Le trio de voix exceptionnelles, Voix sacrées, avec Patrizia Bovi, Fadia Tomb El-Hage et Françoise Atlan célèbre une rencontre mystique unissant plusieurs siècles de traditions anciennes. Patrizia Bovi, chanteuse et musicologue, nous parle de ce projet ambitieux et original, avec leur concert à Odyssud.
Comment est née l’idée très originale d’unir autour de la voix les trois religions monothéistes ?
Au départ, l’idée vient suite à deux expositions sur les trois religions qui ont eu lieu à Anvers. Dans un musée, il y en avait une sur les manuscrits de la Bible, de la Torah, et du Coran, dans différentes versions et différentes époques. Dans un autre musée, il y en avait une autre sur les divers lieux de pèlerinage des trois religions. Et, pour la clôture de ces expositions, on m’avait demandé de préparer un programme afin de chanter les trois religions avec trois voix de femmes. Immédiatement, j’ai pensé que ce n’était pas possible de chanter les religions du livre dans le sens liturgique du terme avec des voix de femmes, parce que dans aucune de ces religions c’est la femme qui chante la liturgie. Mais c’était exactement cela le challenge. Mon idée alors était plutôt de travailler sur la partie mystique de chaque religion et de ne pas chanter la liturgie.
Vous connaissiez déjà Fadia Tomb El-Hage et Françoise Atlan ? Et Comment avez-vous travaillé ?
Je connaissais déjà Fadia parce qu’on avait collaboré dans deux projets différents avec le chorégraphe Sidi Larbi Cherkawi, mais je n’avais jamais travaillé avec elle. Par contre, j’avais toujours eu envie de l’inviter à faire un projet ensemble. Puis un ami, Philippe Leclant, qui savait que je cherchais une troisième personne pour chanter la partie juive m’a conseillé d’appeler Françoise Atlan. Je la connaissais en tant que chanteuse et j’avais ses disques. Le choix de Françoise était très logique, et le destin a voulu que cette combinaison marche très bien.
Deux musiciens, Peppe Frana et Gabriele Miracle, vous accompagnent également sur scène, comment définiriez-vous leur rôle?
En effet, j’avais besoin de deux musiciens qui connaissent les trois traditions pour se joindre au trio, et ce n’était facile à trouver. Je chante la tradition chrétienne du Moyen-Age, il fallait donc quelqu’un qui connaisse les instruments de cette époque, mais il était nécessaire aussi de pouvoir accompagner avec un instrument la tradition soufique de Fadia. Peppe Frana est un musicien extraordinaire, il a une formation dans les deux traditions, il joue de l’oud et il connait toutes les traditions du Moyen-Orient, de la musique turque. Il joue aussi de la musique médiévale et tout ceci était parfait, car il pouvait utiliser les mêmes instruments pour la tradition sépharade et accompagner Françoise. Gabriele Miracle est un musicien percussionniste qui joue différentes percussions de plusieurs parties de la méditerranée. Le projet, constitué de nous cinq, était totalement cohérent et avec peu de moyen on a construit un concert très intime et très efficace pour raconter les trois religions.
Quel message vouliez-vous véhiculer à travers ce projet ? Etait-ce un message d’union ?
Oui absolument, surtout que notre premier concert a eu lieu le 14 janvier 2015, une semaine après l’attentat de Charlie Hebdo et on se trouvait dans une situation délicate. On avait déjà préparé le projet et le public est venu. C’était comme un témoignage des gens qui voulaient être là, présents. Le lendemain, le directeur du festival d’Anvers m’a appelée et m’a dit qu’il voulait ouvrir la saison avec notre concert. Il désirait que ce soit un témoignage pour montrer l’union et le langage commun des trois religions, pour contraster avec cette folie totale de l’extrémisme qui n’a rien à voir avec la religion.
Aviez-vous aussi envie de faire mieux connaître les différentes cultures et de jouer un rôle de transmission autour de textes parfois oubliés ?
