C’est le samedi 12 mai, à la Halle, 20h, que l’Orchestre National du Capitole interprètera trois œuvres de trois compositeurs au destin redoutable, Beethoven, Schumann et Prokofiev. Il sera dirigé par Clemens Schuldt. Le concert débute avec Manfred, ouverture op. 115 de Robert Schumann. Serge Prokofiev suit avec son Deuxième concerto pour violon et orchestre op.63 joué par Baiba Skride. La suite du concert est occupée par la Symphonie n°3 en mi bémol majeur « Héroïque » op.55 de Ludwig van Beethoven.
Clemens Schuldt, lauréat du prestigieux Concours Donatella Flick Conducting London en 2010, est l’un des jeunes chefs d’orchestre les plus intéressants d’Allemagne et déjà à 36 ans, des grandes scènes symphoniques. Pendant un an, il a été assistant de chef d’orchestre de l’Orchestre symphonique de Londres, où il a travaillé avec d’éminents chefs tels que Sir Colin Davis, Valery Gergiev et Sir Simon Rattle, et a eu ses propres occasions de diriger. Il s’occupe aussi l’Orchestre de Chambre de Munich. Ne dit-il pas, en toute modestie : «En tant que chef d’orchestre, je pense que c’est important d’être soi-même. Il faut interpréter la musique avec honnêteté. Après tout, que puis-je dire à un musicien qui a joué de son instrument plus longtemps que je ne l’ai été? Que puis-je faire d’autre que d’être poli et d’expliquer que j’ai une idée ou un idéal? Pour ce faire, je ne dois pas jouer de rôle. J’ai besoin d’être honnête. » Mais encore, et même si dans le cas de l’ONT, il va rencontrer, du haut de ses 36 ans, beaucoup de musiciens dans l’orchestre, plus jeunes que lui, ou de son âge : «En tant que jeune chef d’orchestre, j’ai l’énergie de la découverte et l’ambition de rendre chaque projet spécial. Avec cela, j’essaie d’encourager les musiciens – dont beaucoup sont beaucoup plus âgés que moi – à se souvenir de leur propre sensibilité quand ils avaient mon âge. Mon objectif est de m’améliorer, comme cela a toujours été le cas, et de continuer à apprendre. »
Baiba Skride est une jeune violoniste de 37 ans, lettone, lauréate du Concours reine Elizabeth de violon en 2001. Née dans une famille de musiciens, ses qualités font que très rapidement, elle va se retrouver à jouer sur un… Stradivarius. Elle en est même à son troisième !! prêté et non détruit ! À propos des violonistes qui auraient pu l’influencer, avant de gagner le prestigieux concours, ou depuis, elle confie : « Donc, je pense que je suis un mélange de toutes sortes d’«écoles». Mais je pense que de nos jours le monde est devenu tellement ouvert que ces écoles n’existent plus. Tout le monde peut entendre tout ce qu’il veut, étudier où bon lui semble et prendre part à toutes sortes de classes de maître. Ainsi la musique est devenue très mondiale aussi. »
Quelques “info“ sur les œuvres interprétées lors de ce concert.
L’Ouverture est celle de Manfred, musique de scène op.115 de Robert Schumann, écrite sur un poème dramatique de Byron, de 1816. D’aucuns parlent pour cette partition d’un chef-d’œuvre absolu, tout en étant un document incomparable sur son auteur lui-même : « c’est là que sa folie s’est décidée dans le paroxysme de sa génialité. » l’Ouverture est une page symphonique que certains s’accordent à considérer comme l’une des plus belles pages du compositeur, comme le sommet de l’angoisse schumanienne, ou comme un cri de surhumaine douleur spiritualiste, un poème de l’angoisse intellectuelle ! Rien qui vous prédispose à une analyse à froid !! et donc, bornons nous à l’enthousiasme SEUL. « Je n’ai pas de moyen d’expression pour parler d’une telle musique. Elle me rend malheureuse et me touche douloureusement. L’impression qu’elle vous fait est singulière à décrire. » Ce sont ces quelques lignes que Clara écrivait à son fiancé, et pas encore mari, à propos de Léonore III de Beethoven, et que l’on peut fort bien plaquer ici.
Ego Manfred, ego Byron, n’oublions pas que toute cette œuvre de Byron n’est qu’une exacerbation du moi romantique, avec un héros, Manfred, qui puise une sinistre joie dans l’intensité de la souffrance. Il paraît redouter qu’elle puisse un jour disparaître. C’est précisément le caractère romantique transcendant du personnage qui a pu séduire Schumann. Manfred est également un héros romantique typique, et Schumann pouvait se reconnaître en lui comme Berlioz en Harold ou en Lélio, comme tous les romantiques en Hamlet, en Chatterton, Lorenzaccio, René, Fantasio, Gambara ou en Faust, tous frères du héros byronien.
