La Fondation Bemberg expose la collection Motais de Narbonne réunissant des peintures françaises et italiennes des XVIIe et XVIIIe siècles.
Héléna et Guy Motais de Narbonne ont accumulé depuis trente ans 79 tableaux, des peintures françaises et italiennes des XVIIe et XVIIIe siècles, qui ornent les murs de leur appartement parisien de 160 m2. Amateurs d’art, la fréquentation des musées a joué un rôle essentiel dans la formation de leur regard et de leur goût. Passionnés avant d’être collectionneurs, ils se laissent simplement porter par des coups de cœur, sans se préoccuper de l’éventuelle renommée ou de l’hypothétique cote du peintre. Leur collection s’est construite sans intention préalable : elle s’est imposée peu à peu, au fil des années, comme s’est s’imposé à eux chacun de leurs tableaux. Bien évidemment, de telles circonstances d’acquisition excluent toute intention de revente des œuvres. L’intégralité de cette collection est aujourd’hui présentée à la Fondation Bemberg, dans la foulée d’une première exhibition publique au musée des Beaux-Arts d’Orléans.
«On essaie d’être indifférents à la mode», avouait Guy Motais de Narbonne lors du vernissage à Toulouse. Motivés par l’émotion plus que la raison, leurs choix dévoilent donc un peu de leur personnalité… Le parcours permet d’entrer dans l’intimité de cette collection privée vivante, racontée par les Motais de Narbonne au rythme des histoires et des coups de cœur qui ont conduit à sa constitution. Dans le petit livret distribué au visiteur, les récits qui accompagnent chaque tableau révèlent alors une part de l’histoire intime qui se tisse entre un amateur et un tableau. «Des collectionneurs ? Certes, mais des amoureux avant tout, qui succombent inconsidérément face à une œuvre à l’iconographie insolite, face à une peinture où la violence affronte la douceur ou dans laquelle ils retrouvent un choc esthétique ressenti au gré des visites des musées qu’ils parcourent comme pour mieux nourrir leur âme de ces dialogues avec les tableaux», note Olivia Voisin, commissaire de l’exposition et directrice des musées d’Orléans.
Dans le catalogue de l’exposition, Guy Motais de Narbonne constate: «Si je veux aller aux racines de la collection, je me demande si nous ne sommes pas animés par une recherche, consciente ou inconsciente, de l’insolite. L’insolite qui, surgissant d’une petite surface de toile peinte, ouvre la porte du domaine des rêves. L’insolite qui, par la couleur, par la composition, par le traitement des personnages, par la saisie des attitudes, apporte un piment excitant dans une iconographie connue. L’insolite qui amène à des correspondances inattendues entre différents peintres, entre différents styles, entre différents sujets. L’insolite que l’artiste a voulu introduire dans son œuvre au moment où il l’a créée, ou bien qui apparaît maintenant, après que les années ou les siècles l’ont fait sourdre de sa composition. Nous avons tous les deux cultivé l’insolite, sans bien nous en rendre compte au départ. Nous nous sommes, en quelque sorte, formés à la recherche de l’insolite, au fur et à mesure des acquisitions. Non pas tant dans le choix des sujets, mais plutôt dans le traitement des sujets. C’est ici un accent de couleur qui crée l’insolite : le voile orangé de la Samaritaine chez Bertin ; le plumet rose sur le bonnet du compagnon du « Bon Samaritain » par Feria ; un petit arbre rouge à gauche du saint Antoine de Cretey. C’est là une composition audacieuse : les deux mains du fossoyeur qui sortent de la tombe chez Louis Joseph Le Lorrain ; les deux énormes clés de saint Pierre chez Cerano ; le groupe des jeunes femmes encapuchonnées qui assistent à L’Annonciation de Subleyras. C’est encore une virtuosité d’exécution qui peut susciter l’impression d’insolite : le surplis de saint Louis de Gonzague par Mazzanti ; les mains du saint Jérôme de Vien ; le visage de Marie Madeleine par Blanchard. Mais c’est aussi et surtout un sentiment général d’insolite qui naît lorsque l’on regarde certains tableaux : le moine en oraison par un peintre anonyme ; « Apollon » par Mellin ; « L’enlèvement d’Europe » par Féret. Bien entendu, l’insolite ne serait rien si la qualité de l’œuvre ne s’imposait au global. Dans les collections publiques, plus encore et mieux encore que dans une collection particulière, l’insolite est partout. Il ne demande qu’à être déniché et précieusement recueilli. Il suffit d’aiguiser notre regard.»
Une question de regard, en effet… Une grande partie de cette collection est traversée par les troublants regards de certains personnages. Que les protagonistes s’observent, que leurs yeux soient dirigés vers le hors-champ ou vers le spectateur qui regarde le tableau, l’intensité qui se dégage de la plupart de ces attitudes attire l’attention. Héléna Motais de Narbonne semble attirée par les mystères cachés derrière ces regards qui stimulent une imagination débordante, à en juger par quelques légendes rédigées par ses soins. Elle affectionne en particulier l’un des chefs-d’œuvre de cette collection: l’ »Autoportrait » (photo) de Simon Vouet, œuvre rare d’un artiste incontournable de la peinture française, peint lors de son séjour à Rome, dans un format rappelant celui d’un miroir. Héléna écrit : «Cet autoportrait m’amuse infiniment car il fait entrer dans l’intimité du peintre. Il a passé la nuit à boire avec ses copains dans le Trastevere, il est quatre heures du matin et il revient dans son atelier et il se dit : “Voilà, il faut que je me remette à travailler maintenant”. Il a les paupières lourdes et le regard un peu absent mais il est encore capable de tenir le pinceau. Le résultat est toujours là sous nos yeux et des siècles plus tard nous partageons encore avec lui sa fin de soirée arrosée.»
Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros
Horaires & Tarifs • Fondation Bemberg
« Portrait de femme sous les traits de Vénus ou d’une source », Nicolas Colombel © Orléans, Musée des Beaux-Arts / Christophe Camus
« Autoportrait », Simon Vouet © Orléans, Musée des Beaux-Arts / François Lauginie
Fondation Bemberg
Collection Motais de Narbonne
Exposition du 22 février au 02 juin 2019