Première soirée au Cloître avec Joaquim Achucarro qui nous livre un magnifique Chopin tout au long d’un récital magistral. On poursuit avec le jeune et beau et blond Joseph Moog qui a décidé que lui et l’instrument ne faisaient qu’un, et la démonstration en fut convaincante. Changement de décor avec Saint-Pierre des Cuisines et les œuvres pour piano de l’insaisissable Moondog, défendues avec autorité et affection par Nicolas Horvath.
Revenons sur le premier concert de notre octogénaire aux yeux bleus pétillants Joaquim Achucarro. La musique est bien au rendez-vous à chaque note et on se plaît à remarquer que les Préludes qui se succèdent, forment comme un tout qui fait passer cette première partie de récital sans distraction aucune. Vision unitaire totalement réussie. Aucune de ces pièces de la plus courte à la plus longue ne nous échappe. L’unité est bien née de la diversité, principe cher dans ces Préludes à un certain Alfred Cortot. Avec l’éloquence d’une passion souveraine, un toucher immense et lumineux, les œuvres qui suivent ne font que compléter, de façon irrésistible, les mille et une saveurs des partitions de notre franco-polonais. Des qualités d’interprétation que l’on peut répéter pour ce Clair de lune de Claude Debussy offert en deuxième “encore“. Le rendez-vous affichait complet, ce dont on ne pouvait douter.
Quant à Joseph Moog, si les deux Fantaisies de Mozart données en ouverture de récital ont pu nous interroger, la Sonate n°14 de Beethoven remettait les choses en place. Le clavier appartient bien à ses dix doigts et on ne s’amuse pas avec les pédales. Démonstration est faite que le qualificatif “Clair de lune “ convient mal à l’ouragan qui fait brusquement irruption au finale. Et c’est bien le désespoir qui fait irruption. Franz Liszt trouva l’expression la plus géniale et la plus vraie disant du deuxième mouvement, l’“allegro moderato“ : « une violette entre deux abîmes » Joseph Moog a su être au plus près de cette très belle image.
Mais, c’est surtout la seconde partie qui reflétait au mieux tout le talent de ce jeune pianiste déterminé qui commença à grimper sur le tabouret de piano à 4 ans, donnait des récitals à 6, et des concerts à 11. Que dire des Trois Sonnets de Pétrarque de Franz Liszt et, venant après un Gibet inquiétant à souhait, de son Scarbo, dernier morceau du Gaspard de la nuit conclusif du concert dans lequel on retrouve toute la nervosité d’un Ravel, son énergie et son accentuation si caractéristique ? Sans oublier auparavant, la Rhapsodie Hongroise n°12 de Liszt, déjà hyperromantique, revue par le pianiste lui-même, qui a achevé là, si besoin était, la démonstration de sa redoutable virtuosité. Ce programme conséquent sera suivi de cinq “encore“, chacun bien généreux, achevant de mettre en valeur les multiples facettes du talent du pianiste. Qui se risquera même à donner une pièce qu’il n’a encore jamais interprétée devant un public. L’enthousiasme de l’interprète ne pouvait que se communiquer à un public ravi qui, comme la veille, pour Joaquim Achucarro ne se résignait pas à quitter le Cloître.
La création mondiale qui a lieu ce samedi 8 septembre aurait dû, façon de parler, être précédé de la lecture de quelques passages du livre consacré au dénommé Moondog, ouvrage écrit par Amaury Cornut. La vie de ce personnage hors du commun est telle que, faire un commentaire sur les œuvres interprétées ce soir ici paraît incongru. Tout se résume même dans une seule phrase tirée de l’une de ses chansons : « Aujourd’hui est le lendemain d’hier qui est notre présent. » Clin d’œil permanent à son compositeur fétiche, Jean-Sébastien Bach, on veut à tout prix essayer de rattacher sa musique à des noms plus connus, évidemment, de Satie en passant pas Glass et Reich et d’autres.
Né en 1916, décédé le 8 septembre 1999, aveugle à seize ans, vivant dans la rue, ou dans une chambre prêtée par Philip Glass, ou à l’hôtel, le Viking coiffé d’un casque à cornes compose des symphonies, cherche des copistes, écrit des chansons, monte un quatuor, est récupéré par des labels, exploité par d’autres, invité permanent des répétitions de l’Orchestre Philharmonique de New-York du temps de Leonard Bernstein, compose des madrigaux, puis des pièces pour piano comme celles constituant le « livre I » de son Art of The Canon, une pièce par jour à partir de février 1961, 25 en 28 jours, amorce la même année « Grosse Kanon », énorme partition qui constitue la dernière défendue par Nicolas Horvath, pianiste hors norme, il ne pouvait en être autrement.
Passionné de musique contemporaine, adepte des récitals marathons au cours desquels il peut, seul, et sans pause, interpréter l’intégralité de la musique d’un Philip Glass ou d’un Erik Satie !! Rien ne résiste à Nicolas Horvath : il se prépare à enregistrer l’intégralité des sonates pour piano de l’estonien Jaan Rääts et les œuvres de Régis Campo. Moondog et lui auraient dû se rencontrer. C’eut été explosif. Ce sera sur une autre galaxie.
Ce récital constitue la première manifestation consacrée aux créations musicales de ce personnage inclassable, Moondog, qui fera donc l’objet de cette saison toulousaine particulière décidée et défendue, bec et ongles, par Hervé Bordier.
Michel Grialou
Festival Piano aux Jacobins
du mercredi 5 au samedi 29 septembre • Toulouse