Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Vendredi 22 février : retour chez Hedone. Dix petits plats ciselés et vifs pour un très beau dîner. « Le meilleur restaurant de la ville », tranche l’un de nos commensaux. Le meilleur ? Disons notre préféré du moment, le plus excitant, le plus audacieux, le plus inventif. Quelques heures plus tôt, déjeuner au Temps des Vendanges avec Frédéric et Laurent. Deux bouteilles du délicieux Tavel d’Eric Pfifferling ainsi qu’une bouteille d’un pétillant naturel espagnol ont arrosé un fringant repas. Vint le moment des adieux : une tournée de rouge et trois verres de rhum les rendirent joyeux. On repense alors à la vidéo de Jason Chicandier – dont la ressemblance avec Rodolphe Lafarge ne cesse de troubler – sur les vendredis après-midi.
L’autre matin, vers 8h30, à Esquirol, une jeune fille marche en lisant un livre. Spectacle de plus en plus rare et, par là même, réconfortant.
Où est passé le James Brown (Get Up !) de la ville rose ? Des mois, voire plus d’un an, que je n’ai pas aperçu le sautillant et sonore petit bonhomme dans les rues…
Dimanche 3 mars au matin, des employés municipaux réparent certaines dégradations et nettoient les tags – héritage légué par les Gilets jaunes de la veille.
En lisant le beau livre d’Olivier Bertrand, Les Imprudents (Seuil), consacré à l’histoire du maquis de Bir-Hakeim sous l’Occupation, je tombe sur une topographie toulousaine qui m’est familière (le 14 de la rue Caraman, le 45 de la rue Pharaon…) car ce maquis est né ici. À l’époque, les allées François-Verdier se nommaient allées Maréchal-Pétain, ce qui est somme toute logique puisque le résistant toulousain n’avait pas été encore torturé et tué par la Gestapo. Parmi les jeunes Toulousains aux origines de ce groupe de la résistance intérieure, la figure de Christian de Roquemaurel – son frère Marcel sera tué les armes à la main – me fascine plus particulièrement. Ce garçon, en congé d’armistice des hussards de Montauban où il était maréchal des logis-chef, avait 22 ans en 1943. Il draguait les filles. Il devait en amener dans son petit appartement de la rue Pharaon donnant sur cour. Issu d’une famille maurrassienne outrée par l’attitude de Pétain, il devint résistant – avec son frère – comme par réflexe. Page 65 du livre se trouvent les photos anthropométriques prises, après son arrestation, à Montpellier le 20 mai 1944. Le jeune homme affiche un sourire narquois, une insolence folle. Quelle audace, quel panache. On l’envoie à Dachau. Il s’échappe de son wagon. Christian de Roquemaurel mourra en janvier 1998.
Aujourd’hui, qui se souvient d’eux ? Qui se souvient de Marcel Langer, de François Verdier, de Silvio Trentin et d’autres qui ont donné, à Toulouse, leur nom ici à des allées, là à une station de métro ? À quand une rue Roquemaurel ?
Le samedi 19 novembre 2016, j’étais à la librairie Ombres Blanches pour interviewer Paco Roca, auteur du roman graphique La Nueve (Delcourt) qui retraçait l’incroyable aventure de ces soldats espagnols, anciens combattants républicains intégrés dans la 2ème DB, qui entrèrent les premiers dans Paris libéré le 24 août 1944. Placée sous le commandement du capitaine Raymond Dronne, la 9ème compagnie du Régiment de marche du Tchad poursuivit le combat jusqu’à la prise du « nid d’aigle » d’Hitler à Berchtesgaden en mai 1945. Mon entretien terminé, je vis une mère de famille, accompagnée d’un petit garçon, s’approcher de la table où était installé l’auteur pour se faire dédicacer son livre. « Mon grand-père était dans la 2ème DB », dit-elle d’emblée à Paco Roca. Sensation de voir le temps s’abolir, le passé redevenir aussi vivant ou plus vivant que le présent, sentiment de faire corps – certes de manière ténue et dérisoire – avec l’Histoire. Par ailleurs, la femme aux yeux très bleus tenait dans sa main gauche deux livres de poche. Je reconnus un titre de Bernanos et un titre d’Orwell. Bon sang ne saurait mentir, comme dit l’expression.
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