COMPTE-RENDU, Concert . TOULOUSE, Halle-aux-Grains, le 28 fév. 2019. BRAHMS. DEBUSSY. TCHAÏKOVSKI. BORODINE. STRAVINSKI. Orch National du Capitole, N.Sorokin , B. Penas, E. Lee, T. SOKHIEV, direction. C’est la 3ème année que Tugan Sokhiev et l’Orchestre National du Capitole proposent à Toulouse une Académie de direction d’orchestre. Le concert du soir permet aux chefs candidats de diriger devant le public dans des conditions optimales. Puis Tugan Sokhiev dirige la deuxième partie du concert. La salle de la Halle-aux-Grains est pleine et le succès public est au rendez-vous de cet enseignement éclairant. Les séances de l’académie sont publiques et j’ai pu passer la journée de mercredi à assister à cette aventure extraordinaire.
Le concert de l’Académie d’Orchestre de Toulouse, une belle transmission !
Trois jeunes chefs se succèdent dirigeant les même oeuvres à tour de rôle sur les trois jours. Les progrès sont notables chez chacun avec plus ou moins de visibilité. Les explications de Tugan Sokhiev durant les « leçons » sont incroyablement simples et profondes mettant au coeur de sa transmission, le rapport entre les musiciens et le chef, et le respect de la partition mais surtout la place de la musique. Ainsi la technique et la connaissance de la partition sont vite mises de coté pour aborder le mystère de l’alchimie qui peut exister entre un chef et les musiciens de l’orchestre. L’importance du regard posé sur chaque instrumentiste, les gestes qui doivent parler en même temps à divers groupes, les bras pour les cordes et les mains pour la petite harmonie par exemple. Ainsi il va amener chacun à comprendre comment aller plus loin.
Par exemple ce long moment pendant lequel il demande de regarder le hautbois pour obtenir la plus belle phrase et jusqu’à la dernière note alors que le jeune chef regarde au début, puis vite va ailleurs pensant à la suite. Ou comment il prend le bras d’un autre pour montrer la souplesse et la largeur qu’il souhaite lui proposer, ou comme le troisième doit par ses gestes, obtenir plusieurs caractères différents dans la même phrase.
Et ce credo immuable : le chef doit proposer à l’orchestre sa version musicale de l’œuvre, et la rendre lisible par ses gestes car chaque musicien pourrait proposer la sienne et l’orchestre le dévorerait s’il ne savait pas où il veut aller précisément. Ainsi l’angoisse des jeunes chefs en devenir va petit à petit faire place au plaisir de faire de la musique avec cet orchestre si magnifique. Car il faut dire combien les musiciens jouent le jeu avec patience et engagement en conservant une qualité sonore inaltérable.
NIKITA SOROKINE… Le concert du soir a permis au jeune Nikita Sorokine, 27 ans, originaire de Russie, actuellement dans la classe d’orchestre d’Alain Altinoglu à Paris, de diriger le premier mouvement de la quatrième symphonie de Brahms. Il est venu à bout avec panache de cette partition particulièrement complexe et ses sourires ont montré comment il a su dépasser ses appréhensions pour entrer dans le grand plaisir de faire de la musique avec des musiciens d’exception.
BASTIEN PENAS… Le plus jeune du groupe, est Bastien Penas 25 ans, originaire de Bordeaux, actuellement dans la classe d’orchestre à Toulouse. Il a dirigé avec beaucoup de poésie Après midi d’une Faune de Debussy. Tugan Sokhiev lui avait fait remarquer la veille qu’il avait su rapidement se connecter avec l’orchestre. C’est celui qui lors de ce concert final a été le plus proche des musiciens et Sandrine Tilly à la flûte lui a offert une introduction d’une grande suavité, quasi murmurée.
EARL LEE… En troisième oeuvre le chef américain originaire de Corée, Earl Lee a dirigé le premier mouvement de la quatrième symphonie de Tchaikovsky. Plus âgé, il a 35 ans, il est déjà habitué à diriger l’orchestre de Pittsburgh en tant qu’assistant. Son autorité est plus appuyée mais il n’a pas su aller au devant des musiciens avec le regard totalement engagé que lui a suggéré Tugan Sokhiev, dirigeant parfois les yeux fermés ou presque, il a su proposer une version personnelle de cet extraordinaire mouvement d’ouverture de la symphonie du destin.
MAESTRO SOKHIEV… En deuxième partie de concert, le Maestro pédagogue Tugan Sokhiev à mains nues, a dirigé un voyage dans les Steppes de Borodine, périple évocateur et hédoniste laissant ses musiciens s’exprimer librement dans des moments solistes absolument somptueux. Puis avec un drame constamment renouvelé, il a offert une interprétation exaltante de l’Oiseau de feu de Stravinski avec un début venimeux à la beauté sulfureuse avant d’évoluer vers une beauté plus sensuelle et un final grandiose. Pour conclure cette belle édition de l’Académie d’Orchestre 2019, la direction complice et l’admiration réciproque du chef et de ses musiciens a été un véritable bonheur. Deuxième temps forts des Musicales Franco-russes, ce concert a été très applaudi faisant la joie d’un public rajeuni et conquis. Tugan Sokhiev ayant insisté sur l’importance à ses yeux de la transmission et du partage d’expérience, a réussi son pari : proposer à Toulouse quelque chose d’unique en Europe.
Compte rendu concert. Toulouse. Halle-auGrains, le 28 février 2019. Johannes Brahms ( 1833-1897) : Symphonie n°4 en mi mineur, ext. ; Claude Debussy (1862-1918) : L’après midi d’un faune ; Piotr Illich Tchaïkovski ( 1840-1893) : Symphonie n°4 en fa mineur, ext. ; Alexandre Borodine (1833-1887) : Dans les steppes de l’Asie Centrale ; Igor Stravinski (1882-1971) : L’Oiseau de feu ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Nikita Sorokine, Bastien Penas, Earl Lee, Tugan Sokhiev : Direction.
Chronique publiée sur Classiquenews.com par Hubert Stoecklin