Après s’être intéressé au milieu de la justice avec Délits flagrants (1994), – jusqu’à consacrer le documentaire Muriel Leferle (1999) à l’une des détenues -, et avec 10e chambre – Instants d’audience (2004), à celui de la psychiatrie en filmant un asile italien dans San Clemente (1982) et les urgences psychiatriques de l’Hôtel-Dieu à Paris dans Urgences (1988), Raymond Depardon place sa caméra à la croisée de ces deux mondes dans 12 jours.
Douze jours est le délai maximum imposé par la loi de septembre 2013 pour que se tiennent les audiences de patients hospitalisés en soins psychiatriques sans leur consentement face à un juge des libertés et de la détention, pour vérifier la validité administrative de la mesure ainsi que son bien-fondé.
Nous assistons à dix audiences du Centre Hospitalier Le Vinatier de Lyon (le plus grand hôpital psychiatrique de France), qui semblent se dérouler en temps réel, alors qu’elles ont été écourtées pour les besoins du film par un habile montage (voir interview). Un juge rappelle au patient, assisté de son avocat, les raisons qui l’ont conduit à être contraint à l’hospitalisation, et lui annonce la décision prise par l’équipe psychiatrique, à savoir dans les dix cas, le prolongement du séjour. Pour neuf audiences, le souhait de la personne entendue est de vouloir sortir. Se déroule alors le plus souvent un non-dialogue entre le malade et le juge. Aux questions médicales que le premier formule, le second répond inlassablement « je ne suis pas psychiatre ». Avec ses trois caméras dont deux pour les gros plans sur les visages de chaque interlocuteur, le champ-contrechamp imposé par la petitesse du lieu (voir interview) renforce ce sentiment de non-rencontre. Si la loi de 2013 permet d’éviter les abus et les injustices, en redonnant des droits aux personnes hospitalisées de force, 12 jours semble montrer les limites de l’audience : une étape où tout paraît déjà décidé, et ne consiste qu’à informer le patient de la volonté médicale, ce que le Dr Pascalou Belléguic, psychiatre qui a animé un débat à Coutances lors d’une avant-première du film conteste :
En effet, dans la vie courante, les mainlevées pour vice de procédure sont fréquentes du fait d’une loi complexe et mal écrite, à laquelle ni les hôpitaux ni la justice n’étaient préparés.
Mais le champ-contrechamp met aussi les deux personnes de part et autre de la table à égalité dans la détresse. Détresse du patient d’être obligé de rester dans un lieu qu’il veut fuir, mais aussi détresse du juge d’être impuissant au cœur de la procédure. « À quoi servez-vous ? », une juge répondra « à rien », avec un rire fataliste. Entendre aussi les parcours de chacun, avec leurs propres mots : « Je suis une plaie ouverte » ou « J’étais contre l’hospitalisation car je voulais rentrer chez moi pour mourir. Ils disent que je manque à ma famille, à mes animaux, mais ils pensent à ma souffrance ? ».
Le dispositif des Habitants, son précédent film, mettait le spectateur à distance, avec l’impression d’écouter une conversation qui ne lui était pas destinée à la table d’à côté , parsemée en particulier de propos xénophobes et sexistes. Dans 12 jours, au contraire, le processus d’identification fonctionne tellement, que nous nous reconnaissons dans les failles de l’un ou l’autre des patients, au point de nous imaginer à leur place. Afin de se remettre de la secousse que peut provoquer chaque audition, l’insertion de scènes des différents lieux de vie du Centre, intérieur ou extérieur, sans discours, mais avec la musique apaisante d’Alexandre Desplat, instaure des plages de respiration. Au générique du début sans image où le son des portes et des serrures enferment, et à la gravité de ces dix vies qui ont basculé, s’oppose une fin plus optimiste, tournée vers la vie hors du centre. En filmant pour la première fois ces audiences, Raymond Depardon autorise la parole de personnes marginales et isolées, et pourtant si proches de nous, à être entendue.