Dans La petite Danseuse de quatorze ans (Editions Stock), Camille Laurens esquisse l’histoire de la jeune modèle inconnue d’Edgar Degas.
Le roman se présente comme une enquête méticuleuse, mêlée à l’autofiction. Camille Laurens, totalement fascinée par la sculpture de Degas, La petite danseuse de quatorze ans, a décidé de reconstruire l’existence de cette jeune modèle. Marie Geneviève Van Goethem est une petite fille pauvre qui vit seule avec sa mère et ses sœurs. Le clan tente de subsister tant bien que mal. Marie Geneviève entre alors à l’opéra pour devenir une « marcheuse ». Cela lui permet de gagner un peu d’argent. A cette même époque, elle pose aussi comme modèle pour le taciturne Edgar Degas. Camille Laurens imagine les longues séances de pose où le grand maître érudit et la jeune fille sans-le-sou se font face à face.
L’envers du décor
Le thème de la danse est un leitmotiv cher à Degas. Il obtiendra même un laisser-passer pour arpenter les coulisses de l’opéra Garnier. Alors que sa vue lui fait défaut, il se tourne vers la sculpture. Entre 1875 et 1880, il réalise une des pièces principales de son travail, La petite danseuse de quatorze ans. Camille Laurens plonge dans la genèse de cette œuvre totalement fascinante. Elle y reconstruit la vie probable de la jeune fille qui vit dans la pauvreté. A travers son personnage, l’auteur nous fait entrer dans les secrets de l’opéra Garnier. Loin du glamour qui peut entourer aujourd’hui cet endroit, il était alors considéré comme un lieu de travail qui sortait – dans une certaine mesure – les filles les plus démunies de la misère. Lieu également ténébreux où quelques abonnés trouvaient parmi ces jeunes ballerines des nymphettes qui se prostituaient. Parfois même poussées par leur mère, ce qui pourrait être le cas de Marie Geneviève Van Goethem.
Sur un air de scandale
Lorsque Degas expose sa sculpture en 1881 au Salon des Indépendants à Paris, c’est l’indignation. La petite statue, un mètre seulement, est au cœur des discussions. Pourquoi un tel branle-bas ? La petite danseuse, tout d’abord, semble impertinente avec son regard perdu ou absent. On l’accuse d’être « vicieuse ». Mais ce qui choque par-dessus tout c’est que Degas l’ait vêtue d’un vrai tutu, de chaussons, d’un ruban, et d’une queue de cheval composée de vrais cheveux. C’est la première fois qu’un artiste entremêle ainsi matière et éléments réels. Ceci rehausse d’autant plus la nudité de la petite danseuse. Pour couronner le tout, le public la trouve moche, arrogante, certains affirmant qu’elle ressemble à un singe et qu’il faudrait l’envoyer au zoo.
Après cette exposition, Degas gardera la sculpture qui ne sera plus exposée. Ce n’est qu’après la mort de l’artiste, que le fondeur Hébrad la remet à l’honneur et en tire 22 modèles de bronzes que l’on peut voir un peu partout dans le monde.
Sculpter le réel
Camille Laurens relie la vie de Degas à celle de la jeune Marie. Mais c’est aussi toute une époque que l’auteur met en avant. Une époque où l’art s’empare du réel pour le représenter. A son tour, Camille Laurens s’est énormément documentée pour donner chair à une époque lointaine. Les nombreuses recherches aboutissent à un résultat très réaliste qui permet au lecteur de visualiser aisément l’ambiance de toute cette époque passée. Le récit se fait de plus en plus intime. Les recherches parmi les archives vont pousser Camille Laurens à enquêter sur sa propre descendance qui, peut-être un jour, aurait pu croiser la petit Marie.
Sylvie V.
Camille Laurens, La petite danseuse de quatorze ans, Editions Stock, 176p.