Comme l’écrivait René Guy Cadou (1920-1961),
Des œufs dans la haie
Fleurit l’aubépin
Voici le retour
Des marchands forains
Et qu’un gai soleil
Pailleté d’or fin
Éveille les bois
Du pays voisin
Est-ce le printemps
Qui cherche son nid
Sur la haute branche
Où niche la pie ?
C’est mon cœur marqué
Par d’anciennes pluies
Et ce lent cortège
D’aubes qui le suit.
Voici mes coups de cœur de ce printemps précoce : un disque, une exposition, un film, un concert, une balade.
Prezioso, le disque posthume de Gian Maria Testa : un disque précieux (1)
Quelle émotion, trois ans après sa disparition brutale et prématurée à 58 ans, d’entendre la voix de Gianmaria Testa, cet ami transalpin qui revient de façon inopinée nous parler d’amour et d’amitié. Et nous enchanter une fois de plus.
Né à Cavallermaggiore, et mort à Castiglione Falletto, province de Coni (Cunéo) dans le Piémont, Gianmaria Testa, auteur-compositeur-interprète, était l’un des grands cantautore de la péninsule, comme Fabizio De André ou Lucio Dalla, et le plus francophone des chanteurs italiens. Il est souvent venu chanter en France et à Toulouse en particulier, à la Mounède (aujourd’hui disparue) ou à la Salle Nougaro, pour le plus grand bonheur de ces immigrés italiens venus enrichir la France dans une période tragique de notre histoire commune ; et bien sûr des amateurs de chansons poétiques comme moi.
Balançant entre son amour de la ballade à l’italienne, du jazz et du rock, pour accompagner onze de ses poèmes intimistes, et trois reprises, du Plat pays, pour un hommage à Brel, d’une chanson de migrants italiens, Merica Merica, et d’un poème de Giovanni Pascoli, grand poète italien, que nos cousins piémontais apprenaient à l’école comme nous Victor Hugo, il nous parle encore de sa voix profonde si facilement reconnaissable.
Il s’agit d’enregistrements retrouvés chez le chanteur, et restés à l’état de projets inachevés ; mais son épouse, Paola Farinetti, a tenu à partager cette sorte de testament musical laissé par son mari avec toutes celles et ceux qui aiment Gianmaria. « Le point de départ est constitué par des enregistrements imprécis à faire entendre à ses amis musiciens, avec juste sa guitare et sa voix. Ce sont des traces uniques, non séparées, avec des retours et des bruits que nous avons tâché de corriger, ce sont des bouts d’essai, des ébauches de travail comme base pour des arrangements futurs. C’est un Gianmaria au travail, un artiste dans le mouvement plein de sa pensée et de sa réflexion. C’est un privilège de l’entendre ainsi, un privilège que j’ai voulu partager parce que je pensais qu’il n’était pas juste de le garder pour moi seule”.
Elle a coopéré avec Roberto Barillari, ingénieur du son, pour obtenir au prix d’un long travail technique de post-production, un arrangement cohérent et délicat de textes épars, faits maison, mis en valeur par la voix profonde et chaude, et la guitare seule, le plus souvent.
Et sa belle poésie qui continue à nous parler un po’ di là del mare:
« Un peu au-delà de la mer
Il y a une terre lumineuse
qui ignore les frontières et les digues
Un peu au-delà de la mer
il y a une terre lumineuse
qui ne sait rien des nuits trop noires.
Un peu au-delà de la mer
il y a une terre sincère
comme les yeux de ton fils quand il rit.
Si tu veux, restons ensemble encore ce soir…
Si tu veux, restons ensemble encore ce soir… »
Grazie molto Gianmaria e Paola !
Une exposition de coups de cœur (2) : La collection Motais de Narbonne à la Fondation Bemberg : des petites âmes comme des phares !
http://www.fondationbemberg.fr/fr/exposition : Hôtel d’Assézat Toulouse.
Dans le cadre somptueux de l’Hôtel d’Assézat, écrin de la Fondation Bemberg, jusqu’au dimanche 2 juin 2019.
Dans la lignée des expositions consacrées aux « collections privées » que la Fondation Bemberg, et le Musée des Beaux-Arts d’Orléans offrent à nos regards, celle d’Héléna et Guy Motais de Narbonne**, « n’en est pas une de plus, même s’il y autant de collections que de collectionneurs », comme le fait remarquer la Commissaire, Olivia Voisin, directrice des Musées d’Orléans.
Il faut imaginer 78 peintures (et 2 dessins) de maîtres français et italiens de renom datés entre le XVIIe et le XVIIIIe siècles, dans l’appartement parisien de 150 mètres carrés de ces deux amateurs éclairés (au sens premier du terme, soit Personne manifestant un intérêt passionné, dans un ou plusieurs domaines spécifiques de prédilection, dans lesquels elle a acquis de grandes connaissances, proches de l’amour).
