Ça change du bouquet de tulipes de Jeff Koons. Ici, pas de problème, c’est beau, point. Tout juste peut-on espérer que les visiteurs s’attarderont un peu plus sur ces merveilles présentées qui ont pour la plupart un demi-millénaire d’existence, c’est peu dire. C’est la nouvelle expo du Musée des Augustins couplé avec la Bibliothèque d’étude et du patrimoine, intitulée Toulouse Renaissance. Elle va jusqu’au 16 juin pour la Biblio et 24 septembre pour le Musée.
Il fallait cogiter le thème de l’expo, et plusieurs années auront été nécessaires. Ensuite, réfléchir à ce qui peut être montré dans ces lieux donc, rameuter les pièces envisagées, si possible, les faire parler, les mettre en situation, les expliquer, les scénographier, le noyau dur étant constitué à partir des collections permanentes. Être bien sûr de ce que l’on présente, etc… un énorme travail que l’on se doit de mettre en avant car il serait fort dommage de déambuler tout en l’ignorant. On n’oublie pas les petites fiches explicatives et le catalogue, catalogue que l’on vous conseillerait presque de prendre sous le bras pour suivre les différentes sections de l’expo. Ce qui serait nettement plus utile que les selfies au bout de ces immondes perches. Essayez d’observer avant de prendre en photo !!
Avis, l’expo se déroule sur deux lieux. Ne surtout pas omettre à la Bibliothèque d’étude et du patrimoine, le travail de présentation des enlumineurs toulousains qui, à la fin du Moyen-Âge, mettaient tout leur talent au service de l’enluminure des manuscrits sur parchemin, moyen d’expression privilégié de la création picturale. En suivant le parcours jalonné par six sections, vous arriverez jusqu’à l’imprimerie, et vous vous prendrez à regretter que l’on ne soit pas resté au temps d’avant, tellement ces peintures sont extraordinaires, et conservées comme par miracle. Manuscrits précieux rescapés témoignant de la vivacité artistique et économique du Midi de la France entre Moyen-Âge et Renaissance. Mais combien de ces merveilles ont dû être hélas détruites.
Le gros de l’expo, c’est bien sûr au Musée des Augustins. Le travail est le fruit d’une étroite collaboration entre les instances du musée et celles de la bibliothèque, une fois n’est pas coutume et, de plus, on ne peut qu’en louer l’initiative, la collaboration de l’université Toulouse Jean-Jaurès sous la férule de Pascal Julien, professeur d’histoire de l’art, assisté d’une dizaine de doctorants particulièrement motivés par le projet. Penchés sur ce dernier depuis plusieurs années, les commissaires de l’expo sont Axel Hemery pour le Musée ainsi que Pascal Julien, et Magali Vène pour la Bibliothèque.
Paris sera toujours Paris, peut-être mais, en ce temps-là, c’est la troisième ville de France, Toulouse qui rayonne et la Renaissance est une période faste, du point de vue architectural, mais aussi économique, patrimonial et bien sûr artistique. Architecture, peinture, sculpture, enluminure, tapisserie, vitrail, orfèvrerie, imprimerie, fonte, menuiserie… tous les artistes et exécutants n’ont rien à envier à tant d’autres ailleurs pour lesquels on se déplace en ignorant souvent ce dont on peut disposer plus près. Il n’y a pas que l’industrie du pastel alors, mais elle va permettre d’édifier rapidement des fortunes avec lesquelles les riches marchands feront construire de somptueuses demeures, des hôtels particuliers admirés de tout temps de par leur architecture, et sculptures. Les premiers magistrats de la ville, les capitouls, participeront à l’essor de tous ces corps de métiers artistiques.
A vous donc, de découvrir en suivant les cinq sections de l’exposition, les nombreuses pièces présentées et souvent inédites, qui dépassent les espaces habituels liés à la peinture et la sculpture, sans oublier l’espace dédié à un certain Henri de Navarre, futur Henri IV. Vous découvrirez alors de somptueuses enluminures, les antiphonaires d’un certain Antoine Olivier et sa fameuse petite mouche, une gigantesque tapisserie, de la cathédrale Saint-Etienne, du mobilier, des armes, des vitraux, ceux de la cathédrale d’Auch avant leur retour en place après restauration, des éléments d’architecture d’un certain Nicolas Bachelier, l’architecte de l’hôtel d’Assezat, sans doute le plus bel hôtel particulier Renaissance de Toulouse, etc..
Tout au long de ce parcours fragmenté, les œuvres rassemblées visent à ne jamais dissocier le fait artistique de son contexte, pour une cité soumise à des pouvoirs civils, parlementaires et religieux avides d’apparat, au sein d’une région qui vécut une conflictuelle montée en puissance du protestantisme et des enjeux du trône.
Mais nous sommes bien au XXIè siècle et les structures sont présentes pour les derniers rendez-vous pris avec les progrès techniques. C’est ainsi que le site Rosalis vous offre gratuitement une cinquantaine de manuscrits enluminés qui ne sortent jamais ou presque. Tout cela sera complété par un dossier qui présentera tout ce qui participe à l’expo actuellement, soit 40 documents en plus. Quant au Musée, une application originale vous permettra même de visiter des hôtels Renaissance de Toulouse en vrai “gentleman cambrioleur“. Les animations sont multiples, les visites commentées aussi. Il y a même de prévu des concerts de musique de la Renaissance.
Ne pas oublier que Toulouse a reçu le label : Cité européenne de la science 2018, et dans ce cadre là, cet expo met également en valeur des techniques de la Renaissance, en particulier, la présentation et la démonstration des fontes réalisées à l’université de la Columbia à New-York d’après un livre de recettes toulousain, mais oui, écrit en 1582, conservé à la BNF. Ses données philologiques et techniques sont soumises à un traitement numérique innovant, en un mot, le XXIè au service du XVIè. Le livre est présenté au Musée. Vous jetterez un œil averti sur la sculpture en fonte Dame Tholose ainsi que sur la copie du Mercure de Jean de Bologne.
Et, répétons-le, un élément indispensable qui ne sera pas là uniquement pour faire joli et cultivé sur la table basse du salon, le catalogue de l’expo, sorte de work in progress, le livre qui sera sûrement ouvrage de référence incontournable sur l’art de la Renaissance à Toulouse. La couverture présente la Tête d’homme barbu de Nicolas Bachelier, d’une très grande force d’expression : admirez la chevelure, la barbe, les yeux et la larme. Ouvrage qui vous fera part aussi, au de-là de l’intérêt qu’il présente pour revenir sur chaque objet présenté, d’un chapitre supplémentaire sur l’impressionnant travail de restauration engagé dans le cadre de cette exposition. Expo que vous ne pouvez rater en attendant celle qui vous fera remonter plus haut encore dans le temps, le plein Moyen-Âge.
Michel Grialou
Toulouse Renaissance
Musée des Augustins
du 17 mars au 24 septembre 2018
Bibliothèque d’Étude et du Patrimoine
du 17 mars au 16 juin 2018