Compte-rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 23 février 2018. Attahir. Prokofiev. Dvorak. Andrei Korobeinikov, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Andris Poga.
En ouverture de concert, la belle œuvre de Benjamin Attahir, « Sawti’l Zaman » (portrait ci contre), a trouvé un public attentif et ravi. Cette œuvre symphonique complexe et exigeante est d’une très grande variété thématique. Le refus du développement et de la variation provoque une impression de grande richesse voire de gaspillage tant les thèmes passent et disparaissent sans retour. La variété infinie des inspirations avec des timbres rares ou très habituels, est habilement répartie sur toute la pièce symphonique. Il y a toutefois une sorte de continuité stylistique comme un fil rouge. Il s’agit de quelque chose d’assez peu explicable mais qui pour moi évoque une certaine transparence de texture, une lumière particulière, propre à la musique française du début du XX ème siècle ; également un travail sur le rythme et la danse qui fait penser à la musique française des XVII et XVIII ème siècles. Le titre lui-même fait référence à la musique trans-méditerranéenne si chère à l’exotisme de Camille Saint-Saëns ou de Ravel. Il y a donc un vrai travail de remémoration et d’hommage caché à plusieurs pans de la musique française d’avantage encore qu’au seul Pierre Boulez. Voici donc une très belle œuvre qui pourrait parfois paraître trop riche tant elle contient de moments inspirés.
L’interprétation par les musiciens de l’Orchestre du Capitole met en lumière leur virtuosité comme leur habitude des éléments français que j’évoquais plus haut. Andris Poga très concentré a une battue efficace qui permet une belle compréhension des motifs si variés en leurs couleurs si somptueuses. Cette œuvre contemporaine semble particulièrement bien comprise et accueillie par le public toulousain comme lors de la création à Lausanne.
Le Deuxième Concerto pour piano de Prokofiev est rarement donné, tant il est difficile sur tous les plans. Il demande un pianiste virtuose capable de couleurs et de nuances très appuyées et malgré sa complexité rythmique, d’oser des moments de rubato audacieux. Andrei Kalachnikov est cet artiste exceptionnel exigé par une telle partition. Il y ajoute une fièvre particulière, conservée jusqu’aux dernières notes, qui est proprement fascinante. Nous avons la certitude d’entendre toutes les richesses de l’œuvre et les qualités d’Andrei Korobeinikov sont évidemment pianistiques ; elles sont surtout celles d’un fin musicien. Les couleurs foisonnent et les nuances sont d’une subtilité rare. Il ose des moments d’infime rubato d’une incroyable délicatesse. Ce musicien exceptionnel a offert un Prélude de Scriabine en bis qui a laissé le public pantois. Les musiciens de l’orchestre du Capitole relèvent le défi de la virtuosité avec panache tout particulièrement dans le deuxième mouvement : Scherzo vivace. Les moments de tendresse sont de véritables moments de bonheur.
Dans sa direction, Andris Poga n’arrive pas à établir solidement l’équilibre qui aurait permis d’entendre le pianiste lors des fortissimi de l’orchestre. S’il tient parfaitement la battue, ce qui n’est pas rien, il ne rend pas le phrasé subtil de Prokofiev et rate la grande montée de la fin du premier mouvement. Le troisième mouvement est un peu mécanique face à la souplesse du déhanché du pianiste. Andris Poga n’est pas répondu aux subtilités qu’Andrei Korobeinikov propose dans ses nuances et ses fulgurances remarquables.
La dernière partie de concert comprenait la Huitième Symphonie de Dvorak. Partition un peu pompier et très extravertie. Un dosage particulier avec de l’humour en offre toutes les saveurs. Ce n’est pas le parti choisi par Andris Poga. Le chef ici semble diriger à la lettre laissant les cuivres s’en donner à cœur joie sans chercher à construire un équilibre avec la délicatesse des bois ou la profondeur des cordes, -quels violoncelles ! Les nuances ont été globalement au cran supérieur saturant un peu l’air. La symphonie passe sans émouvoir ou intéresser vraiment ; seules les qualités des instrumentistes de l’orchestre nous comblent. Ce concert restera dans les mémoires pour le jeu admirable du jeune Andrei Korobeinikov. Ce pianiste russe trentenaire est une découverte remarquable pour le public toulousain.
Chronique de Hubert Stoecklin publiée sur Classiquenews.com
Compte-rendu concert. Toulouse. Halle-aux-Grains, le 23 février 2018. Benjamin Attahir (né en 1989) : Sawti’l Zaman, à la mémoire de Pierre Boulez pour orchestre. Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Concerto pour piano et orchestre n°2 en sol mineur op.16. Antonin Dvorak (1841-1904) : Symphonie n° 8 en sol majeur, op.88. Andrei Korobeinikov, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Direction, Andris Poga.