Ce sera donc ce lundi 4 juin, à 20h. Peut-être avec un peu de retard car l’artiste règle encore son instrument au-delà de la dernière minute. Il lui sera pardonné sans souci cette petite entorse. Mais l’on se dit qu’ils auraient eu bien tort les organisateurs du Cycle Grands Interprètes de se priver d’un tel artiste en ne le programmant pas aussi régulièrement.
On a pu lire : « Il y a Sokolov et il y a les pianistes ». Le faire venir et revenir si souvent, certains grincheux vous diront qu’il y a bien, pourtant, d’autres pianistes, alors pourquoi lui encore ? La raison est simple. À chaque fin de concert, l’accueil du public et les applaudissements sont suffisamment parlants voire démonstratifs pour donner la preuve que ce choix se révèle toujours aussi judicieux. Pas de lassitude au rendez-vous, aucune, avec une Halle aux Grains, presque complète, soit pas loin de deux mille auditeurs, et spectateurs, car il y a l’homme. Il a l’air bourru. Pas un sourire en direction du public. À peine un coup d’œil. Tout droit vers le clavier. Tout à sa concentration, contagieuse. Seul le piano existe. Tel un Beethoven sourd s’approchant de son instrument, indifférent à tout ce qui l’entoure, entièrement absorbé dans ses pensées musicales. Ainsi se présente Grigory Sokolov à son public, déjà conquis, avec une concentration quasi immédiate, lui aussi. Et c’est parti pour une heure et demie de communion toutes oreilles dressées, yeux écarquillés, portables éteints, et surtout, surtout, ni toux, ni raclement de gorge. Et pas d’applaudissements intempestifs et au mauvais moment !
Joseph Haydn
Sonate (Divertimento) n°32, opus 53 n°4 en sol mineur Hob. XVI:44 en deux mouvements
Sonate (Divertimento) n°47, opus 14 n°6 en si mineur Hob. XVI:32
Sonate n°49, opus 30 n°2 en do dièse mineur Hob. XVI:36
Entracte
Franz Schubert
Quatre Impromptus, opus 142 D.935
N°1 en fa mineur – Allegretto
N°2 en la bémol majeur – Allegretto – Trio
N°3 en si bémol majeur. Thema. Andante – Variation I à V
N°4 en fa mineur – Allegro scherzando
Quelques mots sur l’artiste : Ce sera un premier récital à Leningrad à douze ans, et très vite, le sacre du Concours Tchaïkovski de Moscou quatre ans plus tard, à seize ans donc. Soixante-cinq candidats sont venus de tous les pays pour briguer la succession de pianistes aux noms devenus par la suite si prestigieux : Van Cliburn, Ogdon, Askenasy. Ils affrontent un jury présidé par une autre gloire, Emile Guilels, et un public dont l’attention et les connaissances le rendent tout aussi redoutable. On loue, mis à part sa jeunesse, le métier de virtuose du vainqueur, s’étayant sur une maturité surprenante déjà évidente. Disciple du professeur Zelikman au Conservatoire de Léningrad, le tout jeune Sokolov se distingue par l’acuité et la précision de ses conceptions architecturales pour chaque œuvre abordée, que ce soit pour une sonate, ou une œuvre plus courte comme un Nocturne qui n’en demande pas moins aussi une construction. « Au-delà de la note, du trait, de l’effet, il y a toujours chez lui, une musicalité, une légèreté qui organisent toute chose. » Commentaires faits au lendemain même du concours.
En plus de 40 ans de carrière, Grigory Sokolov s’est produit dans toutes les plus grandes salles des USA et du Japon d’abord, a travaillé avec plus de deux cents chefs ainsi qu’avec les plus grands orchestres. Le maître russe est l’un des très rares pianistes à avoir aussi une présence constante dans les plus grandes salles d’Europe et ce, année après année.
Ces dernières, Grigory Sokolov a renoncé au brio des engagements avec orchestre pour se concentrer sur un exigeant tête-à-tête avec le piano. Un tête-à-tête exigeant aussi avec son public et le lieu du concert car l’artiste n’aime pas du tout, mais du tout être perturbé pendant sa “performance“. Le cadre de la Halle par exemple, lui convient fort bien. Celui du Cloître, ouvert aux quatre vents, beaucoup moins. Plusieurs années également qu’il donne très peu d’entretiens et limite autant que possible son activité d’enregistrement. Jamais pourtant, il n’a été aussi connu – non comme une simple star du clavier mais, aux yeux de beaucoup, comme un véritable monstre sacré.
Déjà, cinquante ans ont passé depuis son propre sacre. Et son public est de plus en plus nombreux, les salles affichent maintenant complet car, un récital de Sokolov, c’est devenu comme un pèlerinage, le rocher de Solutré de tout amoureux du piano qui, avec lui, s’accorde à penser que la découverte de la vérité se savoure et réclame un certain abandon. Son aura transcende celle du commun des virtuoses. Et plus ce géant modeste tente de se faire discret, plus elle semble le rattraper. Il est devenu incontournable, et tout participe à cet engouement, jusqu’à son arrivée sur scène et son cheminement un peu chaotique jusqu’au clavier sur lequel il fond sans attendre. On sait aussi, qu’il a passé plusieurs heures à répéter des œuvres qu’il connaît au centième de seconde près, à régler son instrument et le tabouret. Il faudra encore lui signifier que le public est là, impatient, qui voudrait bien rejoindre son fauteuil.
L’expérience d’un récital relève du quasi mystique, assortie de rituels immuables bien connus de ses fans : le recueillement d’une salle plongée dans une semi-pénombre, le salut furtif du maestro, la densité d’un programme enchaîné sans hiatus et, en guise de bouquet final, l’offrande d’une moisson de encore attendus avec gourmandise.
« De ce climat d’intense concentration émerge une musique dont la richesse de nuances, de couleurs et de timbres est devenue une véritable signature. Mais une telle beauté possède en réalité des racines bien terrestres : une culture musicale quasi-encyclopédique, un vaste répertoire embrassant sept siècles de musique de Pérotin à nos jours, une science consommée de la mécanique interne du piano, et enfin une connaissance intime des œuvres, remises sur le métier des heures, des jours et des mois durant.
Et ce n’est pas là la moindre des énigmes du jeu de Sokolov : scrutée et analysée dans ses plus infimes détails jusqu’à tant que chaque note y trouve sa place vitale au sein de l’harmonie du tout, sa musique n’en semble pas moins jaillir, comme par miracle, dans l’inspiration du moment. Humble artisan ou génial alchimiste, Grigory Sokolov est un Sphinx du clavier. »
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Michel Grialou
Les Grands Interprètes
Grigory Sokolov (piano)
lundi 04 juin 2018
Halle aux Grains – 20h00