Grâce à l’article tout chaud encore de notre ami Serge Chauzy, vous savez tout ou presque sur les interprètes de ce concert du vendredi 23 février à 20h et de l’Happy Hour du lendemain à 18h.
Le jeune et brillant compositeur, adoubé par Pierre Boulez, Benjamin Attahir est de retour avec une œuvre écrite en hommage à son grand maître disparu récemment. Invité pour la première fois, le pianiste Andreï Korobeinikov “s’attaque“ à l’un des concertos parmi les plus difficiles du répertoire : le Concerto n°2 de Serge Prokofiev. Sur l’estrade, c’est le jeune chef letton Andris Poga que l’orchestre et le public de la Halle apprécient fort.
Andris Poga
Aussi, ces quelques lignes ne sont-elles là que pour vous informer un tout petit peu sur les œuvres elles-mêmes. Le programme met en avant Antonin Dvořák, l’apprenti boucher, fils de boucher et aubergiste à la fois dans un gros bourg, devenu compositeur et chef d’orchestre, ce patriote tchèque irréductible dont l’environnement de départ n’était donc guère porteur. Ainsi, la deuxième partie de ce concert est-elle occupée par sa Symphonie n°8 en sol majeur.
L’écriture symphonique attira Dvořák dès 1865 (première symphonie) et la pleine maîtrise de cette forme reine fut le résultat d’une patiente conquête qui trouve ses plus belles expressions dans la trilogie ultime des Symphonies maintenant numérotées 7, 8 et 9, autrefois numérotées 2, 4 et 5 avant que le musicologue tchèque Otakar Sourek ne remette un peu d’ordre. Impossible désormais de prononcer le nom de Dvořák sans qu’il soit immédiatement associé à l’illustre Symphonie n° 9 « Du Nouveau Monde ». Chef-d’œuvre, nul ne le conteste, celle-ci occulte parfois trop, cependant, les immenses qualités des deux précédentes. Remarquez bien les accents sur le r et sur le a et vous comprendrez mieux pourquoi vous devrez prononcer Dvorjak !!
Le lied, la chanson, constituant une sorte de soubassement de l’élément symphonique, la n°8 pourrait être qualifiée de Symphonie de romances sans paroles. Elle est en quatre mouvements, Allegro con brio – Adagio – Allegro grazioso-Molto vivace et finale, un Allegro ma non troppo. Sa tonalité, celle des chants folkloriques, n’est pas sans rappeler le métier, l’humour et l’humanité discrète du seul grand symphoniste ayant écrit dans cette tonalité radieuse, Joseph Haydn. D’un abord facile, non démonstrative, on pourrait presque dire sans chichi, cette symphonie respire bonheur, plénitude, maturité de son auteur. Elle fut composée en un laps de temps relativement court, entre septembre et novembre 1889, pendant un heureux séjour du musicien dans le village de Vysoká, et ce, avant son départ pour les Etats-Unis.
Antonin Dvořák
Achevée le 8 novembre 1889, et créée par A. Dvořák lui-même le 2 février 1890 à Prague, « elle s’avère être un émerveillement poétique de l’homme devant la nature, une résurgence à la manière bohémienne, du sentiment pastoral beethovénien. » Humeur fondamentalement optimiste et vitalité sans faille trouvent leur confirmation finale dans le retour de la bacchanale, une des pages orchestrales les plus éblouissantes et les plus modernes de Dvořák, et qui annonce la puissance narrative des poèmes symphoniques à venir. Ecoutez les rythmes de cet Allegro conclusif, et si vous ne voyez pas les rondes de danseurs et danseuses se faire et se défaire, tourner dans un sens, dans l’autre, les couples se former, puis se rompre, si vous ne “sentez“ pas les couleurs tourbillonner… !!
