Je me souviens de Mady de la Giraudière:
« Notre-Dame de la peinture naïve », comme l’appelait le romancier Paul Guth.
Je me souviens de ses toiles pleines de fraicheur et de naturel, de poésie bien sûr, même quand elle peignait les usines et le travail industriel, inspirée par l’industrie textile de Lavelanet (dont son père avait été un membre très actif), ou encore son rêve prémonitoire de la finale la Coupe du Monde de 1998, au Stade de France, remportée par la France, qu’elle a donné à mon fils Romain tifoso précoce, mais aussi ses scènes bibliques (sept grands tableaux de la vie du Christ accrochés dans le chœur de l’église Notre Dame de l’Assomption).
Je me souviens d’avoir vu dans la crypte du Sacré cœur à Paris son Chemin de croix installé désormais dans la Chapelle des Fonds Baptismaux de Lavelanet.
Je me souviens de ses animaux vibrants de vie comme ceux de Dom Robert (1), des sites grandioses de son pays féerique: le pog de Montségur, pays de son père, toujours brûlant au milieu de ce site exceptionnel et chargé d’histoire des Monts d’Olmes, au fil des saisons,
ou le Camom, ce village fortifié d’Ariège avec son abbaye, classé parmi les plus beaux villages de France: elle l’a offert à mon autre fils Thibault pour l’encourager à continuer à peindre…
Je me souviens de cet univers merveilleux, hérité de son enfance dans la liberté de la nature en Ariège, où rêve et réalité se marient: Anatole Jakovsky, qui l’avait découverte et encouragée à ses débuts, disait fort justement: « Dans la plupart des tableaux de Mady de La Giraudière, on entend les sonnailles, comme on y sent le thym, la lavande et le laurier. Et le soleil, le bon soleil du midi ne s’y couche pour ainsi dire jamais. »
Je me souviens de ses dédicaces souriantes, toute une journée, sur ses lithographies vendues au profit de l’association Hôpital-Sourire que j’avais mise en place, afin de financer la salle Philippe Noiret, une salle se spectacles toute équipée au sein de l’Hôpital des Enfants de Toulouse, avec piano, sonorisation, jeu d’orgue et éclairages, pour offrir des spectacles aux Enfants hospitalisés en état de se déplacer et à leurs familles, inaugurée en 2002, où se sont produits de nombreux musiciens, clowns, marionnettistes, conteurs etc. et où les Soignantes-Chanteuses de Grand Air & P’tit Bonheur répétaient. C’était l’âge d’or de la Culture à l’Hôpital. Cette salle est hélas aujourd’hui démantelée pour offrir au service d’Orthopédie de bureaux plus grands; autre temps, autres mœurs !
Je me souviens de Mady de la Giraudière, cette grande Dame, qui a été exposée dans le monde entier, de Rome à New York, en passant par Bâle ou Rio de Janeiro, sans oublier le musée des Augustins à Toulouse, et qui avait la simplicité des plus grands, m’offrant une tasse de thé et ses poèmes, sous la tonnelle de sa maison de Lavelanet, alors que j’étais venu lui porter mon enregistrement des poèmes de Francis Jammes (Clairières dans le ciel) qu’elle appréciait tant; elle m’avait offert ce jour-là son livre richement illustré « Aux couleurs du temps » où ses textes poétiques côtoient les reproductions si colorées de ses œuvres (2), que j’ouvre souvent avec bonheur.
Je lui ai parlé de mon projet de concert poétique à Puivert et à Montségur-le-Château sur les Troubadours et les Cathares, le Chant des Brûlés-Lo Cant dels Cremats, que je n’aurai pas eu le temps de lui faire écouter, puisque le disque (3) est sorti de l’imprimerie quelques jours après son décès le 24 février 2018.
Je garde dans mon cœur le souvenir de cette Rêveuse, de cette petite fille en robe bleue devant son pupitre d’écolière, où trône une pomme rouge, devant écrire 50 fois sur son cahier « je ne dois pas rêver à l’école », mais dont le regard se perd par la fenêtre dans la cour de récréation et dans la campagne au loin. Il est en face de mois quand j’écris à mon bureau. Je suis sûr que c’était elle.
Et j’entends la Rêveuse de Marin Marais interprétée par Jordi Savall, dans le film Tous les matins du monde, le film d’Alain Corneau adapté du roman de Pascal Quignard:
https://www.youtube.com/watch?v=2HZd4ZpoeXM
Au revoir Mady, et merci de m’avoir tant fait rêver.
