Les Toulousains connaissent les Kino-Bouffes, mais peut-être pas l’association Kaléidosfilms qui les organise, et pas que ! Plein de projets, aussi bien en création qu’en diffusion de contenu audiovisuel. J’ai donc rencontré Hugo, Jordi, Boubou et Thibauld pour qu’ils nous en disent davantage sur cette association au travail remarquable.
Pouvez-vous présenter l’association Kaléidosfilms ?
Hugo : Kaléidosfilms existe sous sa forme actuelle depuis 3 ans, mais a pour origine une association étudiante créée plusieurs années auparavant. Elle compte une cinquantaine d’adhérents en tout, et une vingtaine de membres actifs, en sachant que cela tourne fréquemment, puisque beaucoup d’entre nous sont intermittents : on peut donc être là trois mois, s’en aller travailler six mois, revenir pendant trois mois et ainsi de suite. A la vingtaine de personnes du noyau dur et à la cinquantaine de bénévoles autour, s’ajoutent beaucoup de sympathisants. Elle est composée de professionnels de l’audiovisuel, d’étudiants en cinéma, et de personnes travaillant dans d’autres domaines, comme le théâtre par exemple, qui souhaitent évoluer dans une association. Kaléidosfilms a deux principaux objectifs : créer et diffuser du contenu audiovisuel. En ce qui concerne la diffusion, on organise une fois par mois des Kino-Bouffes, c’est-à-dire des projections de films courts assorties d’un repas.
Jordi : Notre démarche est militante dans la mesure où les films que l’on passe n’ont pas de case à la télé, et de moins en moins au cinéma, ce qui les confine à de petits circuits de diffusion – les festivals par exemple. On essaye donc de diffuser des films peu produits qui circulent tant bien que mal hors des circuits classiques.
Boubou : Et il y a aussi La Kino-Fiesta !, un festival audiovisuel géré par des bénévoles et d’autres partenaires, qui a connu sa première édition sur une journée en 2016. Il revient cette année mais cette fois sur trois jours, à Ramonville. C’est le désir de présenter les acteurs locaux de l’audiovisuel et des arts en général, autant les musiciens qui assureront les ciné-concerts que les boîtes de production, qui nous motive dans ce projet.
Hugo : Pour la part création, il y a plusieurs projets avec l’idée de réaliser des films. A l’heure actuelle, on travaille sur une série de films autoproduits intitulée La Barque Solaire, une série d’anticipation dont l’idée principale est la conservation d’un cerveau humain, d’un esprit humain après la mort dans un programme informatique. Cette idée vient des recherches qui sont effectivement menées sur le cerveau humain pour réussir à le synthétiser et, à terme, le cloner. A partir de ce concept-là, on réalise des films qui traitent des questions sociétales ou technologiques. En parallèle de La Barque Solaire, il y a soit des projets personnels menés par des gens de l’association, soit des projets plus collectifs dont l’objectif est de rentrer en production, c’est-à-dire de passer par une autre structure à un moment donné. Kaléidosfilms sert à travailler ensemble pendant, par exemple, des résidences ou des événements, afin d’aider ces projets à émerger et leur permettre de trouver une structure de production, des financements ou même les deux.
Boubou : Il y a également Clap, qui est un projet à cheval entre les pôles diffusion et création, et qui a vu le jour il y a un an, lorsqu’une webradio toulousaine Ondes Courtes a émergé avec l’idée de diffuser du contenu libre et de valoriser les acteurs de la région. On leur a proposé une émission d’une heure, tous les mois, qui s’appelle Clap, le cinéma qui s’écoute, avec à chaque fois, un thème qui traite du cinéma et pour lequel des réalisateurs du coin sont invités. La dernière émission avait pour thème le couple monteur-réalisateur, avec Isabelle Dario, réalisatrice et monteuse à MidiFilms, et Loris Coulon, qui sort de l’ENSAV et dont les courts-métrages commencent à bien marcher.
Quels sont vos partenaires ?
Jordi : On est pour la plupart des anciens de l’ENSAV donc on est souvent amenés à travailler avec eux. C’est un échange : on les aide à diffuser leurs films s’ils rentrent dans les thèmes des Kino-Bouffes, et eux nous aident pour le côté industriel lorsqu’ils nous prêtent du matériel pour nos tournages.
Hugo : L’ENSAV n’est pas seulement l’institution, c’est aussi et surtout les personnes. Comme on garde des liens avec les gens de l’école d’année en année, certains rentrent ensuite dans l’association et prennent part aux ateliers et résidences qu’on monte ici et là. Donc ça tourne aussi de cette façon.
