Bonheur des villes sans cyclistes : Naples, Venise, Istanbul, Lisbonne, Madrid, Séville… Plaisir des rues rendues aux piétons et aux voitures. La mode du vélo, née dans des villes de plats pays d’Europe du Nord (Pays-Bas, Danemark…), a même gagné New York. Quelle idée… A-t-on déjà vu un cycliste dans un film de Woody Allen ? Laissons les gondoles à Venise, mais qui dira la virtuosité des taxis stambouliotes ? La grâce des scooters napolitains ? L’obligeance des automobilistes espagnols ? Et la quiétude du piéton, cette décontraction désormais oubliée dans la plupart des villes de l’Hexagone où il s’agit d’être sur ses gardes face à l’envahissement progressif de hordes de vélocipédistes déchaînés ? Évidemment, Toulouse n’a pas échappé à la vogue du cycliste conquérant, bardé de tous les droits, bridé par aucun interdit – et surtout pas par le code de la route ou par toute autre attitude que commande la décence ordinaire. Pour être tout à fait juste et rester dans les généralités forcément caricaturales, il faut reconnaître que l’automobiliste toulousain n’est guère plus « citoyen ». Aux yeux de nombre d’entre eux, l’arrêt aux feux rouges semble être devenu une option. L’auteur de ces lignes – pur piéton de Toulouse, ne possédant ni deux roues de quelque nature ni permis de conduire – n’exonérera pas cependant la « famille » des marcheurs de son propre incivisme dont le spectacle, notamment aux passages piétons, ne manque pas de piquant.
Un samedi de janvier, après un déjeuner avec Aziz et Julien chez France & Marcel, l’arrivée d’une jeune femme dans la rue Jules-Chalande attire l’attention. Malgré la température très fraîche, elle ne porte qu’un tee-shirt et un short très court qui finalement se révèle n’être qu’une simple culotte. Au-delà de cette tenue inhabituelle mettant toutefois en valeur un physique avantageux, ce sont les propos qu’elle hurle qui marquent les esprits : « Je suis nue, j’ai pas d’habits ! Je vais prendre trente ans ! Je m’en fous, je ne baiserai plus en prison ! ». La suite est encore plus mystérieuse : « Du rumsteck ! Du rumsteck ! Du rumsteck ! », scande-t-elle. Cela pourrait être le début d’un roman, me suis-je dit sans être décidé néanmoins à écrire celui-ci.
Pendant le déjeuner, Aziz et moi avons eu le plus grand mal à convaincre Julien que la célèbre boîte de nuit de la rue Bayard, « Monsieur Carnaval », ne s’appelait pas « Mister Carnaval ». « Moi, j’ai toujours dit Mister Carnaval », répétait incrédule notre commensal. A sa décharge, l’abréviation « Mr » d’origine anglo-saxonne, utilisée par l’établissement, est bien le diminutif de « Mister ».
Je crois bien que mon restaurant préféré à Toulouse est Le Rocher de la Vierge. J’ai de grands souvenirs à La Pente douce d’Hamid Miss et les déjeuners que mitonne Laurence Lagarde au Tire-Bouchon sont de haute compétition. Cependant, je pense que l’estaminet de la rue Merly est à ce jour ma table de prédilection. J’ai le sentiment de ne pas y aller assez souvent, mais l’endroit est pris d’assaut et il faut penser à réserver plusieurs jours avant. Dans une autre vie, Mika Lecumberry a été musicien et chanteur. Cela explique peut-être pourquoi ses plats sont pop, simples et évidents, sophistiqués sans en avoir l’air. Ils dégagent des mélodies claires, charmeuses. Il est le Paddy McAloon des fourneaux. Bon Appetite !
L’acteur Yves Afonso est mort le 21 janvier à Paris. Sa ressemblance avec Jean-Paul Belmondo a sans doute entravé sa carrière et il est devenu l’un de ces seconds rôles marquants du cinéma français auxquels le toulousain Serge Regourd a rendu hommage dans deux livres. Afonso a tourné avec Godard, Tavernier, Lelouch, Boisset, Pascal Thomas… Dans Uranus de Claude Berri et Les Arcandiers de Manuel Sanchez, il signe des apparitions inoubliables. L’année 1986 vit la sortie sur les écrans de Maine Océan de Jacques Rozier et de Double messieurs de Jean-François Stévenin dans lesquels Afonso tient – pour une fois – des premiers rôles. Double messieurs est l’un de mes films préférés. J’ai dû le voir entre vingt-cinq et trente fois. Chaque vision me révèle un détail, un mot ou une image qui m’avaient échappé. Quelle beauté, quelle poésie, quelle drôlerie, quelle mélancolie… On retrouve Afonso dans Mischka, troisième long-métrage réalisé par Stévenin et sorti en 2000. Voici quelques années, j’avais eu le privilège de rencontrer Yves Afonso. Il était quelques jours à Toulouse pour le tournage de Cruel, premier film réalisé par Eric Cherrière.
Grâce à Eric et à sa compagne Isabelle Desesquelles, j’avais donc enfin rencontré ce comédien dont je savais les répliques de Double messieurs par cœur. Après être allé le chercher à son hôtel de la rue Raymond IV, nous avions déjeuné au Tire-Bouchon, par ailleurs l’un des lieux de tournage de Cruel. Puis, nous dérivâmes gentiment dans la ville avant d’échouer en fin d’après-midi au pub Melting Pot du boulevard de Strasbourg. La conversation se poursuivit de films en livres en passant par des héros disparus ou des épisodes qui avaient fait la France, du moins une certaine idée de la France. J’avais le sentiment de connaître Yves Afonso depuis très longtemps. Les silences ne pesaient pas entre nous. À un moment, il me dit « Là, on est chez nous… C’est chez nous ça… » à propos de ce musée disparate fait d’œuvres, d’êtres, de valeurs, de fantômes et de présences très concrètes que nous avions convoqués. Nous promîmes de nous revoir à Paris, ce qui n’advint pas. Yves Afonso était de ces artistes instinctifs et réfléchis à la fois, blessés avec discrétion. Il va nous manquer. Cette chronique futile lui est dédiée.