Voie lactée ô sœur lumineuse
Des blancs ruisseaux de Chanaan
Et des corps blancs des amoureuses
Nageurs morts suivrons-nous d’ahan
Ton cours vers d’autres nébuleuses…
(Guillaume Apollinaire)
Je me souviens de Didier Lockwood:
Je l’ai rencontré la première fois à la Halle aux Grains de Toulouse en 1974, lors d’un concert avec Magma que nous avions organisé avec ma première association, Tartempion. Il avait dix-sept ans, il sortait du Conservatoire de Paris (où il était entré avec une dispense de ses parents, car il était mineur !), avec la mention très bien du Prix de Violon. Premier Prix de Violon du Conservatoire National de Calais à 16 ans, il venait d’intégrer à la fin de l’année précédente ce groupe de progressif rock: « Cela a été mon service militaire. J’y ai perdu quelques dents mais gagné beaucoup d’enseignements. On se foutait à cette époque de la fiche de paye. J’étais, comme tous les autres équipiers du théâtre Magma, totalement allumé. Je veux le rester toujours… »
Ce soir-là, sur un crescendo, il s’était ouvert la lèvre d’un coup d’archet, éclaboussant la scène de gouttes de sang, et avait continué comme si de rien n’était !
Puis il avait rejoint le groupe Zao, créé par deux anciens membres de Magma, que nous faisions jouer dans les lieux les plus reculés de Blaye-les-Mines à Estantens près de Muret.
« Ce fut pour moi en 1977 la succursale de Magma, mais dans une formule rabelaisienne. J’ai apprécié de travailler avec « Faton » Cahen (le pianiste). Grâce à lui, j’ai repris les kilos que j’avais perdus chez Vander. Il y avait aussi Yochk’o Seffer (le saxophoniste). Je l’aime toujours pour ses excès, son énergie vitale et sa folie créatrice. »
Je me souviens aussi de l’un de ses concerts au Théâtre de la Ville à Paris avec Stéphane Grappelli, dont il m’a dit un jour devant un verre à propos de ce grand violoniste devant l’Éternel: « Il reste un modèle. Dans sa carrière, des galères des débuts aux galas de son embellie finale, Stéphane aura tout connu. Comme, après la mort de Django, un purgatoire de près de 15 ans au Toit de Paris à l’hôtel Hilton. Je me souviens de mon denier concert avec lui et Petrucciani à Nice en 96. Bien que très fatigué, il avait toujours une âme de gamin et ce regard d’enfance inépuisable. La vie était pour lui un grand jeu qui n’a cessé de l’amuser. »
Et je me souviens encore de ce concert d’anthologie organisé à la Salle Nougaro par le regretté Gil Pressnitzer avec Michel Petrucciani: « Mon entente avec lui a été en tout point exceptionnelle. On partageait le même groove. Je ne luttais jamais avec lui comme je pouvais le faire avec Martial Solal, avec qui j’ai beaucoup appris. Il m’apportait un divan rythmique d’un confort absolu. Je ne prends jamais autant de plaisir qu’avec un musicien rythmiquement bien placé. »
Devenu délégué aux Projets culturels en Pédiatrie, Gériatrie et Psychiatrie au CHU de Toulouse, dans le cadre du Programme Culture à l’Hôpital (« pour améliorer le bien être psychologique des Personnes hospitalisées »), je l’ai invité à l’Hôpital des Enfants: il a tout de suite accepté. Nous sommes allés dans de nombreuses chambres que nous indiquaient les Soignantes où il jouait un petit morceau et échangeait des mots gentils avec tout le monde, puis je l’ai installé dans l’Atrium devant tous les enfants que nous avions pu déplacer, des parents, des éducatrices et quelques médecins. Pendant une heure et demie, s’appuyant sur sa machine à rythmes, il nous vait voyager, en véritable globe-trotter (c’est le nom d’un de ses enregistrements) à travers toutes les formes de violons: classique, tzigane, blues, cajun, indien; et irlandais, comme cette belle Ballade:
Un moment unique de grâce suspendue…
Enfin, le 8 décembre 2005, je l’ai retrouvé à la Halle aux Grains avec Jean-Marc Philips-Varjabédian, Caroline Casadessus, Nicolas Charlier, et de jeunes musiciens plein de talent, Thomas et David Enhco etc., pour le concert annuel organisé par l’Amicale des Arméniens de Midi-Pyrénées au bénéfice des enfants des rues d’Arménie. Après une prestation inoubliable, comme toutes celles qu’il donnait, c’est avec sa grande gentillesse habituelle qu’il a partagé avec le public le buffet convivial d’après-concert.
Didier Lockwood a vécu comme il jouait du violon, à la manière d’une étoile filante. Nul doute qu’il a rejoint le paradis des musiciens où il entraine les anges dans des jam-sessions échevelées.
Lui qui aurait pu dire comme Henri Michaux (1899-1984):
Mon violon est un grand violon-girafe;
j’en joue à l’escalade,
bondissant dans ses râles,
au galop sur ses cordes sensibles et son ventre affamé aux désirs épais,
que personne jamais ne satisfera,
sur son grand cœur de bois enchagriné,
que personne jamais ne comprendra comme moi (…).
E.Fabre-Maigné
https://lacompagniedureveur.blogspot.com/
2-IV-2018
1) à ne pas rater la nouvelle exposition des œuvres de Dom Robert à l’Abbaye-Ecole de Sorèze
2) Aux couleurs du temps Editions Dangles
3) Editions TrobaVox http://trobavox.wixsite.com/editions