L’Orchestre National du Capitole a un printemps affichant complet. Vendredi 18 mai, à 20h à la Halle, c’est romantisme total avec Schubert et Schumann sous la direction d’un habitué, à savoir le chef espagnol Josep Pons. Après une magnifique Ouverture de Manfred de Schumann ce samedi 12, l’Orchestre poursuit avec celle de l’ouvrage intitulé Scènes de Faust de ce même compositeur que l’on retrouvera ensuite avec sa Symphonie n°2. La première partie du concert se complète avec la Symphonie n°8, « Inachevée » de Franz Schubert.
Quelques mots sur Josep Pons : il est bien considéré en Espagne comme le plus grand chef actuel de sa génération. Il a dirigé récemment ici même, des œuvres de Mozart et Bruckner. Il revient avec Schubert et Schumann. Directeur musical du prestigieux Théâtre du Liceu de Barcelone, il y a notamment dirigé, Le Barbier de Séville de Gioachino Rossini, La Flûte enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart, La Voix humaine de Francis Poulenc, Peter Grimes et Le Tour d’écrou de Benjamin Britten, Le Château de Barbe-Bleue de Béla Bartók, Wozzeck d’Alban Berg, The Light House de Peter Maxwell Davies, Le Roi Roger de Karol Szymanowski…mais aussi, les créations mondiales de D.Q., Don Quijote en Barcelona de José Luis Turina et Gaudí de Joan Guinjoan.
Ce chef d’orchestre espagnol d’origine catalane poursuit une importante carrière internationale de chef invité. Opéra, grand répertoire romantique, maîtres espagnols, compositeurs du XXe siècle, aucun répertoire ne lui résiste. On sait qu’il retrouve avec un grand plaisir les musiciens de l’Orchestre National du Capitole.
Scènes de Faust, ouverture. Neuf minutes pour cette Ouverture d’une œuvre devenue presqu’impossible à présenter dans son intégralité à l’affiche d’un concert. En effet, elle associe 8 solistes, un orchestre symphonique, un chœur fourni, et un chœur d’enfants !! On se contentera donc d’apprécier le tout début de la partition de cet opéra-oratorio dont l’écriture, commencée en 1844, suit les aléas d’inspiration et de maladie de Schumann, jusqu’à sa conclusion en 1850.
Sur la Symphonie n°8, en deux mouvements, d’une durée d’environ, 25 minutes. Elle est en si mineur, D.759, autrefois désignée par le n°7
Peu de compositeurs ont été autant défigurés par la légende que Franz Schubert. Génie méconnu, mort à trente-et-un ans après une vie passée plus ou moins dans la précarité, amant malheureux qui offrit pourtant au monde ses plus belles mélodies, Schubert compose un personnage pathétique à souhait, que des films, des romans faciles et de nombreux « journaleux » ont entretenu sous le couvert de bonnes intentions.
Depuis la découverte de sa partition, la Symphonie inachevée a nourri l’imagination de ses admirateurs. Même ceux qui ne sont pas habitués des salles de concert connaissent au moins les thèmes du premier mouvement. Et dans le public l’opinion est encore largement répandue que le compositeur fut surpris par la mort pendant qu’il travaillait à sa partition. La réalité est tout autre. La symphonie est restée inachevée parce que Schubert décida lui-même de ne pas la terminer, ou du moins, pas pour l’instant.
La tradition divise l’ensemble de ses œuvres en trois périodes. Après celle du fameux Sturm und Drang, où le lied tint la première place, la seconde période fut surtout consacrée à la musique instrumentale. C’est aussi le moment où Schubert doit lutter pour imposer sa personnalité face à Beethoven. La troisième et dernière période, le temps de l’accomplissement, fut inaugurée par la Symphonie en si mineur. Il l’écrit en 1822, alors âgé de vingt-cinq ans. Il compose les deux premiers mouvements et les huit premières mesures du troisième, un scherzo avant d’abandonner la partition. De grandes œuvres virent le jour après comme la célèbre Wanderer-Fantaisie (1822 ), les derniers quatuors, des sonates pour pianos, de nombreux lieder toujours, la Symphonie en ut majeur, dite la Grande.
L’idée erronée selon laquelle la Symphonie inachevée serait sa dernière ne s’explique pas seulement par son caractère fragmentaire, mais aussi par sa découverte tardive, qui imposa une chronologie inexacte. Elle fut en effet créée en 1865, trente-sept ans après sa mort quand la partition fut retrouvée chez un de ses plus proches amis. Souci de protéger les pages noircies, ou de les dissimuler ? D’aucuns y réfléchissent. Par contre, la Symphonie rebaptisée N°9 fut connue dès 1838 grâce à Robert Schumann.
La ? Les ? raisons pour lesquelles Schubert n’acheva pas la partition risquent de rester pour toujours mystérieuses. Ni l’examen des causes psychologiques profondes, ni l’évocation des déceptions sentimentales ne pourront guère fournir d’explications plausibles et il est fort probable que les véritables raisons sont de nature bien plus prosaïque. Schubert vient enfin de comprendre comment monnayer ses partitions car, même s’il a alors une certaine renommée, les éditeurs ne sont pas du tout généreux. Pour gagner plus, il faut travailler plus, non pas à l’écriture des symphonies, mais plutôt à celle des lieder, des œuvres pour piano et de la musique de chambre.
