Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Jeudi 30 août, huit heures du matin, je chipe un exemplaire du gratuit Côté Toulouse dans un présentoir de la rue Alsace. En marchant, en lisant, je tombe sur une page signée par Pascal Pallas et consacrée à Kléber Haedens (1913-1976), magnifique écrivain qui passa la fin de sa vie non loin de Toulouse. Roger Nimier, Antoine Blondin, Michel Déon, Jacques Chardonne, Jean-Loup Dabadie et tant d’autres venaient lui rendre visite. Quand ils n’avaient pas le temps de descendre depuis Paris, Nimier et Blondin l’appelaient et prenaient en sa compagnie une cuite par téléphone, du moins si l’on en croit la légende. Comment nommer cela ? Des verres de contact ? Une ivresse longue distance ? À la mort de Kléber Haedens alors que ses amis étaient réunis chez lui, la cave de Paul Morand arriva en camion parmi l’assemblée endeuillée. L’auteur de Tendres stocks et de L’Homme pressé l’avait léguée à son cadet. Là encore, la légende dit que Blondin et quelques autres firent un sort à ce legs aussi imprévu que bienvenu. Quelle époque… En lisant l’article de Pascal Pallas, j’ai justement la sensation de faire un bond dans le temps, de faire machine arrière, de retrouver le temps où les journaux parlaient de littérature – et non de livres ou d’actualité littéraire. Sentiment renforcé alors que nous sommes en pleine rentrée littéraire et que partout, dans les gazettes, s’étalent des articles promotionnels sur les produits de saison, aussi périssables qu’un fruit blet.
Enfin, il y a tout de même quelques livres à lire dans cette pauvre rentrée. Notamment celui, rageur et réjouissant, de Philippe Ségur : Le Chien Rouge. Son auteur a un temps vécu à Toulouse où il enseignait le droit. Ce n’est pas pour cela qu’il faut le lire, mais parce qu’il s’agit d’un véritable écrivain. Autre « régional de l’étape » dans cette rentrée : Guillaume Sire. Lui signe son troisième roman : Réelle. On recommande.
Je suis toujours étonné par les joggeurs toulousains se livrant à leur loisir dans les rues du centre ville, non au petit matin ou tard le soir, mais quand, sous la chaleur de l’été, les rues de la ville sont encombrées de passants, de cyclistes et surtout de véhicules et de gaz d’échappement. On peut croiser certains d’entre eux plusieurs fois en quelques minutes car leur parcours fait des « boucles » en plein cœur de la cité et que leur allure autant que leur rythme de course – spectaculaires – semblent avoir été conçus pour attirer l’attention, comme en témoigne encore la musique accompagnant leurs lestes foulées. Des passants sourient devant cette débauche d’énergie assez pathétique. J’en suis même si je ne peux m’empêcher d’imaginer quels troubles psychologiques trahit cet exhibitionnisme sportif.
Le mois de septembre et la rentrée sont là, mais l’été et la chaleur semblent décidés à vendre chèrement leur peau. Persisteront-ils après le 21 septembre et repousseront-ils les premières froideurs automnales ? La fuite du temps aura-t-elle la gentillesse de se faire discrète et de nous faire entrer dans un long hiver avec la douce prévention d’une mère inquiète qu’immortalisa Léo Ferré : « Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid. »
Dans Adios, sans doute son plus beau roman, Kléber Haedens évoque le passage du temps et les morsures de la vie à travers un détail, presque imperceptible, dont le narrateur a la révélation au palais Pitti de Florence devant une toile du Titien : « Depuis le départ de Marie-Louise j’avais chaque matin cherché dans mon miroir les traces de mon malheur. Je sentais leur présence sans pourtant les surprendre. Pas de ride au coin de la bouche, pas de cheveu blanc supplémentaire, aucun coup de griffe inconnu sur les joues. J’avais à peu près huit ans quand on prit l’habitude de me féliciter sur mes yeux bleus. Je fis signe à Lucien de poursuivre. Un homme mort depuis bientôt quatre siècles venait de donner la réponse que refusait le miroir. Maintenant j’avais les yeux gris. »
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