Concernant le Concerto pour violon n°2 en sol mineur, op.63 de Serge Prokofiev,
I. Allegro moderato
II. Andante assai
III. Allegro ben marcato
Nous sommes en 1935. Côté carrière, le compositeur espère toujours, mais à l’Ouest, rien de nouveau. L’Amérique ne lui dessine aucun pont d’or. L’Est paraît plus profitable. Sur le plan financier, tout ne va pas pour le mieux. Sa vie errante de soliste et de chef d’orchestre ne pourvoie que chichement aux dépenses quotidiennes. On dira qu’il est né trop tôt ! Au milieu de tous ces atermoiements, une commande va permettre la naissance d’une œuvre majeure. Elle vient d’un groupe de riches entrepreneurs, certes aux penchants musicaux limités. Elle concerne un de leur protégé, le violoniste français Robert Soetens. Ayant dans ces carnets quelques esquisses de disponibles, Prokofiev accepte et “part“ pour une sonate de concert qui devient une “Sonate pour violon et orchestre“, et en fin de compte, un “concerto“. Comme l’écrit son compositeur : « Reflétant mon existence nomade de musicien de concert, le concerto a été composé dans les pays les plus divers : le sujet principal du premier mouvement à Voronesh, j’ai terminé l’orchestration à Bakou, et la première eut lieu à…Madrid. »
La création eut donc lieu à Madrid le 1er décembre 1935. Quelques jours plus tard, Prokofiev retourne à Paris, prend femme et enfants, et destination Moscou pour tous. Le 28 janvier 1936, il devra subir le fameux article de la Pravda intitulé « Le chaos remplace la musique ». De ses trois périodes d’activité, “russe d’avant 1917“, “cosmopolite“ jusqu’en 1936, il aborde la dernière, “soviétique“, qui ne sera pas la plus minime des trois. On se demande bien par quel tour de force, il a pu alors conserver son indépendance créatrice et ainsi, peu à peu, émerger des contraintes des systèmes, même s’il sombre dans certaines compromissions, prisonnier qu’il est dans sa vie de couple, ou plutôt, de deux couples, l’officiel, Sergueï-Lina et l’adultérin, Sergueï-Mira. Curieusement, c’est l’adultérin qui vaincra. Un peu aidé par un beau-père, membre influent du parti Communiste.
Au-delà de l’exubérance technique et rythmique, la musique de l’auteur du “tube“ Pierre et loup dégage un bonheur d’exister et de vivre. Bonheur qui poussera le compositeur vieillissant et harassé à se recentrer sur la musique de chambre en contrepoint de ses prestations officielles incontournables. C’est très cher payé ce confort élémentaire, son souci quasi permanent. Tout de même, il écrit près de 70 opus en cette période de sécurité négociée. Il aura mal choisi son jour de décès, le 5 mars 1953, le même jour que Staline. Autant dire que sa disparition passe inaperçue.
Quelques mots sur le dernier mouvement, cliquez ici
La Symphonie n°3 de Beethoven fut commencée fin 1802 et achevée printemps 1804.
I. Allegro con brio
II. Marcia funebre – adagio assai
III. Scherzo – allegro vivace
IV. Allegro molto environ 48’
Elle reçut une nouvelle dédicace : Sinfonia eroica, per festegiarre il sovvenire di un gran’uomo, qui vient après celle intitulée : Sinfonia grande, intitulata Bonaparte, le compositeur n’ayant pas supporté que le grand homme en question se soit proclamé empereur. Héroïque, ainsi dénommée par le compositeur, parce que l’ouvre s’ébauche et se construit en un temps où, ayant pris conscience de sa surdité irrémédiable et grandissante, il va surmonter la tentation du suicide. Héroïque dans son intention, parce qu’elle entend célébrer, sous le couvert d’un mythe grandiose, celui de Prométhée, un héros très exactement contemporain, symbole des nouvelles libertés apportées aux hommes. La profusion du matériau musical tout au long des presque 50 minutes et son expansion irrépressible vont sidérer les auditeurs d’alors et ce, avec le même effectif orchestral que dans les deux premières composées à part un troisième cor rajouté.
Pour plus de détails sur cette symphonie, vous pourrez cliquer ici.
Michel Grialou
Orchestre National du Capitole
Clemens Schuldt (direction) . Baiba Skride (violon)
samedi 12 mai 2018 • Halle aux Grains (20h00)
Clemens Schuldt © Sammy Hart
Skride Baiba © Marco Borggreve
Orchestre National du Capitole © Dominique Viet