La joie de vivre, publié chez Le Serpent à plumes, est assurément un livre qui ne laissera pas indifférent. Son auteur, Thomas Bartherote, explique son projet à la croisée entre vacuité existentielle et complexité humaine.
Ici, le héros doit accomplir un acte – somme toute – banal, un acte de tous les jours : sortir et acheter une baguette. Or, ceci peut s’avérer plus compliqué qu’il n’y paraît. L’auteur zoome pour ausculter au microscope les moindres réactions et sensations qui naissent du vide. Un exercice de style pas facile auquel s’est prêté le jeune romancier. Il nous raconte.
Comment vous est venue l’idée d’écrire sur la difficulté voire l’impossibilité d’accomplir un acte quotidien et banal : acheter du pain ?
Mon intention de base était d’écrire sur le « rien ». Ecrire sur la plus infime des histoires. Une histoire banale à première vue mais qui peut être riche de sens et de potentiels de transformations pour le héros. Alors je me suis dit qu’un acte aussi banal que se lever le matin et aller acheter du pain, pouvait faire l’affaire. Et puis le pain possède une forte symbolique. Donc ça m’a plu. J’ai décidé de creuser cette banalité, ces gestes quotidiens, pour voir s’il ne pouvait pas s’y cacher des choses plus grandes et que l’on vit sans en avoir conscience.
Votre écriture s’immisce partout et ausculte les moindres faits et gestes de votre personnage comme si une caméra le suivait sans cesse. Pourquoi cette volonté d’immersion réaliste ?
D’abord d’un point de vue purement formel étant donné la faiblesse de ma trame narrative je me devais d’aller au plus près des actions du héros. Et puis j’avais aussi envie de pousser notre regard là où il n’a pas l’habitude d’aller. Tout près de nous, il y a un monde, d’une complexité et d’une intensité folle. Si l’on prend le temps d’analyser toutes les actions à priori banales que l’on fait chaque jour on voit très vite que ça met en jeu une multitude de phénomènes qui nous échappent. Dans cette volonté immersion réaliste il y a cette volonté de reprendre en main notre environnement le plus proche, le plus intime. Le questionner pour savoir comment se placer par rapport à lui. L’appréhender le mieux possible pour ne pas le subir.
Par ailleurs, votre roman peut sembler ubuesque ou encore surréaliste ? Êtes-vous d’accord avec ces adjectifs ?
Le côté surréaliste, c’est totalement voulu. Il y a des passages qui font penser à de l’écriture automatique. C’est une stratégie stylistique qui fonctionne bien avec l’idée de suivre le flot de pensée du héros. On est dans sa tête et ça virevolte, ça saute d’une idée à l’autre, ça fait des ponts inattendus et parfois ça donne des images intéressantes. Pour le côté ubuesque, c’est vrai qu’il y a comme une immense montagne à gravir pour le héros et que tout ça peut paraître absurde voire comique. Mais ce n’était pas mon objectif premier.
Le titre La joie de vivre n’est pas ce qui caractérise votre héros qui est plutôt sombre, pourquoi ce paradoxe ?
Pour faire une petite blague. C’est ironique. Pour casser un peu cette atmosphère lourde et dure que j’ai voulu créer. Pour décaler un peu le livre d’une cohérence simpliste. J’aime bien quand les choses bifurquent et ne sont pas tracées toutes droites.
Enfin, on qualifie votre roman d’ovni, quelles sont vos sources d’inspiration ?
Pour ce livre je crois que le rap en général m’a beaucoup inspiré. J’ai eu envie de l’écrire comme un couplet de NTM à leurs débuts, comme un texte de Casey. J’avais envie que l’écriture soit violente et brute. Un coup de poing dans les entrailles. Après pour les inspirations littéraires, il y a je crois, Bukowski, Jack London, Flaubert… Et pour les inspirations diverses il y a : l’image d’un gros trait noir sur un mur clair et le rythme d’une grosse caisse de batterie, un son dédié à nos estomacs.
Sylvie V.
photo : Thomas Bartherote © Alexandre Mipalis