Les Confins du monde, un film de Guillaume Nicloux
1945, La France ignore qu’une poignée d’années plus tard, la bataille de Dien Bien Phu scellera à jamais son départ du Tonkin. Pour l’heure, l’armée française survit dans une jungle indochinoise forcément hostile, protégeant tant bien que mal quelques colons égarés dans cet enfer.
Le jeune lieutenant français Robert Tassen a échappé par miracle à un massacre, mais il a été témoin de la tuerie au cours de laquelle son frère est mort devant lui. Cette scène le hante au point de provoquer chez cet officier une véritable névrose obsessionnelle : le désir de vengeance.
Désir d’autant plus fort qu’il connaît l’auteur des faits, Vo Binh, un guérillero vietnamien. Il ne va alors avoir de cesse que de constituer un commando et de partir à sa poursuite. C’est le début d’un cheminement poisseux, dangereux, mortel aussi, dans lequel la raison vacille. Avant de partir pour un ultime raid, Robert a rencontré l’amour, celui d’une jeune prostituée indochinoise, Maï. Le coup de foudre est réciproque. Dans un autre domaine, Robert croise les pas de Saintonge, un écrivain sorti de nulle part, lunaire, douloureux aussi car il vient de perdre un fils engagé contre les Allemands. Il essaie de se reconstruire dans un pays au bord de l’explosion.
Entre alcool, opium et décharge d’adrénaline, ce film, d’une intense virilité, nous met, encore une fois, mais cela est finalement rare, face à l’horrible démesure de la guerre, démesure dans la violence et dans la disparition des rapports humains. Autant prévenir, certaines séquences sont insoutenables. Mais le scénario va ici plus loin. Il nous plonge dans la psyché de Robert. Et le coup de génie du réalisateur est de nous y immerger lors d’une scène sublime d’intensité. Au cours d’un déplacement punitif dangereux, en pleine jungle, lors d’une pause, un soldat questionne Robert : « On y va alors, mon lieutenant ? ». Suit un très long plan de Robert, muet, comme figé dans le temps et l’espace. Qui va gagner, de sa guerre intime ou de celle de ses soldats ? Malgré les enjeux potentiellement mortels de sa décision, le moment est porteur d’une fabuleuse émotion. Le réalisateur nous laisse deviner, voire nous implique personnellement dans ce cataclysme existentiel, nous laissant le temps d’entrevoir le séisme mental qui s’est emparé alors du jeune officier. Nous n’aurons pas la réponse, car ce film n’est pas un vrai film de guerre. Dans une dimension fantasmée, c’est d’un autre combat dont nous parle Guillaume Nicloux, un combat intime et personnel, une quête pour un deuil et une reconstruction, un cheminement qui ne trouvera sa réponse qu’aux confins d’un monde qui n’a plus rien de géographique. Un très grand moment de cinéma.
Gaspard Ulliel s’empare de Robert avec une autorité stupéfiante de profondeur et d’engagement physique. A ses côtés, Lang-Khé Tran (Maï) incarne tout l’asservissement d’un peuple. Guillaume Gouix, comme à son habitude est simplement mais absolument épatant. Saintonge, c’est Gérard Depardieu. Immense en homme brisé, il est la parfaite antinomie de la boule de haine qu’est devenu Robert.
Âmes sensibles s’abstenir, certes, mais quel film !
Robert Pénavayre
Les Confins du monde – Réalisateur : Guillaume Nicloux – Avec : Gaspard Ulliel, Gérard Depardieu, Lang-Khê Tran…
Gérard Depardieu – Notre Gégé national !
Que dire sur une légende ? Dernier monstre sacré masculin du cinéma hexagonal, Gérard Depardieu jouit d’une aura incontestable malgré quelques affinités sulfureuses et des addictions qui ne le sont pas moins… Ce fils de tôlier dispose d’un palmarès à faire pâlir Outre-Atlantique. A 70 ans dans quelques jours, il a tourné plus de 200 fois, longs et séries confondus, fait du théâtre, chanté et collectionné des prix prestigieux. On peut ne pas aimer ce touche-à-tout lunaire, cette montagne de sensibilité au regard de velours et à la voix caressante, mais on ne peut nier un talent qui tient du génie.