Meryem Alaoui signe un premier roman très touchant, La vérité sort de la bouche du cheval, publié chez Gallimard. L’histoire d’une prostituée à Casa.
Le roman débute un vendredi de juin dans la chaleur de Casablanca. Dès les premières pages on s’immisce dans le quotidien de Jmiaa. Prostitué, mère de famille, Jmiaa raconte sa vie avec ses mots, ceux de la rue, du trottoir, des espoirs perdus. De la colère aussi.
Femme forte et déterminée Jmiaa se prostitue depuis longtemps. C’est Houcine qui les met au travail et les protège. Car la vie est loin d’être rose. Les filles vivent dans des pièces sordides, dans des quartiers pauvres et dans les excès en tout genre. Mais au pied des bâtiments, elles forment une famille, un réseau. Elles se parlent, se jaugent, se disputent souvent et se reparlent ensuite. Le passé, on ne l’évoque jamais, seul le présent compte, fait de petits riens et de passes. Alors Meryem Alaoui fait un zoom sur Jmiaa, entre dans sa vie, pénétre son langage et explore son chemin de vie. Un chemin en zigzag semé d’embûches. Jmiaa était une jeune fille pleine d’espoirs. Puis elle rencontre Hamid et c’est l’amour qui frappe. Jmiaa insiste pour que ce soit lui et sa mère obtempère. Jmiaa et Hamid partent faire leur vie et là tout bascule. Hamid ment, joue, triche, complote. Jmiaa accepte tout et même le pire.
La réalité de la rue
Ce sont de nombreuses années à errer dans les rues qui s’ensuivent pour Jmiaa. Hamid est parti en Espagne. Abandonnée de tous, Jmiaa ne se voit pas revenir chez sa mère, Mouy. Elle ment à son tour et invente sa vie avec sa petite fille Samia. Après tout, personne ne l’emmerde, elle a ses copines de rue, de quoi dormir, manger, boire et fumer et elle a même un semblant de copain avec Bouchaïd. Elle ne se débrouille pas trop mal finalement. Alors les années passent et Jmiaa ne se plaint pas.
Mais un nouveau personnage entre en scène, une réalisatrice, « bouche de cheval », comme l’appellera Jmiaa. Bouche de cheval veut faire un film et Jmiaa l’intéresse. D’abord pour la consulter et la questionner sur son mode de vie. Jmiaa est réticente mais, curieuse, elle accepte. A force de rencontres et de se tourner autour, bouche de cheval en est persuadée, c’est Jmiaa qui doit tenir le rôle principal. Elle seule peut donner vie à la réalité.
Un portrait haut en couleur
Jmiaa c’est un destin, le portrait d’un Casa clandestin où certaines femmes se prostituent, où le tabac, les drogues et l’alcool circulent sans problème. Un portrait fait de violence et de misère. Et pourtant Jmiaa c’est aussi le rire, le franc parler, la folie, un personnage attachant de sincérité. L’auteur.e s’est glissée dans la peau de son personnage avec un réalisme exceptionnel. C’est Jmiaa qui parle, qui vit, qui rit entre les lignes.
C’est aussi une vision d’un Casa populaire qui est dépeint et qui n’est pas sans rappeler un film qui avait fait scandale, Much loved, où on suivait la vie bousculée de trois prostituées marocaines. Meryem Alaoui aborde des sujets très sensibles avec beaucoup de délicatesse. Il n’est pas question de vouloir choquer ou dénoncer.
Le résultat est époustouflant, un premier roman qui bouleverse par sa sincérité et sa vérité.
Sylvie V.
Meryem Alaoui, La vérité sort de la bouche du cheval, Gallimard, 272 p.
photo : Meryem Alaoui © Francesca Mantovani
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cinemagraph © Pierre Beteille