Il y a 100 ans naquit Manuel Jimenez, andalou, républicain espagnol puis résistant en France, qui hérita pendant la guerre d’Espagne du surnom de Comunero attribué par ses frères d’armes anarchistes de la CNT. Il y a 10 ans, à son décès, son petit-fils Tomas fonda le groupe EL COMUNERO (1) pour lui rendre hommage. Depuis, les sept musiciens, provenant de groupes comme Les Hurlements d’Léo, L’Air de Rien, Anakronic Electro Orkestra ou Elektric Geïsha, Laulo Kebous « El Invencible » : guitare, chant, Jojo Gallardo « El Rojo » : accordéon, trombone, ukulélé…, Renaud Eychenne « El Profesor » : contrebasse, Pierre Bertaud du Chazaud « Primo » : clarinette, Max Richard « Maximo » : percussions, batterie, Vincent Ruiz « Maître Bixme » : guitare, bouzouki, mandoline, ont sorti trois albums, joué dans toute la France, en Espagne, en Belgique etc., soulevant l’enthousiasme de nombreux amateurs de musiques métissées, mais aussi soutenant diverses causes militantes, des luttes syndicales à l’accueil des réfugiés.
Comme l’a si bien écrit Pierre Domenges, directeur de La Gespe de Tarbes et moteur du groupe Los Republicanos (2) (dont le répertoire est sensiblement le même mais dans un registre acoustique qui fait ressortir les magnifiques harmonies vocales de ces chansons populaires) : « Il y a dans El Comunero une part de magie, de pierre philosophale ; cette capacité à changer la Mémoire en or nous la rend si vivante qu’il nous semble qu’au gré d’une chanson nous tenons dans nos bras la belle République, la beauté des Justes, la force des Utopies. » Lors du premier concert d’El Comunero dans sa belle salle de musiques actuelles, la grand mère de Tomas Jimenez était présente les larmes aux yeux.
Et Anne Berthod dans Télérama : « Enraciné dans la verve antifranquiste des chants Républicains de la Guerre d’Espagne, le groupe toulousain ouvre son répertoire rebelle aux hymnes protestataires mexicains et aux chants ce lutte sud-américains : un son frondeur et rageur à la Mano Negra, avec guitare flamenca, bouzouki et clarinette punk. »
Leurs précédents albums étaient des traversées de la Guerre d’Espagne, des odes à la Résistance des Combattants Républicains conte les fascistes du général Franco, soutenus par Hitler et Mussolini dans l’indifférence des « démocraties » européennes qui allaient le payer très cher. En 2019, ce sera le 80ème anniversaire de la fin de la Guerre civile espagnole et donc de la Retirada, l’exil de milliers d’Espagnols en France, qui vinrent, comme de nombreux Italiens, enrichir notre pays dans une période tragique de notre histoire commune : il sera plus que jamais nécessaire d’entretenir la mémoire de ces tragiques événements.
Le troisième disque du groupe toulousain, fidèle aux chants de lutte de la République espagnole, re-visitait en plus un répertoire latino-américain populaire, poétique et politique : Son de la Barricada, un voyage musical entre l’Espagne qui résiste et l’Amérique latine qui lutte.
Le groupe fête ses dix ans ce soir, 17 Mai 2018, dans un lieu fort sympathique, la Sainte Dynamo (3) de Toulouse, et dans une ambiance extraordinaire, et enregistre à cette occasion un dvd live (4).
Le concert commence par un instrumental de Victor Jara, grand chanteur protestataire victime de la dictature au Chili. El Comunero reprend, entre autres, « El pueblo unido jamas sera vencido, Le peuple uni ne sera jamais vaincu » : Tomas Jimenez et ses amis musiciens donnent ainsi de l’hymne popularisé par le groupe chilien Quilapayun, une interprétation empreinte de rage et de mélancolie, reprise en chœur par toute la salle surchauffée.
S’enchainent Malditas électiones de Chicho Sanchez Feriosio (chansonnier anarchiste à qui l’ont doit de nombreuses ritournelles antifranquistes restées dans la mémoire populaire), En la plaza de mi pueblo (chant de lutte ouvrier espagnol), Anda jaleo (cette chanson populaire recueillie par Federico Garcia Lorca), El paso del Ebro (cet hymne des soldats républicains et des volontaires des Brigades internationales, héritée de la lutte d’indépendance contre Napoléon 1er), Buenaventura Durruti (l’hommage au leader anarchiste) -qui figurent aussi au répertoire de Los Republicanos-, ainsi que La complainte du Partisan (dans une reprise à mi-chemin entre Anna Marly et Léonard Cohen mais au final rock), et A galopar, le poème de Rafael Alberti, mis en musique de manière inoubliable par Paco Ibanez… Mais aussi Que sera sera, la valse popularisée par Doris Day dans le film d’Hitchcock, L’homme qui en savait trop, mais en l’occurrence un vieux chant de la guerre d’espagne adapté d’une comptine encore plus ancienne.