Oui, car on a aussi chanté dans des festivals qui n’étaient pas spécialisés dans les musiques anciennes. Pourtant, le fait de montrer que plus on remonte dans le passé, plus on a un langage commun, est une bonne manière de dire que l’on a des racines communes. A un certain moment les trois religions se rencontrent. Au sud de l’Espagne, par exemple, il y a eu le royaume des trois cultures qui a duré longtemps au Moyen-Age. Cette période est comme une espèce de laboratoire – si on peut le dire avec un mot moderne – qui démontre que la convivence entre les trois religions et les trois cultures a laissé des d’œuvres d’art et des œuvres musicales qui sont la combinaison des trois cultures.
Comment avez-vous choisi les textes ?
On a travaillé ensemble avec Fadia et Françoise. Fadia vient d’une tradition qui appartient à l’église chrétienne d’orient et elle chante aussi en arabe. Elle a cherché, exprès pour ce projet, un maître qui enseigne certains chants soufis. Françoise a choisi des chants de la tradition sépharade. Il y a des aussi des chants issus d’un manuscrit écrit par un monastère de femmes, et aussi des chants de la tradition orale, un stabat mater et un chant qui raconte l’histoire de le Vierge pendant la Passion de Jésus Christ.
Chacune d’entre vous chante une religion : Fadia Tomb El-Hage les chants maronites, syriaques, byzantins et les chants soufis. Françoise Atlan, les chants religieux sépharades et vous les chants chrétiens médiévaux de l’occident, mais l’idée est aussi de faire des improvisations vocales ensemble pour unir vos trois voix ? Est-ce un lien symbolique ?
Exactement, chacune chante la musique de sa tradition, puis il y a quatre moments où nous sommes toujours ensemble.
Pensez-vous qu’à notre époque actuelle, il est plus que jamais nécessaire de montrer une union autour des trois religieux qui célèbrent finalement un seul Dieu ?
Oui, car ce qui m’a beaucoup frappée quand je préparais les textes et notamment avec les traductions, c’est qu’on utilise les mêmes mots dans toutes les religions. On utilise les mêmes paroles pour dire l’amour de Dieu. Le même langage. Par exemple, dans la tradition islamique, il existe l’union de l’amour pour l’homme ou pour la femme et l’amour pour dieu. Et cela me rappelle le langage médiéval parce que la poésie au Moyen Age est toujours imprégnée soit de l’amour pour dieu, soit de l’amour pour la femme aimée. Quelquefois il est même difficile de savoir si le texte est en train de parler de la femme aimée ou de la vierge Marie. Dans le langage des troubadours et des trouvères les mêmes mots sont utilisés que ce soit pour évoquer la femme ou bien la Vierge. Il y a ainsi beaucoup d’éléments qui relient les trois religions. Ce qui permet de tisser un lien c’est aussi le langage modal. J’ai choisi, dans la partie chrétienne, de chanter des morceaux qui utilisent le langage modal et qui est proche de la tradition sépharade ou soufi.
Vous avez présenté ce concert en France et à l’étranger, les réactions sont-elles différentes selon les pays?
Non, le message a été compris partout, et la participation a été incroyable. Il y a eu seulement une petite polémique à Florence de la part de quelques journalistes, mais rien d’important. J’y ai répondu en disant qu’on suivait la position du pape. C’est-à-dire le partage et l’acceptation. Le pape a toujours défendu toutes les religions. Et nous on respecte cette position et on se trouve totalement en syntonie avec le message du pape.
Odyssud fête ces 30 ans, vous-même vous avez fêtez, il n’y a pas si longtemps, (en 2015) les 30 ans de l’ensemble Micrologus que vous avez fondé. 30 ans, est-ce une date, un chiffre, un anniversaire qui compte et qui signe une belle carrière ?
30 ans est un anniversaire très important. Il y a peu de groupe qui peuvent se vanter d’y être arriver. Pour nous, pour l’ensemble Micrologus, pour Peppe Frana et Gabriele Miracle, qui font aussi partie de l’ensemble Micrologus, chaque fois qu’on fait un concert, qu’on termine une année ou qu’on fait un nouveau projet ensemble, on ne compte plus. 10 ans c’était bien, 20 ans c’était incroyable, on avait fait un disque, c’était un couronnement du point de vue artistique, on ne pensait même pas arriver à 25 ans et après 30 ans ! Et on les a même dépassés ! 30 ans, c’est une date très importante.
Sylvie Vaz