(se) natchaver [argot issu du romani]: s’en aller, se faire la belle. Voilà le point de départ de Natchave, le nouveau livre écrit par le nîmois Alain Guyard. Une écriture franche qui rentre dans le lard. Une réussite.
Vêtu d’un costume, indéboulonnable, « rien » tatoué sur une main, « tout » sur l’autre. De passage à Toulouse, il affirme « qu’il n’y a pas de petits lieux. » Revendiquant la légèreté, il se laisse porter d’une médiathèque à une prison, d’un hôpital à un troquet. Alain Guyard, en écrivant Natchave, fait de la philosophie sans traîner des pieds. Un philosophe se reconnaît à l’état lamentable de ses tatanes.
C’est pourquoi, si nous passons en revue nos prétendus sédentaires de la pensée, nous découvrons bientôt qu’ils sont animés d’une passion certaine pour le mouvement. Ainsi de Spinoza, qui arpente à la nuit les rues d’Amsterdam pour coller des affiches incendiaires contre des assassins. Descartes, lui, rôde dans toute l’Europe au gré des guerres auxquelles il participe comme officier mercenaire. Sade s’ennuie très vite dans son boudoir et passe des prisons aux asiles d’aliénés où il monte des happenings […] Hormis Kant, Hegel, Luc Ferry et consorts, dont la somnolence benoîte de la conscience n’a d’égal que le confort de leur train de vie, le propre du philosophe véridique demeure, malgré tout, le goût prononcé pour la dérive et la natchave.
L’auteur fait front contre les « philosophailleurs jargonnant le cul sur leur chaise, » les « universailleurs bouffés d’ambition. » Il assume « ne rien faire de classique. » Il écrit comme l’on se bastonnerait sur une péniche qui tangue. Un rythme réjouissant soutient ses phrases. Des mots rares s’y élancent, comme des poissons volants. Gabelous, décourade, sorbonnicole, morfil, dromomanie, parturiente, badigoinces… Alain Guyard travaille cette écriture gaillarde qui prend une exubérance moyen-âgeuse. Cette puissance donne de l’élan et fait de ce livre un coup de jus.
Faire philosopher autrui, c’est le conduire dans les noires forêts des Balkans de sa conscience, le forcer à remonter par les torrents rocailleux et puis l’égarer dans la steppe sauvage de son âme échevelée.
Ce livre est une porte d’entrée. Ceux qui n’ont jamais lu d’écrits philosophiques, ou peu, sont conviés à le lire et à se laisser séduire par cette aventure. Sortez de chez vous, trouvez (ou non) ce livre et marchez.
Natchave, Editions du Dilettante, 192 pages.