Dans son éditorial du n°134 d’Opéra Magazine (décembre 2017), Richard Martet fustigeait le nouvel uniforme de scène qu’est le complet-veston. Pour ce que nous avons vu de cette saison en effet, les messieurs du cortège funèbre de Miranda (1), Philippe II et Posa (2) – version trois pièces col ouvert, le comte Almaviva – version décontractée sur T-Shirt blanc – et Don Bartolo (3) – version trois pièces cravate, Boris Godounov (4), ainsi qu’au théâtre l’usurpateur du trône de Milan et ses courtisans (5) et Néron (6), ressemblent tous à nos collègues de réunion, à nos chefs, ou à nos voisins de salle (lorsqu’ils « s’habillent » pour une soirée au spectacle). Ce n’est pas forcément incongru – sauf lorsque Boris est couronné, verrait-on un président de conseil d’administration avec une couronne d’apparat sur la tête ? – mais prodigieusement lassant.
Cependant le complet-veston permet un jeu de scène qui serait impossible à réaliser avec une toge, un pourpoint, une armure ou un scaphandre : tomber la veste. Car un avatar du complet-veston est le bras de chemise. Les questions qui se posent alors sont quand tomber la veste et quand la remettre, quand la porter dans sa main droite, dans sa main gauche ou à deux mains, quand la mettre sur son épaule, etc. Le plus souvent ces mouvements de veste plongent le spectateur dans la perplexité : pourquoi l’enlève-t-il, pourquoi la remet-il ?
Par exemple, dans cette magnifique et judicieuse interprétation du « site riant aux portes du couvent de Saint-Just » transformé en salle d’armes par Krzysztof Warlikovski (2), la confrontation de Philippe II (complet gris) et Posa (complet noir) est ponctuée de mouvements de vestes dont on cherche la signification. Philippe II tombe la veste dès le début de la scène, la confie à son valet (lui aussi en complet-veston, avec cravate), puis la reprend après quelques répliques, puis finalement se ravise et la confie de nouveau au valet. Posa de son côté tombe la veste au milieu de la scène, la garde à la main, se résout à la poser, la reprend, la considère, semble y trouver courage et détermination.
Mais c’est quand il n’y a pas de valet pour aider l’interprète chantant ou déclamant à remettre sa veste que tout se complique : on assiste alors à des quêtes désespérées de la seconde manche, voire à des abandons purs et simples.
(1) Miranda, Opéra-Comique, Paris, 29 septembre 2017
(2) Don Carlos, Opéra Bastille, Paris, 11 novembre 2017
(3) Il Barbiere di Siviglia, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 8 décembre 2017
(4) Boris Godounov, retransmission en direct de l’Opéra Bastille, UGC Toulouse, 7 juin 2018
(5) La Tempête, Comédie-Française, Paris, 5 février 2018
(6) Britannicus, Comédie-Française, Paris, 1er juillet 2018
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.