Jordi : En ce qui concerne les autres partenaires, il y aussi les Vidéophages qui ont, à peu près, les mêmes activités que nous, et qui ont diffusé des films de Kaléidosfilms. Notre plus gros partenaire reste toutefois l’Atelier Idéal de la Chapelle, la Chapelle étant le lieu qui nous accueille chaque mois. pour nos Kino-Bouffes, qui auront une repêche de la programmation de la Kino-Bouffe, mais sans le repas, à Itinéraire Bis. On aura davantage de temps pour discuter avec les spectateurs et faire venir des réalisateurs, ce qu’on ne peut pas toujours faire à la Chapelle, par manque de temps, car le lieu ferme ses portes à 22h. On est content que ça se fasse à Itinéraire Bis car c’est un lieu militant comme la Chapelle qui sort des cadres classiques. Séquence Court-Métrage est aussi un de nos partenaires qui était notre invité pour notre dernière Kino-Bouffe.
Comment les Kino-Bouffes se déroulent-elles ? Comment le choix de la programmation se fait-il ?
Hugo : Ce sont des soirées avec un repas composé, entrée-plat-désert, entrecoupés de trois sessions de court-métrages. Elles s’organisent autour d’un thème défini à l’avance, le but étant d’avoir une programmation aussi hétéroclite que possible, qui mêle autant de films faits dans la région que de films expérimentaux ou, au besoin, de blockbusters du court-métrage. Il nous est même arrivé de diffuser certains travaux de YouTubers parce qu’ils faisaient écho au thème choisi.
Thibauld : Les thématiques sont décidées de manière collégiale. On avait tablé sur Cinépoème en février, Innocence en janvier et en mars, on a partagé un thème avec Séquence Court-Métrage qui touche à la sexualité et au genre. Ensuite, en ce qui concerne le choix des films et l’ordre de passage, on fait en sorte que les films gravitent autour de cette thématique et se répondent, c’est-à-dire qu’ils tissent une sorte de fil rouge. On essaye par ailleurs de projeter autant de fictions que de documentaires ou de films d’animation. On a des partenaires plus ou moins privilégiés, par exemple la boîte de production et de distribution Lardux qui nous propose une fois par mois des films de son catalogue selon le thème choisi. Nous avons eu une accréditation pour le festival Cinéma du Réel à Paris, un festival documentaire, qui passe notamment des films courts. Ce n’est pas encore acté mais c’est dans les cartons : le thème de la Kino-Bouffe de mai fera sans doute écho au cinquantenaire de mai 68 et à l’une des sections du festival intitulée Pour un autre 68. Toujours bon de voir les autres programmations et d’essayer de s’en inspirer pour une éventuelle programmation.
Pour chaque Kino-Bouffe, on a trois sessions de 20-30 minutes, ce qui, de fait, limite la durée des films. Comme nos timings à la Chapelle nous laissent peu de marge de manœuvre, on part maintenant sur des sessions de 20 minutes.
Les réalisateurs des films projetés touchent-t-il des droits de diffusion ?
Boubou : Oui, bien sûr. Cela dit, il est possible que l’on passe des films muets libres de droits comme des courts que des réalisateurs nous autorisent à projeter gratuitement.
Hugo : Disons que l’on considère comme normal de payer des droits pour les films projetés, à condition que les boîtes de production comprennent que l’on forme une association indépendante qui vit sans subvention et ne diffuse pas devant 10 000 personnes. C’est ce qu’on précise lorsqu’on envoie des demandes : on veut bien payer des droits mais il faut aussi qu’ils comprennent qu’il y a certaines sommes qu’on ne peut pas dépenser.
Jordi : Il arrive que des réalisateurs nous laissent leur film gratuitement car ils sont très heureux de savoir qu’ils seront simplement projetés. Ils souffrent évidemment du fait que le court-métrage soit si peu diffusé, excepté des festivals comme Clermont-Ferrand.
D’où vient la nourriture des Kino-Bouffes ?
Hugo : On va la chercher dans les poubelles… (Rires). Les Kino-Bouffes sont l’une de nos ressources principales d’argent.
Jordi : On a d’abord tenté de faire un peu de récup’, de glaner dans les marchés etc. Mais c’est une énergie que les bénévoles n’étaient pas prêts à dépenser chaque mois. On achète donc de la nourriture pour nos menus végétariens, cuisinés l’après-midi de l’événement. C’est entrée-plat- désert, servis à table pour 5 euros, ce qui n’est pas très cher, et c’est prix libre pour ceux qui ne souhaitent pas manger.
Hugo : A un moment, on a pensé relever le prix des repas pour augmenter qualitativement la nourriture, en faisant du bio ou du local. Mais on a fait machine arrière et préféré rester dans ce budget-là afin que tout le monde puisse manger sans que ça lui coûte les yeux de la tête. Pour le moment, on reste donc là-dessus, en faisant cependant en sorte de favoriser les circuits-courts ou le bio.
