Les Frères Sisters, un film de Jacques Audiard
Dans un western crépusculaire, Jacques Audiard nous amène sur les pas de deux tueurs en quête, si ce n’est de rédemption, du moins d’humanité. Splendide !
Charlie et Eli sont des tueurs sous contrat avec le Commodore. Fines gâchettes, Ils tirent sans faillir. Malins comme des singes, ils passent sains et saufs à travers les pires fusillades. De vrais pros.
De temps en temps il y a bien une bavure, mais ce sont les risques du métier et cela n’altère en rien leur état d’âme. Les voilà lancés à la poursuite de Warm, un chimiste ayant inventé une méthode fabuleuse pour trouver de l’or par luminescence. Celui-ci est déjà « chassé » par Morris. A vrai dire, sur le papier, il a peu de chance de s’en sortir vivant une fois la formule découverte. Sauf que, voilà, l’ouest de la ruée vers l’or que filme Jacques Audiard, avec ses paysages infinis, ses chevauchées, ses saloons et ses bagarres n’a plus grand-chose à voir avec les iconiques images du genre. Le réalisateur/scénariste s’intéresse surtout aux hommes qui le peuplent. Ici un gentil savant (Warm) qui rêve d’implanter au Texas une cité idéale, faite de partage. Là un chasseur de prime (Morris) qui va finir par réfléchir à sa mission. Et au milieu deux frangins meurtris par la vie, par leur père en particulier. Ils ont quitté depuis longtemps le foyer familial après avoir accompli un acte définitif… Eli, l’aîné, ne songe qu’à y revenir. Charlie, le plus traumatisé, est devenu une boule de violence, totalement incontrôlable. Au gré de leurs poursuites et de leurs rencontres, ils parlent, se confient mutuellement autour d’un feu de camp, se posent des questions existentielles alors qu’Eli découvre la brosse à dents et la pâte dentifrice à la menthe.
Nous sommes au milieu du 19ème siècle au cœur de l’Oregon. Contre toute attente, ces quatre hommes vont fraterniser, donnant à cette terre hostile un peu de leur chaleur humaine. Ce faisant, le scénariste revisite, pour ne pas dire déconstruit les codes du western classique. Point de héros ici, ni de faits d’armes glorieux, ni d’orphelins à protéger, mais une quête inlassable de liberté. En creux le lien d’une formidable puissance liant les deux frères, un amour fraternel que l’on devine insondable. Au pire de leur dissension, ils sont inséparables malgré tout. L’un sans l’autre est inenvisageable. Peu d’éléments féminins à l’horizon, si ce n’est une bien-aimée lointaine dont Eli hume à l’envie une écharpe qu’il garde précieusement. Cette amitié virile qui va unir ce quatuor improbable nous joue le thème d’une humanité éternelle et, ici, retrouvée. Pour son premier film Outre-Atlantique, Jacques Audiard s’est assuré le concours de comédiens d’exception : Joaquim Phoenix (Charlie), John C. Reilly (Eli), Jake Gyllenhaal (Morris) et Riz Ahmed (Warm).
Un sommet de la rentrée cinématographique, en route certainement pour les Oscar.
Robert Pénavayre
Les Frères Sisters – Réalisateur : Jacques Audiard – Avec : Joaquim Phoenix, John C. Reilly, Jake Gyllenhaal, Riz Ahmed…
Jacques Audiard – Un stakhanoviste des nominations et des récompenses
Le fils de Michel Audiard ne compte plus ses récompenses cannoises et ses César. Peu de film pour ce sexagénaire, mais que des réussites dont la moindre n’est pas son Prophète (2008). Bon sang ne sachant mentir, Jacques Audiard écrit les scénarios de ses films et de bien d’autres d’ailleurs. Il est une figure majeure du panorama hexagonal cinématographique.