La Cinémathèque française consacre une rétrospective à Billy Wilder, scénariste, réalisateur et producteur américain qui a signé une pluie de chefs-d’œuvre inoubliables.
Né en 1906 en Autriche, Samuel Wilder débute une carrière de journaliste à Vienne, puis à Berlin. Il écrit plusieurs scénarios de films muets et parlants pour le studio allemand U.F.A., signant notamment celui des « Hommes le dimanche », réalisé par Robert Siodmak en 1929. Fuyant l’Allemagne d’Hitler après l’incendie du Reichstag, il s’installe aux États-Unis après avoir co-réalisé à Paris « Mauvaise graine », en 1933. Scénariste à Hollywood, souvent en collaboration avec son complice Charles Brackett, il est notamment l’auteur de scripts pour Mitchell Leisen ou Howard Hawks. Pour Ernst Lubitsch, il écrit « la Huitième Femme de Barbe bleue » (Bluebeard’s Eighth Wife) et « Ninotchka », chef-d’œuvre de pure comédie avec Greta Garbo – «J’ai tellement ri que j’en ai pissé dans la main de ma petite amie», aurait indiqué un spectateur sur la fiche de rigueur distribuée au public le soir de l’avant-première). Dans son livre d’entretien avec Cameron Crowe, Wilder assure que la «Lubitsch Touch» est une forme extrême d’élégance insufflée autant par la mise en scène que par l’écriture, dont l’obsession est de fuir toute trivialité et de raconter une histoire par des cheminements inattendus.(1)
En 1942, la Paramount lui confie enfin la réalisation de son scénario « Uniformes et jupons courts » (The Major and the Minor). De 1944 à 1951, ses films trahissent une noirceur teintée de cynisme: « Assurance sur la mort » (Double Indemnity), chef-d’œuvre du film noir tourné en 1944 ; « Le Poison » (The Lost Weekend) montrant les ravages de l’alcoolisme et pour lequel il reçoit son premier Oscar en 1945, mais qu’il juge raté ; « Le Gouffre aux chimères » (« The Big Carnival », 1951), inspiré d’un fait divers, exhibe la grande foire commerciale et religieuse orchestrée par l’Amérique autour d’un accident qu’on s’efforce de prolonger au lieu de secourir la victime ; « Boulevard du crépuscule » (« Sunset Boulevard », 1950), critique cinglante de Hollywood. Chargé d’épurer le cinéma allemand à la libération, il retourne à Berlin où il trouve l’inspiration pour tourner en 1948 « la Scandaleuse de Berlin » (A Foreign Affair), avec Marlene Dietrich.
En 1952, « Stalag 17 » inaugure une période au cours de laquelle Billy Wilder s’affirme de plus en plus en tant que producteur de ses films. Son style de moraliste assume alors une misanthropie sur le mode de la satire et de la parodie, tel « Sept ans de réflexion » (The Seven Year Itch) qui ridiculise le «mâle» américain, tout en consacrant Marilyn Monroe et sa robe rebelle au dessus d’une bouche d’aération du métro. Doué d’un fabuleux sens du rythme et du trait d’esprit, il enchaîne les comédies irrésistibles gravées dans l’histoire du cinéma, comme « Certains l’aiment chaud » (« Some Like It Hot », 1959), où il retrouve Marilyn Monroe fredonnant « I Wanna Be Loved by You » entre Tony Curtis et Jack Lemmon travestis en musiciennes dans un orchestre de jazz («Personne n’est parfait!»). Si on a coutume de retenir les reproches du cinéaste envers celle qui tardait parfois à rejoindre le plateau de tournage, il louait pourtant son talent unique et inégalé pour la comédie et lui reconnaissait une spontanéité jamais observée chez les autres actrices qu’il avait dirigées ou qu’il avait vues travailler. Audrey Hepburn (photo) était pour Billy Wilder la seule à surpasser Marilyn Monroe dans ce domaine. Dans « Sabrina » (1954) et « Ariane » (« Love in the Afternoon », 1956), il offrit deux merveilleux rôles à celle dont il admirait le charme et la vivacité, appréciant sa conscience professionnelle et s’émerveillant de son inventivité.
S’il a écrit des rôles majeurs aux plus grandes actrices de son temps, il confessa avoir été bluffé par la performance de Charles Laughton dans « Témoin à charge » (« Witness for the Prosecution », 1957), et regretta de ne jamais avoir travaillé avec Cary Grant, son acteur préféré. Il signe en 1960 « la Garçonnière » (The Apartment), film sombre où il s’attaque à l’obsession de la promotion sociale chez les cadres et aborde le problème du suicide. Elle restera l’une des œuvres favorites du cinéaste dont la filmographie est truffée de personnages obsédés par le sexe, certes, mais surtout par la réussite, c’est-à-dire l’appât du gain.
Il écrit dans les années soixante-dix le très brillant « la Vie privée de Sherlock Holmes » (« The Private Life of Sherlock Holmes », 1970) dont il juge le montage saboté, ou encore « Fedora » (1978), avec son acteur fétiche William Holden, l’histoire d’une star déchue retirée sur une île grecque. Hantés par la mort et peuplés de scènes macabres, ses derniers films sont tous tournés vers le passé, ce qui n’était pas le cas dans ses œuvres antérieures ancrées dans le présent et l’actualité – notamment l’hilarant « Un, deux, trois » (« One, Two, Three », 1961) qui a pour cadre le Berlin de la guerre froide. Selon Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, «le motif majeur de ces derniers films est celui qui domine un grand nombre des œuvres antérieures : la supercherie, le déguisement (figuré ou littéral).»(2)
Entre « Mauvaise graine » et « Victor la gaffe » (« Buddy, Buddy », 1981), Billy Wilder aura réalisé vingt-sept films que la Cinémathèque française propose aujourd’hui de redécouvrir. Dans leur bible « 50 ans de cinéma américain », Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier estiment que «ces films si inhabituels sont ceux d’un auteur complet. Non seulement il est l’un des très rares réalisateurs à tourner des scénarios originaux, mais il les écrit lui-même, et quel que soit son collaborateur (Charles Brackett pour les drames, I. A. L. Diamond pour les comédies), ses dialogues sont les plus brillants, avec ceux de Joseph L. Mankiewicz, du cinéma américain. Ceux de « Boulevard du crépuscule » restent insurpassés. Et si parfois ses comédies pêchent par abondance (il ne résiste jamais au plaisir d’un mot, d’un one-liner percutant même s’il est un peu gratuit ou sans rapport avec la situation), la plupart sont néanmoins plus riches en répliques excellentes que n’importe quel succès de Broadway. Le plus surprenant, c’est qu’il n’y ait rien de théâtral dans les films de ce maître du dialogue qui déclare : “Écrire un film représente 80 % du travail”. Ses mises en scènes brillent par un sens du rythme et une acuité visuelle totalement cinématographique. Wilder est aussi, comme tous les grands, un réaliste, toujours attentif à l’authenticité du langage, du décor, même en plein burlesque, d’où l’intérêt de ses personnages qui restent toujours vivant et ne perdent pas contact avec le réel.»
(1) « Conversations avec Billy Wilder », Cameron Crowe
(Institut Lumière / Actes Sud)
(2) « 50 ans de cinéma américain » (Nathan, 1995)
Rétrospective jusqu’au 8 février, à la Cinémathèque française,
51, rue de Bercy, Paris.