On retrouve donc dans leur répertoire des classiques, réinventés par le souffle rock et libertaire du groupe. D’une rive à l’autre de l’océan Atlantique, ce répertoire de mélodies populaires, refaçonnées par des rythmes et des sonorités inspirées du rock, du jazz, des musiques d’Amérique latine, dessine une mémoire, un engagement, une fidélité aux combats d’hier et d’aujourd’hui. C’est la marque de fabrique d’El Comunero.
Je ressens aussi, personnellement, une énergie très rock and roll, comme celle du MC5, Motor City 5, le groupe révolutionnaire de Détroit, ou des rockers amérindiens, comme le guitariste Keith Secola, sans oublier le cher John Trudell, qui nous a hélas quitté en 2015, et du jazzman Tony Coe, auquel me fait penser Pierre Bertaud du Chazaud. Sans oublier des échos des musiques grecques de Théodorakis et les influences du Flamenco, bien sûr,dans le bouzouki et la guitare de Vincent Ruiz.
Les rappels ont du mal à combler la transe du public, même avec les invités qui montent sur scène: la chorale « la vieille canaille », (ex de la Canaille du Midi, chorale de chants révolutionnaires, qui « n’a rien à voir avec les vieilles canailles » précise Tomas Jimenez), pour Gallo rojo, gallo negro (un chant de Chicho Sanchez Ferlosio, qui raconte la guerre d’Espagne à travers le combat de deux coqs, l’un rouge (le camp républicain), l’autre noir ((le camp fasciste), puis le père, la sœur, la nièce, les 2 filles et la compagne de Tomas Jimenez, pour Santa Barbara (chanson évoquant le massacre des mineurs des Asturies en grève en 1934, dont la répression, y compris les bombardements aériens préfigurant ceux de Guernica, firent plusieurs milliers de morts), reprise en chœur aux repas de la famille Jimenez) . Une salsa endiablée. Et enfin, L’estaca, le pieu du grand poète et musicien catalan Lluis Llach (qui nous manque beaucoup depuis qu’il a du interrompre sa carrière) repris en chœur par toute l’assistance:
Si estirem tots, ella caurà, Si nous tirons tous, il tombera,
I molt de temps no pot durar, Cela ne peut durer plus longtemps,
Segur que tomba, tomba, tomba, C’est sûr il tombera, tombera, tombera…
Si tu l’estires fort per acqui, Si tu le tires fort par ici,
I jo l’estiro fort per alla, Et que je le tire fort par là,
Segur que tomba, tomba, tomba,, C’est sûr, il tombera, tombera, tombera,
I ens podrem alliberar, Et nous pourrons nous libérer.
Ces chansons, qui ont bercé et encouragé les luttes d’hier, tellement d’actualité, font partie du patrimoine populaire, comme les chants de travail et de lutte d’Italie du Nord (mais aussi les chants de la Passion d’Italie du Sud). Elles sont aussi des créations artistiques de grande qualité qui survolent le temps.
Je pense aux Chants libres d’Amérique latine, « La rose qui pleure »,aux manifestations de chant, à Athualpa Yupanqui, Isabel et Violetta Parra, Mercedes Sosa et Daniel Viglietti ; et à Augusto Boal, fondateur du Théâtre de l’Opprimé qui a écrit : « le travail d’un artiste est aussi de montrer que, aujourd’hui comme hier, l’homme peut devenir esclave du travail, des coutumes, des traditions ; mais que tout peut être modifié, que nous pouvons tout transformer, et que tout se transforme –souvent en dépit des apparences ».
Mais aussi à Aimé Césaire qui professait que Les peuples sans mémoire sont des peuples sans avenir .
En effet, ceux qui ne rêvent pas, ceux qui ne chantent pas, ceux qui ne transmettent pas leur mémoire orale, ont tout perdu ; même « l’espoir à pleurer de rage d’un monde meilleur pour tous », comme l’exaltait Nazim Hikmet (1902-1963), cet immense poète turc révolutionnaire qui savait si bien que « l’exil est un dur métier » (5).
La musique d’El Comunero, et celle de Los Republicanos, nous entrainent dans une danse salvatrice. La voix libre de Tomas Jimenez, comme celle de Pierre Domenges, fait passer sur nous ce souffle de liberté toujours bienvenu dans ce monde « menacé de tant de muselières »(6): Deberemos resistir, ¡Ay, Carmela!, ¡ay, Carmela! Prometemos resistir ¡Ay, Carmela!, ¡ay, Carmela!
Bon anniversaire, feliz cumpleaños, El Comunero ; et longue vie de musique.
E.Fabre-Maigné
17-V-2018
Pour en savoir plus :
Prochains concerts, le 26 mai à Floirac, pour le festival T’rien, puis le 28 au Bikini pour la soirée de soutien aux cheminots.
2) www.facebook.com/LosRepublicanosDeTarbes
3) Bar à vins et à bières, salle de concert, lieu de convivialité et de partage, rue Amélie (métro Jean Jaurès) à Toulouse : https://www.lasaintedynamo.com/
4) Vous pouvez participer au financement de ce quatrième album en vous rendant sur le site:
https://Fr.Ulule.Com/El-Comunero/
5) https://www.poesie.net/hikmet1.htm
6) Léo Ferré