La galerie Barrès-Rivet a décidé de mettre sous les feux de la rampe, un de ses artistes qui, bizarrement, n’est pas exposé ici à sa juste valeur, un peintre, dessinateur, sculpteur qui a tout de même fait l’objet récemment d’une grosse exposition en les murs d’un musée, et pas des moindres, le Musée Goya de Castres.
L’artiste est quasiment autodidacte, internationalement reconnu. Sa vie et tout son travail artistique reste marqué à jamais par l’exode durant la guerre civile espagnole. La galerie a décidé en plein accord avec l’intéressé de n’exposer que des travaux qui sont, à ce jour, en grande majorité, confidentiels. Ceux qui connaissent son travail seront donc impatients de découvrir ce qui leur a été caché. Et ceux qui ne le connaissaient pas encore voudront sûrement en savoir, ou plutôt, en voir davantage.
C’est à partir du vendredi 9 mars 2018 au 1, Place Saintes-Scarbes.
« Une peinture ne peut être authentique si son auteur ne se fond pas en elle. » Joan Jordà
Joan Jordà, est né à Saint-Feliu-de-Guixols, Catalogne, en septembre 1929. Il est installé à Toulouse depuis 1945, année de ses seize ans. Pour la Haute-Garonne et sa capitale Toulouse, l’exil républicain espagnol, la si tristement célèbre “retirada“, fait partie de leur histoire, avec des enfants marqués au fer rouge des souffrances et privations. Joan le fut dès janvier 1939, l’année de ses dix ans. Pour beaucoup de ces expatriés, ce département a été autant une terre de refuge et d’espérance d’un futur démocratique qu’un lieu préservé et source de destins personnels. Près de quatre-vingt ans plus tard, ces vies reconstruites et réinventées forcent toujours l’admiration et les souvenirs émus. Les empreintes sont indélébiles et ne s’effacent qu’avec les deuils. Parmi les enfants de cet exil, Joan Jordà a trouvé en terre haut-garonnaise son point d’attache pour exprimer toute sa pensée exigeante dans une création d’une grande liberté d’expression teintée souvent d’une rage plus ou moins contenue.
Enfant aussi de son temps, il a choisi un itinéraire artistique aux formes contemporaines où l’éthique et l’esthétique se mêlent pour dénoncer la guerre, la violence et les pouvoirs totalitaires sans rien renier de ses racines et de sa culture hispaniques, avec une constante, une palette particulièrement colorée.
« Je cherche à faire une peinture tragique mais qui ne soit pas triste. Je voudrais que celui qui la regarde s’y retrouve même si le mécanisme de ma pensée débouche toujours sur un sentiment d’absurdité. Prendre conscience « que todo es nada » sans pour cela en faire une arme de destruction, une force du mal, un laisser aller. Au contraire, considérer cette chose qui n’est rien et qui est tout – la vie – avec une curiosité et un respect inépuisable. » J. Jordà
Sa première exposition personnelle eut lieu en 1976. Elle marque le début d’un long engagement dans une dénonciation de la violence et des aberrations des pouvoirs totalitaires. Les suivantes ont toutes lieu ou presque sur ces terres qui ont vu arriver les exilés espagnols par vagues, chassés d’Espagne par d’autres espagnols, avec les drames et tragédies qu’on ne veut imaginer. Le résultat, sur le support, est traduit avec une grande puissance expressive, une virulence souvent exacerbée, une exaltation de la couleur, une déstructuration des corps souvent poussées à l’extrême, une liberté qui fait se rejoindre le travail pensé d’un adulte à celui d’un enfant avec ses moyens naissants. Corps bousculés, anatomies convulsives, expressions agressives, il y a une forme de violence délibérée qui ne peut trouver sa source que dans la propre enfance de l’artiste et ces scènes subies sûrement douloureuses. Se mêlent des représentations animales tout aussi surprenantes dans des compositions où l’homme semble rejoindre l’animal et celui-ci l’être humain dans des télescopages interrogatifs.
« Chacune de ses peintures est une “aventure“ à laquelle nous sommes invités à participer émotionnellement, une aventure qui ne se limite pas à une histoire personnelle, mais qui a toujours aussi une histoire collective. Car, ce qui intéresse Jordà, c’est à la fois l’homme intérieur, imprévisible et multiple, libéré de ses masques, l’ « être » profond, et l’homme social, collectif, participatif. » Pierre Barrès
Plusieurs expositions lui ont été consacrées en Catalogne à Barcelone, San Feliu, Gérone, en France, à Toulouse, Perpignan, Saint Bertrand de Comminges, Paris, …Faisant preuve d’une intense création qui s’affirme sous forme de peintures surtout et sculptures, Joan Jordà est aussi le créateur du Mémorial L’exode des républicains d’Espagne, sculpture en bronze installée au cœur de Toulouse. Il illustre aussi des ouvrages, notamment de Delteil, Rimbaud, Miguel Hernandez, Pepe Hillo…
Le Musée Goya de Castres a présenté en 2013, pour la première fois, son exposition sur sa série, les Ménines, entamée en 1987 et réalisée d’après le célèbre tableau de Velázquez conservé au musée du Prado à Madrid. Joan Jordà n’a pas encore épuisé ce sujet, qu’il explore désormais tant en peinture qu’en sculpture et gravure. Près de quatre-vingt-œuvres inspirées de ce tableau ont été ainsi exposées.
Pierre Barrès situe l’artiste « dans la mouvance de l’expressionnisme contemporain, mais avec la réflexion qui l’étaie, il a su donner à son œuvre une portée universelle. S’il donne la priorité à la “peinture“ sur le sujet, (« c’est bien la peinture qui commande »), nous dit-il, le sujet n’étant qu’un prétexte, sa démarche s’avère double, esthétique comme expression de la beauté, et éthique, comme lieu de réflexion sur le sens de la vie. »
Michel Grialou
Galerie Barrès Rivet
1 place Sainte Scarbes • 31000 Toulouse
Joan Jordà
Peintures 1978 – 1982
Exposition du 09 mars 2018 au 28 avril 2018