Boubou : Il nous est déjà arrivé de faire appel à des gens extérieurs, que ce soit pour une Kino-Bouffe ou la Kino-Fiesta ! Je pense à Maquisard, par exemple, et d’autres petits producteurs. On peut donc se décharger de temps en temps en faisant appel à eux mais ça demeure des coûts en plus.
De quoi êtes-vous le plus fiers ?
Jordi : Personnellement, je suis assez fier du fait qu’on parvienne à faire des films sans argent et qui aient de la gueule malgré tout. Fier aussi qu’on réussisse à faire vivre culturellement le paysage audiovisuel toulousain.
Boubou : Fière qu’on reste peut-être des irréductibles qui résistons encore et toujours. Par exemple, on a refusé d’aller à Paris tout en sachant que la culture est centralisée et que le travail se trouve principalement là-bas. Ici, on a une structure qui nous soutient individuellement et nous permet de faire de bonnes choses, ce qui nous incite à rester en région – et on est de plus en plus à faire ça – et essayer d’y faire vivre la culture – d’autant qu’à l’heure actuelle on arrive à tenir ! On n’a pas encore besoin d’aller à Paris. Et ça, c’est une fierté.
Hugo : On a fait le pari de ne pas demander de subventions. On n’a pas voulu prendre le risque de ne plus en avoir alors que la structure en dépendrait, de subir les contrecoups d’une baisse généralisée. Cela dit, on peut en demander en fonction des projets, qu’il s’agisse de financement public ou de financement participatif, comme ça a déjà été le cas sur certains films. Mais l’idée est que l’association reste autonome, afin qu’elle puisse survivre, quels que soient les projets qu’elle organise. On essaye donc d’équilibrer nos comptes entre des événements qui nous rapportent un peu d’argent, d’autres qui nous en prélèvent et d’autres enfin qui s’équilibrent d’eux-mêmes. On a peu de charges par ailleurs puisqu’on est bénévoles, excepté notre service civique, mais on a eu l’idée l’année dernière de prendre un contrat aidé pour se décharger de la partie administrative et de la trésorerie, qui pèsent lourd sur tout le monde. En septembre, on a toutefois appris qu’on ne pourrait pas le faire, ce qui a remis beaucoup de choses en question au sein de l’association, et même failli la faire tomber car beaucoup de projets étaient construits sur cette idée. C’est ce qui nous bloque en ce moment : on aurait besoin d’une personne payée pour prendre personnellement en charge de manière professionnelle l’administration, la trésorerie, la veille sur les appels à projets etc. Mais on n’est pas en capacité financière de le faire sans une aide de ce genre. Par contre, l’association sert sur un plan professionnel pour les gens qui ont pour projet d’évoluer dans l’audiovisuel : elle tisse un réseau de contacts et fait donc circuler des projets sur lesquels nous pourrons être rémunérés en tant que techniciens.
Quelque chose à ajouter ?
Boubou : On est toujours à la recherche de bénévoles et de films. Là sur la réservation de la Kino-Bouffe, deux personnes ont envoyé leur film. Il y a 3 ans, on a créé un site, Kinosphère.org, dédié à la diffusion de court-métrages. Ce n’est pas le plus beau site du monde mais il y a quelques films en ligne dont on se sert, par exemple, pour les programmations de nos événements.
Hugo : Kinosphère.org est gratuit, sans pub, et fonctionne sur le même principe que YouTube c’est-à-dire qu’on s’inscrit, on poste une vidéo – à nous ensuite de vérifier qu’il s’agit bien d’un film – on ne poste pas de tutoriel de jeux-vidéo ou de vidéos de chats. Il n’y a pas de contrainte qualitative. L’idée était de faire une plateforme très ouverte, aussi large que possible, et dédiée au film. Cela dit, c’est très lourd niveau technique, donc je peux comprendre que d’autres plateformes choisissent un modèle payant, d’autant qu’on s’est rendu compte que pour que ça fonctionne, il faut fournir un grand effort de communication, ce qui est très difficile à faire en tant que bénévole. Préparer et lancer un plan de comm’, c’est un vrai métier. Donc en l’état, le site fonctionne, il y a des films dessus, mais il demande à être amélioré. Si un webmaster bénévole est partant pour passer une cinquantaine d’heures dessus, on l’accueille avec plaisir !
Jordi : On rentre dans le réseau D’ailleurs, un réseau de cinéma national indépendant qui regroupe des associations comparables à la nôtre et qui se rassemblent chaque année, dans un lieu différent. On vient donc de s’y greffer. Ce réseau constitue une belle utopie pour le cinéma.
Les prochaines Kino-Bouffes se profilent : rdv le 26 avril et le 29 juin à la Chapelle !
Tous les renseignements sur le site http://www.kaleidosfilms.org/