La Vérité de Henri-Georges Clouzot (1960)
Brigitte Bardot, « Dominique Marceau ».
Gilbert et Dominique, bien qu’ils aient été amants, n’ont rien en commun : Bach face à Brando ; la musique orchestrale face au cha-cha ; le travail, l’acharnement face à la légèreté, l’insouciance, l’amusement. Lui dirige, sa musique. Elle, se laisse porter, devient la musique. L’enfermement face à la liberté (à l’issue du drame, c’est la liberté qui sera enfermée). Et puis Dominique Marceau est en décalage avec son époque. En refusant les principes rigides de ses parents, en cherchant à vivre ses désirs, elle sort du cadre pour trouver le sien propre. Et son cadre est à l’avant-garde, comme ses lectures : Les Mandarins de Simone de Beauvoir. Comme Meursault pour sa mère dans le roman d’Albert Camus, elle ne pleure pas non plus la mort de son père. Même si ce n’est pas précisément ce que lui reproche le tribunal, il pointe son manque de cœur qui lui aurait permis de préméditer son acte, d’agir froidement et de simuler tout remord.
L’enjeu est là : signifier ce décalage à l’image. Le plan le plus flagrant à cet égard, n’est autre que celui qui montrera le crime dans sa plus froide réalité : au moment des coups de feu, toute la perdition de Dominique est dans ce cadrage incertain, tremblant et fulgurant. Un plan serré sur son visage dans lequel ses paupières au maquillage noyé de larmes sursautent à chaque coup de feu assourdissant. Un moment de vérité nue, qui vient clore les réminiscences, les trajectoires fébriles du ‘dire’, les recompositions factices orchestrées et imposées par la justice.
Meursault pour moi n’est donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d’ombres. Loin qu’il soit privé de toute sensibilité, une passion profonde, parce que tenace, l’anime, la passion de l’absolu et de la vérité. Il s’agit d’une vérité encore négative, la vérité d’être et de sentir, mais sans laquelle nulle conquête sur soi et sur le monde ne sera jamais possible.
On ne se tromperait donc pas beaucoup en lisant dans L’Étranger l’histoire d’un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité. »*
Amoureuse du soleil, Dominique Marceau dansait jusqu’à ce que son malheur la conduise à commettre l’irréparable. Et puisqu’il est impossible de se faire comprendre, et que ce petit morceau de miroir ne reflètera jamais qu’une portion de sa vérité, elle le brisera en silence, et se tranchera les veines. Alors que quelques quelques gouttes de sang de son poignet irradient déjà son drap, sa vérité aussi aura peut-être la chance de traverser son linceul.
*Préface à l’édition américaine de L’Étranger. [08 janvier 1955]
John Lavoignat
Un article de Ma Théière à mémoire
Le film La Vérité sera projeté à la Cinémathèque de Toulouse le dimanche 10 décembre 2017 à 18h, et le mercredi 20 décembre 2017 à 21h.