Raphaël Pichon dirige le « Requiem » de Mozart, avec son ensemble Pygmalion et Sabine Devieilhe, Sara Mingardo, John Irvin, Nahuel Di Pierro, à Versailles, Bordeaux et Toulouse.
Depuis cinq ans, il n’est plus de saison des Grands Interprètes sans la présence toujours très attendue du talentueux Raphaël Pichon (photo), jeune chef versaillais désormais en terrain connu à la Halle aux Grains. Il est comme toujours accompagné de son ensemble Pygmalion, chœur et orchestre jouant sur instruments d’époque, et de merveilleux solistes: la jeune soprano française Sabine Devieilhe, la contralto italienne Sara Mingardo, le ténor américain John Irvin et la basse argentine Nahuel Di Pierro – un habitué du Théâtre du Capitole. Ils interprèteront le fameux Requiem de Mozart, page inachevée écrite en 1791, année de sa mort. Il sera entrecoupé d’autres œuvres moins connues, marquées par les inspirations maçonniques de Mozart et contemporaines du « Requiem ». Ce programme entend ainsi dessiner un portrait crépusculaire du compositeur, un «dernier voyage du Compagnon Mozart», comme l’annonce l’affiche.
La dernière partie de la vie de Wolfgang Amadeus Mozart fut en effet fortement marquée par sa proximité avec la loge maçonnique de la Bienfaisance qu’il fréquente à Vienne dès 1784. L’année suivante, âgé de 28 ans, il réussit à convaincre son père Léopold et son ami Joseph Haydn d’être initiés à cette même loge. Les «mystères maçonniques» viennois de l’époque se limitaient alors essentiellement au déploiement de mondanités, laissant ainsi à Mozart le loisir de cultiver sa piété catholique. Sous influence, le compositeur injecte dans son écriture des teintes humanistes et graves, comme en témoigne les « Musiques et Cantates maçonniques » composées spécifiquement, ou encore l’opéra « la Flûte enchantée » – véritable rite initiatique, écrit par le compagnon Emanuel Schikaneder – et enfin son « Requiem ». Ce programme de musiques au caractère solennel et funèbre sera l’occasion d’apprécier tout particulièrement une interprétation de « l’Ode funèbre maçonnique » pour chœur d’hommes.
Mozart meurt à Vienne, le 5 décembre 1791, à l’âge de 35 ans. En guise de funérailles, un service commémoratif organisé par Schikaneder a sans doute permis l’exécution de l’Introitus et du Kyrie du « Requiem » en ré mineur laissé inachevé. Cette œuvre est le fruit d’un mystérieux marché : au mois de juillet 1791, alors que le compositeur ployait sous les dettes, la commande d’un requiem lui parvint d’un interlocuteur anonyme ; la livraison devait rester secrète, moyennant une récompense avantageuse. On sait aujourd’hui que le commanditaire était l’excentrique comte von Walsegg, alors désireux d’honorer la mémoire de sa femme morte au début de la même année. Comme il en avait l’habitude, le secret lui permettrait de s’attribuer la paternité de la partition.
Raphaël Pichon a choisi d’interpréter la fin de ce Requiem écrite en 2016 par Pierre-Henri Dutron, Ce jeune compositeur français a révisé la partie complétée hâtivement par le compositeur autrichien Franz Xaver Süßmayr. La version de Pierre-Henri Dutron se veut plus fidèle à l’originale, grâce à son étude scrupuleuse de la partition et à des recherches très poussées sur le contexte de son écriture. Le jeune musicien a alors choisi de privilégier l’émotion plutôt que la grandiloquence.
Selon le compositeur, «tout le monde s’accorde à dire que la complétion de Süßmayr est mauvaise. Mais on pense, même si on n’en a aucune preuve, qu’il a pu recevoir des indications données par Mozart sur son lit de mort. Or le style de Mozart se reconnaît. Et il n’y a pas d’énorme influence, pour moi, dans les parties écrites par Süßmayr, à part la reprise des deux mouvements à la fin, dans un souci d’unité. Je suis reparti de la source. Que j’ai décidé d’étendre en croisant différents types de critères – musicologique, esthétique, mais aussi spirituel — pour essayer de donner une forme à cette œuvre. Un requiem a une histoire, au début on dit adieu au défunt, et à la fin il est accueilli ailleurs. J’ai cherché à prendre tout ce que Mozart avait laissé. J’ai cherché des indices dans sa correspondance, ses écrits, ses brouillons. J’ai essayé d’analyser l’évolution de son écriture durant les dernières années de sa vie. En 1791, Mozart est dans une démarche de recherche. Il se tourne vers le spirituel, c’est « la Flûte enchantée », où il évoque clairement ses idéaux francs-maçons. Son style va à l’essentiel, il enlève le superflu de l’époque galante. Sa musique est plus dramatique, plus resserrée.»(1)
Pierre-Henri Dutron poursuit : «Le projet a commencé en 2011. Il peut se diviser en deux grandes parties. La première concerne les pièces commencées par Mozart, mais pas achevée, où il y a les voix mais pas l’orchestration. Mon but était de les orchestrer, de prendre ces bijoux et d’en faire le sertissage, leur trouver la monture la plus adéquate. Avec un orchestre discret pour mettre en valeur le discours musical. Dans cette partie-là, on peut s’affranchir complètement de ce qu’avait fait Süßmayr. Le matériau est suffisant pour finir les pièces seul. Süßmayr était un bon compositeur mais un piètre orchestrateur. Il n’y a pas grand-chose à sauver pour l’orchestre. Pour la deuxième partie du projet, il y a alors deux nouvelles étapes : conserver les compositions de Süßmayr et les mettre plus en adéquation avec le reste, c’est-à-dire les recadrer et les réorchestrer. Ou bien s’en affranchir et proposer de nouvelles compositions à la place, à partir de brouillons et de thèmes en admettant une part d’arbitraire. Mais ce sont des pièces de toute façon très codifiées. Nous avons le texte et il n’y a pas de doute sur la durée du découpage.»(1)
Jérôme Gac
Pygmalion
Raphaël Pichon (direction)
Sabine Devieilhe (soprano)
Sara Mingardo (mezzo-soprano)
John Irvin (ténor)
Nahuel Di Pierro (basse)
Halle aux Grains
mercredi 14 mars 2018 à 20h00
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Raphaël Pichon © Francois Sechet