Ils ont établi une complicité avec les Musées, comme celui d’Orléans ou avec la Fondation Bemberg, ouverts à une tradition, à un héritage, mais aussi dans un but de transmission avec le public le plus large.
Tout comme Georges Bemberg, Héléna et Guy Motais de Narbonne ne conçoivent l’art que dans le partage, et cette volonté se traduit non seulement par leurs proches relations avec des historiens de l’art mais aussi avec le public, tous les publics ; et même « empêchés », comme on le disait du temps (hélas révolu pour des raisons bassement financières) de la Culture à l’Hôpital.
Nous sommes dans le registre de la culture dite classique, accessible en général sur photographies par les livres et par internet, mais dans ce lieu exceptionnel de l’Hôtel d’Assézat, les œuvres sont au plus près sous nos yeux, presque tangibles.
Le visiteur un tant soit peu sensible comprend aisément que les choix de ce couple sont guidés par l’émotion plus que la raison, en dehors des modes et des cotes des artistes : en effet, ils résultent de rencontres avec la vie intérieure de ces peintures, et donc de leurs auteurs, qui touchent au « domaine de l’intime ».
Ils ont établi avec elles « un dialogue silencieux ».
A la manière de Francis Jammes (1868-1938), le poète béarnais, dans la salle à manger de sa maison :
Il y a une armoire à peine luisante
qui a entendu les voix de mes grand-tantes
qui a entendu la voix de mon grand-père,
qui a entendu la voix de mon père.
À ces souvenirs l’armoire est fidèle.
On a tort de croire qu’elle ne sait que se taire,
car je cause avec elle…
Il est venu chez moi bien des hommes et des femmes
qui n’ont pas cru à ces petites âmes.
Et je souris que l’on me pense seul vivant
quand un visiteur me dit en entrant :
– comment allez-vous, monsieur Jammes ?
Madame et Monsieur Motais croient à ces petites âmes !
Il faut entendre Madame Motais parler avec tendresse de cette peinture caravagesque anonyme de David tenant la tête de Goliath, qui lui a évoqué « Jacques Brel et un jeune garagiste belge rencontré lors d’un de leurs voyages », ou cet autoportrait de Simon Vouet, qu’elle imagine « après une nuit de bringue avec des amis, devoir se remettre au travail, presqu’à contre cœur ».
Et quand elle présente cet Apollon androgyne de Charles Mellin, son regard brille autant que celui de son époux, plus réservé, car il évoque pour eux le mystère de la Poésie, dont ils sont aussi grands amateurs, et qui « n’est ni féminine, ni masculine ».
Comme Charles Baudelaire, ils vouent presque une dévotion à leurs Phares :
…Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les cœurs mortels un divin opium !
C’est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C’est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !
Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !
En véritables mécènes, les Motais de Narbonne ont déjà fait don d’œuvres à différents musées, mais ils sont aussi des passeurs de beauté et d’esprit, et il serait dommage de ne pas accepter leur invitation, celle des Musées d’Orléans et de la Fondation Bemberg, à partager avec eux ce Festin d’amis, (comme le chantait Jim Morrison, grand poète américain avant d’être une rock star au destin tragique, amateur de peinture autant que de poésie, visiteur émerveillé de la Tate Gallery, pour Turner en particulier).
Un film émouvant et édifiant : Green Book
On connaît surtout Viggo Mortenssen pour son rôle phare dans le Seigneur des Anneaux qui a émerveillé plusieurs générations, d’après les romans de Tolkien, même s’il a joué aussi des rôles marquants chez Sean Penn (Indian Runner), David Cronenberg (A dangerous method) ou John Hilcoat (La route d’après Cormac Mc Carthy). Ici il est à contre-emploi, campant un italo-américain, « brut de décoffrage », comme disent les jeunes, qui se retrouve chauffeur-garde du corps-nounou d’un pianiste classique afro-américain maniéré dans le Sud profond à l’époque de la ségrégation. De cette rencontre improbable naitra une amitié qui durera jusqu’à la mort : c’est une histoire véridique et un bel éloge de la différence et de la tolérance. Mahershala Ali, dans la peau du pianiste adulé, quittant son confort new yorkais pour prendre des risques dans des régions rongées par le racisme, est une belle découverte. Et le réalisateur Peter Farelly, mérite largement son prix du meilleur film dans la catégorie comédie et films musicaux aux derniers Golden Globes.
Ce road movie non seulement se laisse voir avec grand plaisir, mais en plus, il nous émeut et nous donne à réfléchir. Et j’ai eu une pensée émue pour Madame Joséphine Baker, au sommet de sa gloire, revenant pour une tournée sur les routes du Sud où elle avait vécu une enfance de fille d’esclave. Elle avait la volonté « de faire disparaitre par l’exemple les préjugés raciaux, sociaux et religieux, qui ont suscité à travers les âges et dans le monde tant d’injustices et de crimes qui déshonorent la conscience humaine et qui séparent au lieu de réunir. »
Belle profession de foi plus que jamais d’actualité !
