la porte. Le choc. Aucun des deux ne cèdera. « C’est pour tes frères, les protéger de toi avec ta dépravation et ton âme mauvaise », conclut Lorraine. Adam parti, la mère trie, jette, brûle, veut purifier l’espace, effacer la moindre trace de l’usurpateur, comme elle le nomme désormais. Mais c’est surtout auprès de son mari qu’elle devra se justifier. Fred ne comprend pas le geste de sa femme. On ne met pas un enfant dehors. Lorraine le répète, c’est pour protéger la famille. Mais quelle famille ? Une famille complètement dysfonctionnelle qui peine à joindre les deux bouts, une famille qui se querelle sans cesse pour des histoires de jalousie et de terrain ? Fred lui rappelle tout cela et l’accuse d’avoir donné trop d’importance aux propos des belles-sœurs. La carapace de Lorraine, au fil des souvenirs, se fend et devient plus perméable.
Gille Leroy, en se mettant dans la peau de cette mère désemparée, livre une confession bouleversante. Jamais le ton ne se fait accusateur. Il déambule dans les pensées les plus intimes de ses personnages, il sonde leurs peurs, leurs limites, il alimente leurs interrogations et leur confère une humanité à fleur de peau. La langue est douce et violente à la fois et est révélatrice des contradictions qui secoue ce texte.
Gilles Leroy, Le Diable emporte le fils rebelle, Mercure de France, 144 p.
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