Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Etonnante sensation l’autre jour en parcourant la rue Bayard du début à sa fin puis de sa fin à son début. L’artère, rénovée pendant dix-huit-mois et inaugurée en septembre 2017, voit en effet aujourd’hui se juxtaposer et cohabiter ses différentes « identités ». Longtemps considérée comme « malfamée », notamment du fait de la prostitution et de l’insécurité, la rue a commencé sa mue vers la « boboïsation » ou la gentrification. Certes, le processus n’en est qu’à ses débuts, mais qui aurait imaginé, il y a peu, y trouver une boulangerie artisanale bio ou un restaurant et salon de thé végétarien proposant même un « espace sieste » ? La rutilante boucherie des frères Desroches offre une alternative aux boucheries halal et aux nombreux kebabs. Au fil des années, la rue Bayard a perdu également nombre des fleurons qui faisaient sa réputation nocturne. Le mythique restaurant L’Étincelle (ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7), la boîte de nuit Monsieur Carnaval (qui fut des années durant un des hauts lieux des nuits toulousaines) ou le cabaret La Rose Noire ont disparu. Pour autant, la rue n’a pas perdu son ancrage populaire, comme en témoignent de nombreuses enseignes et de boutiques bon marché, ni sa dimension cosmopolite avec des commerces balkaniques, turcs, asiatiques… Des maisons « traditionnelles » – de Chez Jeannot au Poussin Rose en passant par La Meunière ou Le Colombier – résistent aussi. Les SDF et les mendiants n’ont pas non plus plié bagages. Dans dix ou quinze ans, lorsque l’on dira aux néo-Toulousains que naguère la rue Bayard avait mauvaise réputation, ils auront du mal à le croire.
Cela fait des mois que je n’ai pas croisé dans les rues de la ville Monsieur B. qui était mon professeur d’anglais en cinquième, voici à peu près trente-cinq ans. Ces vingt dernières années, je l’apercevais régulièrement – disons entre cinq et dix fois par an – entre la place Jeanne d’Arc et Esquirol. Il n’avait guère changé. Impossible de se méprendre sur sa silhouette et son visage lunaire, mélange de Woody Allen (en plus grand) et de Michel Houellebecq. J’ai croisé à plusieurs reprises aussi, un temps plus bref, mon ancien professeur de dessin, Madame G, rue des Tourneurs. J’en déduisis qu’elle devait habiter non loin. De ce même collège, je revoyais également dans les rues un pion, plutôt sympathique, qui, lors des heures où il nous surveillait pour cause d’absence d’un professeur, nous occupait en lançant le nom d’un pays dont il fallait trouver la capitale. Je me défendais pas mal grâce, déjà, à mon goût pour l’Histoire et à ma lecture précoce du quotidien Libération – journal, alors de grande qualité, prisé de même par le pion. Ainsi, je n’aurais jamais répondu Tegucigalpa et San Salvador sans mon tropisme pour la vie politique agitée de ces petites nations d’Amérique centrale trop souvent martyrisées par des dictateurs et des « escadrons de la mort » tourmentant mon imaginaire d’adolescent. Je n’ai jamais osé aborder Monsieur B. Je lui aurais dit que les cassettes BASF, sur lesquelles il enregistrait les derniers disques des Pretenders ou de Graham Parker pour quelques élèves prisant le rock anglo-saxon, avaient finalement beaucoup compté dans mon existence. En aurai-je à nouveau l’occasion ?
Qui arrêtera le Stade Toulousain ? Chaque semaine, les Rouge & Noir enchaînent les victoires bien qu’ils soient privés depuis plusieurs semaines de la flopée d’internationaux retenus par le XV de France pour le tournoi des Six Nations. Je regrette que Jacques Verdier ne soit plus là afin de voir cela. Je lui aurais demandé aussi de m’emmener à Ernest-Wallon. Je pense que j’aurais adoré.
En parcourant le livre de Philippe Hugon, Portraits. Histoires vécues et insolites de Toulouse (Éditions Empreinte), je découvre l’incroyable destinée du résistant toulousain Achille Viadieu. Quelle fut-elle ? Vous n’avez qu’à lire le livre.
Lu aussi le prochain livre du toulousain Alain Monnier, L’Esprit des lieux (éditions Climats), à paraître le 20 mars. Superbe récit autour de six « lieux de mémoire », banals ou célèbres, à travers lesquels l’écrivain ressuscite des ombres et des fantômes, des « morts inconnus » nous faisant partager un « sentiment d’appartenance au monde ». Son livre accomplit « le miracle qui nous permet de côtoyer nos frères des temps perdus, d’échapper à l’incessante mobilité pour renouer avec la permanence, de sentir l’éternité en même temps que le présent ». Tout ce que l’on aime.
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