vanitas, vanitatum omnia vanitas, soit « vanité des vanités tout est vanité », telle est la l’exhortation de l’Ecclésiaste (I, 2), celui qui s’adresse à la foule par cette formule suprême et provocante, mais n’ayez crainte, vous n’êtes pas convié à la lecture de la Bible, loin s’en faut, mais plutôt à profiter d’une somptueuse et tellement originale exposition.
Elle a lieu en les murs de ce magnifique Hôtel d’Assézat qui héberge le non moins passionnant musée appelé la Fondation Bemberg, et dont Philippe Cros est l’heureux directeur. En effet, pour sa quatrième exposition d’été, ayant pour commissaire Sophie Motsch, avec une magnifique scénographie de Hubert Le Gall, cette Fondation, placée sous la présidence d’Alfred Pacquement, entend rendre à nouveau hommage aux collectionneurs privés, puisque tel est son but au départ. Le choix va se révéler tout à la fois surprenant et particulièrement captivant. En effet, et cela justifie le titre de l’exposition, si l’on peut dire, elle a le privilège de présenter pour la toute première fois, la singulière collection de la baronne Henri de Rothschild, la “collectionneuse d’enfer“, collection qui pourrait s’intituler “Vanités d’hier“.
Elle réunit près de deux cents pièces. Elles sont essentiellement de provenance occidentale, Nord de la France, pays germaniques ou bien provinces de la future Italie, avec surtout des crânes miniatures dont certains sont ornés de pierres précieuses, des crânes d’Adam associés à la Croix du Christ dont la présence au pied de celle-ci peut paraître insolite. Parfois, ce crâne semble avoir roulé et finit là sa course. Le plus souvent, il nous fait face, fermement posé sur le sol. C’est lui qui nous regarde, de ses grandes orbites vides nous interrogeant de l’au-delà, un regard qui ne semble pas effrayer Mathilde. Longtemps on n’a vu là qu’un rébus, le signe hiéroglyphique de la colline du Golgotha (crâne en araméen), ce tertre dénué ressemblant fort à un crâne.
Toutes ces pièces reflètent une vérité anatomique et un grand réalisme, ce crâne qui, loin de n’être qu’un symbole de mort, signifie bien le dépassement vers le salut éternel. On y trouve aussi squelettes, amulettes, grains de chapelet porte-poison, bibelots, gravures en ivoire, en bois sculpté, en marbre. Mais encore toutes sortes d’objets, profanes ou sacrés. En un mot, tous les types dits de spécialité lugubre sont représentés. On y retrouve ainsi une vingtaine d’okimonos et de netsukés japonais.
L’exposition se déroule du 29 juin au 30 septembre 2018. La collection est prêtée par le Musée des Arts Décoratifs de Paris à qui la baronne en a fait legs. Elle est répartie en trois sections au sous-sol, dans les caves remarquable de l’Hôtel. La judicieuse sélection des œuvres anciennes qui confortent la collection, se complète par des œuvres contemporaines toujours bien sûr, sur le thème des vanités et ce, pour enrichir le parcours du visiteur. Ainsi, pour affirmer la présence et la symbolique du crâne dans l’art depuis la Renaissance jusqu’à nos jours, des peintures des XVIe et XVIIe siècles ainsi que des créations contemporaines viendront éclairer la manière de représenter aujourd’hui comme hier l’allégorie de la vanité. Des noms comme Gerhard Richter, Niki de Saint-Phalle, Annette Messager, Brassaï, Miquel Barceló, Georges Braque ou Jean-Michel Alberola seront présents. Le voyage sera complet à travers plusieurs siècles de vanités dans l’histoire de l’art.
Mais, ce qui peut interroger davantage, c’est bien le fait que c’est une femme à l’origine de cette collection, et qu’on ignore ce qui a pu motiver le choix d’une telle thématique peu fréquente alors par celle que l’on peut qualifier de “collectionneuse d’enfer“. Comme on a pu le lire dans une revue en date de la disparition de la baronne Mathilde de Rothschild, soit 1926, Le Cousin Pons, revue des collectionneurs et amateurs d’art et curieux : « Alors que la plupart des femmes s’amusent à réunir dans des vitrines, des bijoux, des éventails, des nécessaires à ouvrage anciens, la baronne Henri comme on l’appelait couramment prenait plaisir à collectionner de minuscules têtes de mort en toutes matières. » De plus, on ignore aussi, comment la baronne collectait ses objets. Finalement, on sait simplement qu’elle n’en parlait pas, et que l’on s’extasiait plutôt sur ses talents de “maîtresse de maison“, et d’infirmière !! Mais tout ce côté secret s’accorde bien, finalement, avec la thématique.
