Comme à l’habitude, l’opéra le plus espagnol des opéras français, a pu afficher complet en quelques jours, dès sa mise au programme de l’Opéra Bastille pour de nombreuses représentations, d’abord en mars puis début avril, puis courant juin et début juillet 2017 avec de nombreuses distributions. La représentation enregistrée, celle du 17 juillet, est donnée au CGR Blagnac le jeudi 17 janvier 2019 à 19h30.
Ouvrage en quatre actes, écrit sur une musique de Georges Bizet, créé alors avec un simple succès d’estime le 3 mars 1875, c’est une production avec une mise en scène du sulfureux Calixto Bieito, avec ses acolytes aux décors et costumes et lumières. Il nous offre une transposition de l’ouvrage dont nous vous laissons la découverte, intégrale. Sir Mark Elder dirige les forces vives de l’Orchestre national de l’Opéra de Paris, tout comme le Chœur d’enfants de l’Opéra de Paris et la Maîtrise des Hauts de Seine, tous placés sous la direction de José Luis Basso .
L’amour est un oiseau rebelle nous dit le livret, mais le metteur en scène en fait un oiseau foncièrement de notre époque. Plutôt une femme affirmée, sûre d’elle et de ses atouts, aguicheuse et non soumise aux diktats des mâles, pressée, une témoin de la brutalité masculine et des pressions sociétales.
« Cette musique de Bizet me paraît parfaite. Elle approche avec légèreté, avec souplesse, avec politesse. […] Cette musique est cruelle, raffinée, fataliste : elle demeure quand même populaire. » Voilà ce qu’écrivait le philologue et philosophe et pianiste et compositeur Friedrich Nietzsche, au sujet de la musique de Carmen, après avoir encensé puis délaissé la musique d’un certain Wagner. Opéra qui triomphera très vite par la suite, qui verra la créatrice du rôle, Célestine Galli-Marié, venir reprendre le rôle à Toulouse en 1877. Une certaine Lucienne Anduran-Marre, aficionada de sa scène préférée, celle du Théâtre du Capitole, chantera le rôle plus de 1200 fois au total, autour des années 1930-50 !! Et comment ne pas citer une native de la ville minière de Decazeville, Emma Calvé, prodigieuse interprète du rôle, fin XIXè, soprano, véritable star mondiale du chant, l’incarnation même de Carmen.
Mais revenons au XXIè siècle ! et constatons que tous les ingrédients sont réunis pour faire de Carmen un succès : une succession d’airs merveilleux, des chœurs formidables, des parties orchestrales remarquables, une structure dramatique parfaite, un sens aigu de la beauté mélodique et du plaisir sensoriel, une forte cohérence dramaturgique, ainsi qu’une cohésion interne parfaite.
Rassurons le public, si l’on peut le dire ainsi, c’est bien Carmen qui meurt à la fin, sous la navaja de Don José, et pas l’inverse comme des hystériques des derniers mouvements féministes voudraient voir cet opéra avec une fin manipulée . Le livret ne subira pas de bouleversement et verra bien s’affronter sur scène la mezzo-soprano Elīna Garanča, au demeurant très belle femme, donc très belle Carmen, on a le droit de le préciser, et le ténor Roberto Alagna, Don José bouleversant, à la diction superbe, au timbre de bronze, qu’il me semble complètement superflu de présenter davantage.
Sûr, Carmen reste l’opéra par excellence dans sa trame la plus habituelle : passion, jalousie, couteau avec la relation triangulaire un peu bousculée ici entre un baryton choisi, le toréador Escamillo, Ildar Abdrazakov, la basse-coqueluche du moment, un ténor, dans le rôle, rare, du meurtrier et la soprano ici, plutôt une mezzo-soprano, tuée par son amant délaissé. Les cartes sont un peu, bousculées, renversées. Sans compter, le personnage de Micaëla, la soprano Maria Agresta, la promise oubliée, promise par la maman de Don José, celui qui, malgré tout son amour filial, se laissera guider par ses désirs. L’une doit être la vivante image de la pureté, de la fraîcheur et de l’ingénuité, offrant un contraste saisissant avec l’autre, qui doit être la personnification de la sensualité, mais aussi du péché et du vice pour certains.
On note dans la distribution, la Frasquita de Vannina Santoni qui vient de littéralement éclater dans une production toute récente de Traviata sur cette même scène de l’Opéra Bastille. Bravo !
« Bizet me rend fécond. Le Beau me rend toujours fécond » F. Nietzsche.
Faut-il vous entretenir sur le synopsis de l’opéra du XIXè siècle le plus joué des ouvrages français sur les plus grandes scènes lyriques du monde ? Indéboulonnable, il est toujours dans le trio de tête des opéras les plus représentés. Dans cette Espagne fantasmée par Georges Bizet, on y retrouve bien sûr, tous les lieux communs ibériques – les remparts et les arènes de Séville, la gitane, le toréador, la corrida…mais aussi et surtout une musique radicalement nouvelle et une histoire d’amour qui a marqué les esprits aux quatre coins des civilisations. Arrangé, dérangé, parodié, adapté dès 1910 au cinéma, plus de vingt films répertoriés, jamais apprivoisé, l’ouvrage résiste à tout, même au genre castagnettes et tambourins, et à la version de Stromae sur l’air de “Prends garde à toi. » Amour, érotisme et mort restent les trois composantes essentielles de l’ouvrage.
Mais ce n’est pas parce que Carmen est l’opéra le plus populaire du répertoire, qu’il faudrait négliger la complexité du personnage principal, la jeunesse, la fragilité, la sensualité d’une simple bohémienne. Non, Carmen n’est pas que l’incarnation de la femme libre, volage. Plutôt étrangère aux contraintes comme aux soucis domestiques, elle n’a pas d’instinct de survie. Aurait-elle été mère ? La famille la concernait-elle ? Plutôt une femme fatale, et qui le reste, fatale au sens de femme libre, à la sexualité affirmée et assumée, en aucun cas une victime.
Un tel personnage ne pouvait que déranger le public de 1875, habitué de cette salle, choqué de voir, oh ! stupeur, et pour la première fois, un chanteur mourir sur la scène de l’Opéra- Comique, et qui plus est, une femme. Les librettistes Henri Meilhac et Ludovic Halevy auront réussi un coup de maître, non sans ténacité, après avoir rajouté, pour adoucir, le personnage de Micaëla, absent de la nouvelle déjà édulcorée de Prosper Mérimée à l’origine du livret, écrivain fervent admirateur et connaisseur, lui, de l’Espagne . Hélas pour le compositeur, Georges Bizet n’aura pas eu le temps de savourer le génie de sa musique au service d’une œuvre animale et foudroyante, universelle dans les choix décidés par son héroïne, porteuse d’une morale nouvelle alors et d’un défi, celui de la liberté. Sa musique seule, avait pu parvenir à réunir l’inconciliable : l’amour, la fête et la mort, inextricablement unis dans cette scène au dénouement inoubliable.
Lettre passionnante de P. I. Tchaïkovsky à Mme von Meck du 18-19 juillet 1880, au sujet de l’opéra Carmen, cliquez ici
Cinéma CGR Blagnac
Orchestre et Choeurs de l’Opéra de Paris
Jeudi 17 janvier 2019 à 19h30