Sur les quelques Danses slaves données le samedi. Retour en arrière : Chez les Dvorak, on est boucher, de père en fils, ou du moins, c’est le métier réservé à l’aîné. Ceci dit, avec un tablier de boucher peut-être mais cela n’empêche pas le papa de jouer du violon, même et surtout dans cette modeste bourgade du nord de Prague, s’étendant sur les bords de la Moldau, village type de la Bohème, un véritable creuset musical comme tant d’autres. On sait que dans toutes ces campagnes, la distraction principale est la danse, accompagné du chant, et toutes les occasions sont bonnes pour fêter en musique tous les événements les plus variés et vivre des moments simples de joies intenses qui trouvent leur aboutissement le plus naturel, le plus authentique dans la danse collective et dans le chœur, dans ces, furiant, polka, sousesdska effrénés, déchaînés que Dvorak récréera dans la plénitude de sa musique.
Andreï Korobeinikov
Le Concerto n°2 pour piano de Prokofiev, est en quatre mouvements : Andantino – Scherzo. Vivace – Intermezzo. Allegro moderato – Finale. Allegro tempestoso. Sur une durée totale de 35 minutes. C’est, comme il s’est plu à le faire savoir, l’œuvre la plus chère au cœur du compositeur. Il fait partie des cinq dont l’écriture les rend extrêmement différents, leur composition ayant été largement tributaire du quotidien de Prokofiev, et de ses déplacements incessants, et harassants. N’oublions jamais les moyens de transport disponibles à telle ou telle époque. C’est ainsi qu’il entreprend la révision de ce concerto n°2, à son retour en 1922 des Etats-Unis, s’isolant dans un petit village des Alpes bavaroises pendant plus d’un an, concerto écrit dix ans auparavant et dont la partition de la première version fut perdue dans la tourmente de la Révolution russe de 1917. S’il est difficile de savoir par conséquent dans quelles proportions la révision a modifié l’original, il semble probable que la partie soliste ait été moins retravaillée que l’orchestration qui avait été sévèrement critiquée lors de la première audition en 1913 à Saint-Pétersbourg. Ce que Prokofiev qualifia lui-même de “Quatrième concerto“ témoignant toutefois de l’ampleur de la révision.
Le Concerto n°1, brillant et fougueux, avait suscité à sa création de violentes réactions en 1912. Celle du Concerto n°2, l’année suivante, déchaîna les passions. Dommage qu’à l’époque l’i-phone n’existait pas encore pour en avoir une trace audio au moins, ou vidéo ! Les critiques n’évoquèrent que le côté futuriste de la musique, et le compositeur ne trouva que peu d’appuis. C’est un peu une sorte d’accueil genre Sacre du printemps la même année à Paris. Les observateurs auront toutefois notés que ce concerto consacre les éléments essentiels du style de Prokofiev, dont les caractéristiques étaient pressenties dans la célèbre et infernale “Toccata“ ou la Deuxième Sonate : les pianistes apprécieront la nervosité rythmique, la virtuosité fébrile de la partie soliste, la considérable prédominance de ce dernier qui ne pouvait que surprendre les auditeurs d’alors.
Prokofiev
Ce concerto fut dédié au pianiste Maximilian Schmitgov, musicien extravagant et précoce, ami très proche du compositeur dans ses vingt ans. Ils étaient inséparables alors, comme deux âmes sœurs. C’est en avril 1913 que Prokofiev reçut une lettre de son ami en vacances sur le golfe de Finlande : « Cher Serioja, je te donne de mes nouvelles : je viens de me suicider… ». Le compositeur fut totalement abattu par ce tragique événement. On n’est pas là pour gloser sur les causes qui ont pu amener l’ami à une telle extrémité. Il est donc manifeste qu’un tel choc ne pouvait qu’influencer grandement l’écriture entreprise alors de ce concerto, et expliquer un peu l’accueil violemment hostile du public à la création le 23 août 1913, sauf à lui faire connaître et reconnaître les nombreuses traces de l’histoire de la vie de Schmitgov dans chaque mouvement. Certains analystes considèrent ce Deuxième Concerto comme un document humain exceptionnel. Avec son scénario de souffrance, de fuite, de désenchantement, et de développement de la maturité, il représente l’ultime adieu à un ami aimé. Et pour l’auditeur au courant de ces analyses, l’œuvre est rendue alors absolument plus remarquable encore.
Michel Grialou
Orchestre National du Capitole
Andris Poga (direction)
Andreï Korobeinikov (piano)
vendredi 23 février 2018 à 20h00
Halle aux Grains
Andreï Korobeinikov © Irene Zandel