Grâce à quelques bougies, faisons un peu de lumière sur ces fameuses vanités qui, je l’avoue, ont un côté un peu ensorcelant. Philippe Cros tient ferme à la main, la bougie à la flamme vacillante mais qui ne s’éteint pas. « La vanité est une représentation allégorique du passage du temps et, lorsqu’on aborde ce type de peintures, le ton est déjà donné : les vanités sont des œuvres qui nous rappellent que nous sommes hélas mortels, et qu’il convient de méditer sur la nature passagère de la vie humaine. », nous dit-il. Et n’oublions pas André Malraux qui nous assène : « La mort est là, comme la preuve irréfutable de l’absurdité de la vie. ».
Cependant, bien qu’ils restent le plus souvent porteurs de ce message moral, les tableaux qui traitent de la vanité, du pouvoir et des richesses sont l’objet d’une véritable virtuosité picturale. L’imitation de la nature y trouve son plus haut degré d’achèvement, avec une recherche insatiable de la beauté naturelle. Fleurs, pièces d’orfèvrerie et coquillages atteignent une dimension décorative dont la délectation ferait presque oublier l’intention initiale qui est la mise en garde. C’est ainsi que, progressivement, on se dirige vers ce que l’on va désigner tout simplement par, “nature morte“.
Endormi sur un crâne et un sablier en guise d’oreillers, l’Amour est associé à des motifs rappelant, ici, l’éphémérité de l’existence humaine. Cette huile sur toile de Luigi Miradori, peintre génois du début du Seicento, se rattache bien à la riche tradition iconographique du memento mori qui s’est répandue dans l’art occidental à partir de la fin du Moyen-Âge. L’image du “putto appuyé sur un crâne“ est devenu un thème d’origine ultramondaine qui s’est largement diffusé en Allemagne comme aux Pays-Bas. Reconnaissons que le crâne spontanément adopté en guise de coussin confère à la pose toute la fraîcheur d’une fable ovidienne (le putto n’est jamais que le Cupidon cher à Ovide).
On a coutume de faire remonter les origines du thème de la vanité à l’iconographie de saint Jérôme. Biographe de saint Paul et de saint Antoine, puis narrateur de sa propre existence, il s’offre comme la figure emblématique de l’ermite, ivre de Dieu, retiré dans la solitude du désert. Les ordres mendiants en font au Moyen-Âge un memento mori, miroir de la sagesse, miroir de la pénitence. Et c’est ainsi que les innombrables représentations du saint tant au nord qu’au sud de l’Europe en feront un enjeu à la fois théologique et stylistique.
Un point de repère commode pour parler de vanité, c’est bien la présence d’un crâne, ou plusieurs, qui permet la distinction, mais il s’agit bien de l’élément de reconnaissance le plus évident et le plus immédiat, alors qu’on pourrait s’amuser à faire la liste des attributs que l’on peut retrouver fréquemment : ceux illustrant la vanité des biens terrestres, et la liste est longue !, ceux illustrant le caractère transitoire du temps avec justement le fameux crâne, ainsi que sablier, globe, os, bougie, et ceux renvoyant aux symboles de résurrection et de vie éternelle. Dans certains tableaux de vanités – hollandais surtout – les trois types de vanité peuvent se retrouver réunis. Mais attention, tout a un sens, ne serait-ce qu’un verre brisé, ou renversé, telle ou telle fleur, …
Ce crâne, partie impérissable du corps et siège de l’âme, est bien l’élément-phare de toutes ces représentations, celui qui semble avoir fasciné notre chère baronne, ce crâne qui représente le passage de la mort à la résurrection, l’abandon de l’enveloppe charnelle, Après deux siècles de purgatoire dans la peinture pour ce qui est des vanités classiques se rapportant au temps et à la mort, dans le contexte de l’art contemporain, la vanité connaît inévitablement des changements de forme et de concept. « Dans l’art actuel, nous dit P. Cros, l’artiste se tourne vers tout ce qui est éphémère et ne se limite pas seulement au symbole du crâne même s’il conserve une présence forte ;(…) ces vanités d’aujourd’hui nous parlent encore et toujours de la fragilité des choses, de l’éphémère et de l’écoulement du temps.
Et pour conclure : « ……tout est vanité, avant que se rompe le Cordon d’Argent, que se brise la Lampe d’Or, que se casse la Cruche à la Fontaine, que se fende la Poulie sur la Citerne ; avant que la poussière ne retourne à la terre pour redevenir ce qu’elle était, et que le souffle de la vie retourne à Dieu qui l’a donné. »
Dans l’art contemporain, ne pas rater le travail de Stephan Balkenhol, au 2è étage, exposé au Centre Pompidou Paris.
Il s’intitule Memento Mori, daté 2009. L’auteur, né en 1957, poursuit un travail sur la figure humaine depuis plus de vingt ans. Ce sont des peintures acryliques sur panneaux de bois. Ces hommes et ces femmes d’aujourd’hui, sculptés en ronde-bosse ou en bas-relief sur bois, sont des anonymes et les couleurs appliquées sont totalement dénuées de valeur expressive.
Suivant que vous vous positionnez soit vers la droite soit vers la gauche, ce que vous voyez varie !!
Michel Grialou
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