L’extrême popularité de la Symphonie en si mineur lui vient surtout du thème secondaire du premier mouvement. Introduit par les violoncelles et les contrebasses, celui-ci se poursuit avec l’intervention des violons, puis de la clarinette et du hautbois, qui jouent le thème principal. Les violoncelles reprennent alors le célèbre thème, une sorte de ländler qui rappelle la douce mélancolie des mélodies populaires, une des inspirations les plus géniales de Schubert, une merveille de fluidité mélodique, qui réconcilie la musique populaire et l’idéal classique.
Avec ses crescendos et ses rythmes lents, le deuxième mouvement baigne à son tour dans une atmosphère claire et lumineuse. Aujourd’hui, il paraîtrait presque sacrilège qu’un scherzo s’ajoute à ces deux superbes mouvements et qu’un rondo en forme la danse finale.
Ainsi, concise, poétique, dramatique, c’est bien au titre d’inachevée que la Symphonie en si mineur reste pour nous un chef-d’oeuvre accompli.
Sur la Symphonie n°2,
Cette Symphonie n°2 en do majeur est en quatre mouvements : sostenuto assai puis allegro ma non troppo – scherzo (allegro vivace) – adagio espressivo – finale (allegro molto vivace). Officiellement la seconde, elle est en réalité la troisième, datée de 1846.
L’un de nos chefs préférés a dit, il y a peu, en la dirigeant ici même à la Halle, qu’il fallait être un brin schizophrène pour diriger cette n°2 !! Souhaitons donc un brin de “schizo“ à Josep Pons si le résultat doit être aussi réussi !
Les symphonies de Robert Schumann sont des œuvres où le caractère d’expression lyrique personnelle, et souvent très intime, est plus accentué que dans les symphonies de Beethoven et même de Schubert où l’accent personnel s’élargit vers l’accent collectif, et où il semble parfois que tout un peuple chante. Mais elles présentent une unité interne particulièrement saisissante, qui fait de chacune d’elle comme un grand poème d’un seul tenant, ce qui se manifeste non seulement dans le rappel de motifs (ici cette fanfare caractéristique qui, de l’introduction au finale, imprime son sceau à toute l’œuvre ) mais encore dans le fait qu’à l’intérieur d’un mouvement et d’un mouvement à l’autre, les motifs s’engendrent l’un l’autre.
Si les différentes symphonies d’un même compositeur représentent les divers aspects essentiels de son caractère, sa réponse au grand thème de la vie, on pourrait dire que la Symphonie en ut majeur est l’ « Héroïque » de Schumann. Mais cet héroïsme concerne une nature essentiellement sentimentale et contemplative, et le sort des aspirations du cœur passe avant les impératifs d’action.
L’introduction sostenuto assai semble poser d’emblée le sérieux de la vie. Ces solennelles allées mélodiques, d’où s’élèvera ce non moins solennel appel de fanfare qui est comme la raison de l’œuvre toute entière, enferme maint secret des motifs qui apparaîtront ensuite. Elles amènent le motif qui fera le sujet principal du premier mouvement – allegro ma non troppo -, auquel les violons répondent aussitôt par un rythme énergique, et en s’animant elles déclenchent le départ de cet allegro. Et même si les motifs sont brefs, ils sont emportés par un élan puissamment soutenu et leurs perpétuelles redites en illuminent progressivement le sens. Tout ce premier mouvement est essentiellement pathétique, tandis que les motifs secondaires ne font que laisser libre cours à l’exubérance du cœur, aux velléités d’effusions et de rêve qui veulent se manifester sous la contrainte de l’impératif d’action.
Le scherzo (allegro vivace ) est, quant au rythme, en heureux contraste avec le premier mouvement. On peut y voir l’impératif d’action se manifester sous l’aspect du jeu, tour à tour énergique et badin, et à la fin, à la coda, le jeu se faire plus décidé et volontaire et rejoindre la fanfare initiale.
L’adagio espressivo est reconnu comme l’un des plus beaux chants qui soient sortis de la plume d’un symphoniste. Là, s’atteste devant les exigences de la vie, l’aspiration du cœur, dans un mouvement mélodique qui par deux fois s’élève et s’apaise, en toute sérénité.
Avec le finale (allegro molto vivace) revient l’action, cette fois-ci joyeusement acceptée et volontaire. Contrairement à l’usage dans les constructions des mouvements symphoniques, ici, l’élan symphonique semble s’opposer à l’élan d’action. Le conflit va se résoudre par l’intervention de nouveaux éléments revêtant une expression à la fois martiale et lyrique, ramenant ainsi comme dans une illumination définitive de son sens, l’appel de fanfare, et aboutissant aux affirmations finales, impérieuses, des timbales.
L’homme qui a écrit cette œuvre était bien loin de la crise de folie qui devait, dix plus tard, avoir raison de lui.
Michel Grialou
Orchestre National du Capitole
Josep Pons, direction
vendredi 18 mai 2018 à 20h00 • Halle aux Grains
Pons Josep © Igor Cortadellas
Orchestre du capitole © Patrice Nin