Un concert savoureux : Habib Koité à la Salle Nougaro
Devant une salle archi-comble, il commence par un solo délicat avant d’être rejoint par 2 percussionnistes, un clavier, un bassiste (qui joue aussi d’une kora bricolée et électrifiée) et un guitariste. La mise en place et les arrangements sont impressionnants et ils jouent à l’unisson comme un seul homme. Sa voix haut perchée et chaleureuse me rappelle un peu celle de Francis Bébey, aujourd’hui bien oublié. C’est un des musiciens africains les plus populaires, sans limites géographiques : le malien Habib Koité est tout le temps en tournée et cela se comprend. Comme un rêve intérieur, sa musique est fruitée, hypnotique, pleine d’images colorées ; elle fait chaud au cœur et au corps. Il a joué avec Eric Bibb, un des complices en Blues du grand Jean Jacques Milteau, et l’on sent que ce genre musical l’a bercé autant que les musiques africaines. Il dédie une belle chanson à toutes les femmes, dont bien sûr sa mère : « si je pouvais, la Femme ne mourrait jamais ». Et une, sur un rythme mexicain, « pour les amis californiens » qui semble-t-il le reçoivent toujours comme un prince : avec une allusion à la Tequila qui coule alors à flots et « soigne, paraît-il, les rhumatismes ».
En tout cas, sa musique est un remède contre la mélancolie et s’il n’y avait les sièges, la Salle Nougaro se transformerait en dancing : ils font monter une danseuse sur scène tandis que les autres s’agglutinent devant, et le drapeau rouge, jaune et vert fait son apparition : Habib Koité, citoyen du monde, est avant tout une fierté nationale.
A ne pas rater (entre autres) toujours Salle Nougaro Vaudou Game le 4 avril et Otis Taylor le 14 mai…
Une balade d’exception en Midi-Pyrénées : le Château de Mauriac à Senouillac dans le Tarn
https://www.chateaudemauriac.com/le-peintre-bistes-chateau-de-mauriac/
Le Château fort militaire Templier de Mauriac (XIIIème siècle), étoilé au guide vert Michelin et classé parmi les 50 plus belles demeures de France par Art et Décoration, c’est la demeure du peintre Bistes à Senouillac dans le Tarn, où l’on peut admirer une restauration remarquable ornée de peintures du maître des lieux.
Situé au cœur du vignoble de Gaillac entre Albi et Cordes, il a été créé par Guiraudus de Mauriaco, un Templier, et il a été rénové par le peintre Bistes et sa famille. En effet, ils lui ont redonné vie depuis qu’ils s’y sont installés, il y a plus de 50 ans !
Le Château de Mauriac vous attend pour une visite riche en Histoire, Patrimoine et Peinture. Je précise quand même que c’est une recréation à laquelle l’artiste a consacré la plus grande partie de sa vie, il ne faut pas croire pénétrer dans un lieu restauré à l’antique par des archéologues ; mais dans une véritable œuvre d’art aux dimensions d’un château.
Et cela vaut le déplacement.
Sous le galop du vent qui rit.
Les pâquerettes ont fleuri.
Hier n’existe plus. Qui donc parlait d’hier ?
Il fait doux, il fait gai sur les bourgeons ouverts…
Sabine Sicaud (1913-1928)
Je vous souhaite un beau printemps riche en émotions culturelles.
Pour en savoir plus :
- En même temps est publié une autobiographie, également posthume, de celui qui « parle comme il chante », ainsi que l’a définit son ami l’écrivain Erri de Luca dans sa préface : « De ce côté-ci de la mer » de Gianmaria Testa aux Editions du Sonneur. Le disque distribué par Bonsaï est disponible dans les FNAC.
- De Charles Le Brun François Boucher côté français à Francesco Cairo Donato Creti côté italien, ils illustrent tant dans les sujets religieux que profanes les courants du caravagisme et du classicisme par le prisme de la relation intime entre l’œuvre et le collectionneur. Initiée dans les années 80 leurs premières acquisitions n’ambitionnent pas de devenir une collection et pourtant au fil des années c’est tout un pan de l’histoire de l’art qui se constitue. Ce couple d’érudits marque son attirance pour des œuvres où l’histoire et l’humain sont prépondérants. Chacune d’entre elles, marquée par le rapport violence/douceur ombre/lumière donne toute sa place à la créativité de l’artiste.
Initiative généreuse à souligner : un catalogue de format poche, avec la liste exhaustive des œuvres et l’éclairage des collectionneurs, est disponible à l’entrée !