L’ouverture de l’œuvre et du toril libère des dames bien rangées qui montent à l’assaut de la face, leurs ombrelles braquées sur la salle. Et Don José tue Carmen sur le thème du destin, point de suspense.
Donc Don José, comme chez Mérimée, se souvient : d’une Carmen à effets de hanches et coups de jupons, d’une Micaëla très nattes bleues et jupe tombante. Que nous dit cette Carmen aujourd’hui ? Ma foi, je ne sais pas.
Jean-Louis Grinda et son équipe ont organisé les quatre actes autour, de part et d’autre ou à l’intérieur d’une hypersurface élégante, qui peut figurer une caserne, une arène, des montagnes, mais qui est hélas à la fois encombrante et bruyante lorsqu’elle est déplacée.
Acte I : voir et ne pas voir. Sur la place, où personne ne passe, il n’y a pas de place. Il semblerait que chacun vienne et aille dans la salle. Au point que Moralès entreprend Micaëla sans la voir, les deux personnages se parlant… face public. Voyez-les / Regards impudents / Mine coquette, disent les soldats. Mais on ne voit rien du tout, les cigarières sont encore derrière la porte close de la manufacture (ou du toril). J’apporte de sa part, fidèle messagère / Cette lettre dit Micaëla à Don José. Mais la lettre reste dans la besace de la messagère. Mais nous ne voyons pas la Carmencita disent les soldats. Le public, lui, l’a très bien vue entrer et s’allonger par terre – mais pourquoi donc – simplement pour que les soldats l’entourent et la désignent du doigt – La voilà – comme un seul homme ?
Acte IV, passe et repasse longuement l’hypersurface, avec bruit de foule et de roulettes, juste pour quelques secondes de projection montrant la prière d’Escamillo – était-ce bien nécessaire ? On retrouve ces dames à ombrelles qui montent à l’assaut. La foule acclame le paseo, qui lui aussi semble avoir lieu dans la salle, laquelle salle le voit derrière la foule – film d’une corrida de maintenant alors que l’affiche l’annonçait pour ce jour de 1875. La projection, redondante, anachronique, durera jusqu’à la mort de Carmen, avec un effet réussi de perturbation de l’attention et d’entrave à la montée de l’émotion.
Une très jeune danseuse, à la fois fatum et double de Carmen, apparaît régulièrement, sur la place, chez Lilas Pastia, apportant les cartes du destin dans la montagne et la robe de mort devant l’arène. Belle idée, mais est-il nécessaire qu’elle danse systématiquement, et pas toujours parfaitement ?
Les artistes du Chœur du Capitole, malheureusement peu mis en valeur scéniquement, sont excellents comme à l’accoutumée. Mais on frise l’accident avec les gamins à l’acte I, l’air commencé en coulisses se décalant par rapport à l’orchestre à l’entrée en scène, entrée elle-même scandée par des bruits de pas qui tombent à côté de la musique. La Maîtrise retrouvera à l’acte IV toutes les qualités qu’on lui connaît. Parmi les seconds rôles, si Christian Tréguier parle son Zuniga plutôt qu’il ne le chante, les Mercédès et Frasquita de Marion Lebègue et Charlotte Despaux sont délicieuses et le Moralès d’Anas Seguin fait grande impression.
Dimitry Ivashchenko propose un Escamillo sans grande séduction. Anaïs Constans fait de beaux débuts en Micaëla, malgré une crispation perceptible dans le duo de du premier acte – en oublie-t-elle de sortir la fameuse lettre ? Mais quasiment rien ne [l]’épouvante dans la montagne.
Charles Castronovo, Don José très engagé scéniquement et vocalement, suscite à lui seul toute l’émotion de la représentation. Une très belle Fleur, une scène finale où la brutalité se fait poignante et élégante à la fois, une diction française presque parfaite même lors des passages parlés, une ligne de chant sans défaut, on peut même imaginer que l’artiste pourrait atteindre au sublime avec une autre partenaire.
Car la Carmen de Clémentine Margaine, incarnée à gros traits, laisse dubitatif. Le personnage est d’emblée détestable, vulgaire, provoquant sans séduire. La habanera, chantée au public de la salle plutôt qu’au public de la place, ponctuée de grandes reprises de souffle, ne montre aucune montée de tension de séduction. Tout le chant est assorti de vilaines accentuations de syllabes, de respirations bruyantes en milieu de phrase, de notes approximatives. Un certain malaise s’installe. Libre elle est née, libre elle chantera.
Photos © Patrice Nin
Capitole, 8 avril 2018
Une chronique de Una Furtiva Lagrima.