La primo-romancière Inès Bayard publie chez Albin Michel Le malheur du bas, un roman époustouflant qui ne laisse pas reprendre son souffle – INTERVIEW –
Déjà très bien accueilli, il est un des premiers romans les plus remarqués de cette rentrée littéraire. Un engouement hautement mérité pour accueillir une nouvelle plume qui ne manque pas de talent. Un sujet choc, une héroïne qui lutte contre la violence et le silence et le récit d’une chute libre vers le chaos. Inès Bayard nous raconte la genèse de son roman.
Pour votre premier roman, Le malheur du bas, vous avez choisi un sujet très fort et hélas d’actualité. Pouvez-vous nous dire de quel mal il s’agit ?
Le viol est un sujet d’actualité mais il existe depuis toujours et c’est justement sur ce point qu’il y a problème. Le mouvement #metoo a changé considérablement le rapport établi entre les hommes et les femmes, c’est certain. Mais la préoccupation actuelle est de rester vigilant, de ne pas reculer, il est encore temps de se servir de ce moment historique pour changer juridiquement les choses, et de toujours garder à l’esprit la violence physique et psychologique que constitue un viol.
Vous parlez du viol avec une écriture puissante et qui ne cache aucune vérité. Était-il important pour vous d’adopter cette écriture organique qui permet au lecteur de ressentir toutes les émotions intérieures de votre héroïne ?
Mon écriture est certainement très influencée par les mouvements littéraires allemands d’après-guerre. Ressentir le corps dans un texte change immédiatement la position du lecteur. Il se retrouve souvent dans une situation inconfortable. Récemment, je suis revenue visiter le Musée Juif de Berlin. L’architecture de Daniel Libeskind est terriblement oppressante, le manque d’aération et de lumière, ce sol penché en permanence renforcent la sensation de malaise. Pour l’écriture c’est pareil. Plus le lecteur tangue, se renverse, se sent bousculé dans ses certitudes, plus le résultat est une réussite. De plus, il me semble, et cette impression est confortée par les témoignages des femmes que j’ai attentivement lues avant d’écrire ce livre, que la violence d’un viol passe avant tout par le corps, par la violence qu’il subit physiquement. Ne pas accorder mes mots avec cette réalité m’aurait paru malhonnête.
La première scène est surprenante, tragique, pourquoi avoir commencé par la fin ?
Je suis étonnée que l’on me pose cette question aussi souvent car il me paraît certain qu’il n’y a pas plus efficace que la prolepse pour capter l’attention du lecteur. C’est seulement un outil de narration qui fonctionne très bien et que l’on retrouve par ailleurs beaucoup dans le roman policier. Une scène de meurtre demande explication et l’explication, c’est la suite du texte. Et sauf exception, le lecteur aura toujours besoin de connaître la réponse à sa première question : pourquoi cette femme a-t-elle assassiné son petit garçon et son mari ?
Votre 1re roman est très bien accueilli par le public mais aussi par les critiques. Vous faites déjà partie de la première sélection du Prix Goncourt et du Prix de Flore, quel sentiment cela vous procure ?
Les prix vous donnent avant tout une forme de légitimité académique, qui peut d’une certaine manière vous encourager à croire en votre travail. Mais il faut aussi se rendre compte, et cela en toute honnêteté, que cela créer des mouvements très divers. Et, puis, il y a cette grande visibilité qui invite les gens à acheter et à lire des livres ce qui est très positif. Pour ma part, j’ai besoin de calme pour travailler, d’être isolée. Le plus important reste l’écriture, il ne faut pas perdre cette ligne, car à la fin il n’y a que ça qui reste.
Vous êtes à Toulouse ce jeudi 20 septembre à la librairie Ombres Blanches pour une rencontre-dédicace. Je crois que vous connaissez bien Toulouse, quel souvenir en gardez-vous ?
Toulouse c’est ma ville de naissance. J’y suis restée jusqu’à mes dix-neuf ans avant de continuer mes études à Paris. Plus je m’éloigne de Toulouse, plus cette ville me manque. Je suis vraiment heureuse de présenter mon livre à Ombres Blanches, c’est une forme d’accomplissement pour moi. C’est une magnifique librairie et les libraires sont d’une qualité remarquable. Parfois, je venais chercher un livre dont personne n’avait jamais entendu parler, et je me retrouvais à en discuter pendant une heure avec un libraire. On se sent immédiatement à l’aise, ce qui n’est pas toujours le cas.
Inès Bayard sera à Ombres blanches jeudi 20 septembre pour une rencontre qui commencera à 18h.
Sylvie V.
Inès Bayard, Le malheur du bas, Albin Michel, 272 p.
photo: DR/Albin Michel