Compte rendu concert. Toulouse, le 20 septembre 2017. Mozart. Beethoven. Chostakovitch. Elisabeth Leonskaja, Orch Nat du Capitole,T. Sokhiev.
En Partenariat avec Piano aux Jacobins l’ouverture de la saison symphonique de la Halle-aux-Grains, chaque année, représente un moment clef de la vie culturelle toulousaine. La conjonction d’un soliste de premier plan, de compositeurs choyés et de l’orchestre sous la direction de son chef tant aimé, a attiré un public nombreux. Plus une place de libre ce soir, dans la salle hexagonale où le public enserre « son » orchestre. Il est certain que la disposition de cette salle concourt à ce sentiment de partage total, entre musiciens et public.
ŒUVRES EN MAGNIFICENCE
Pour ce grand soir attendu par la foule, dès son entrée en scène, alerte et concentré, Tugan Sokhiev donne le ton. L’orchestre dans son rituel immuable s’était installé et accordé avec soin. Et dès la levée des bras du chef, l’orchestre a frissonné pour nous offrir une ouverture de Don Juan d’anthologie. C’est dans un même geste large de battements d’ailes puis de gauche et de droite qu’il a construit ce début d’accords si dramatiques. L’élégance et l’évidence de ce grand geste sculpte le son et l’amène jusqu’ au silence qui le suit. Cela permet à l’orchestre de déployer toute sa beauté sonore et son savoir faire : la présence de chaque timbre dans un ensemble grandiose. Cordes, flûte, hautbois, basson et cor entrent en scène avec d’avantage de présence pour la partie de balancement noble que Joseph Losey, si inspiré dans son Film -Don Giovanni- , avait situé sur la lagune de Venise. Tout s’enchaine ensuite avec panache mêlant à ce tragique début toute la gouaille du giocoso. La fête de ce mariage du Drama et du Giocoso est à son comble avec les entrés fuguées et les répétitions des motifs alertes. Tout l’orchestre semble exulter et Tugan Sokhiev d’une main sure et légère, donne toute la dramaturgie attendue à cette magnifique ouverture. Nous avons déjà hâte d’entendre de quelle façon, le chef dirigera un jour Don Giovanni à l’opéra avec sa manière si fine de comprendre le mélange complexe du drame existentiel et de la futilité de la vie, tels qu’ils sont contenus dans le chef d’œuvre mozartien.
Après un début si enchanteur, une fois le piano sorti de terre et l’arrivée souriante d’Elisabeth Leonskaja, la vaste introduction du troisième concerto de Beethoven a une nouvelle fois montré combien le Beethoven de Tugan Sokhiev est idéal. Tenue, grandeur sans pesanteur, élégance du phrasé, nuances ciselées et couleurs éclatantes. Avec toujours un rythme maitrisé et comme un rebondi qui anoblit les fins de phrases et les accords. La longue entrée orchestrale qui débute le Concerto met le pianiste soit dans une attente d’enfin jouer, soit lui permet de participer et d’inclure dans ces premières notes tout le long phrasé impulsé par le chef. Elisabeth Leonskaja, qui dit aimer beaucoup jouer avec Tugan Sokhiev, a semblé chanter avec l’orchestre. Son entrée est majestueuse et elle semble poursuivre avec l’orchestre ces grandes phrases. Le geste est souverain avec pourtant les petites scories habituelles. Jamais aucune dureté, et des nuances subtiles, des qualités de légèreté et des appuis pondérés sont un enchantement. Le premier mouvement est un dialogue de grande musicalité entre le chef, l’orchestre et la pianiste. L’écoute est permanente et le plaisir de jouer ensemble ne fait que grandir. La grande cadence montre Leonskaja, maîtresse de moyens phénoménaux avec une grande inventivité.
C’est bien évidemment le mouvement lent qui est le moment le plus émouvant du Concerto. Cette fois c’est la pianiste qui joue seule et donne le ton. C’est celui de la confidence, du bonheur, du partage. La délicatesse de l’orchestre sous la direction sensible de Tugan Sokhiev est un pur enchantement.
Le bonheur éperdu du trio flûte, basson, piano reposant sur un tapis de pizzicati de cordes, dans ces grandes phrases planantes, est un moment inoubliable. Sandrine Tilly à la flûte et Estelle Richard au basson sont les fées qui nuancent subtilement avec la reine de douceur au piano. Le balancement amoureux obtenu par la direction de Tugan Sokhiev est comme une invitation à laisser tout souci pour être parfaitement heureux le temps de ce mouvement suspendu.
Avec malice Elisabeth Leonskaja lance le final si spirituel qui permet à la soliste et à l’orchestre de caracoler avec ivresse. Le triomphe est total et c’est une salve d’applaudissement pour les musiciens. Elisabeth Leonskaja offre en bis une superbe interprétation de la première des trois Klavierstücke de Schubert, faisant la boucle avec son somptueux concert Schubert aux Jacobins il y a quelques jours.
Pour la deuxième partie du concert, le choix de la neuvième symphonie de Chostakovitch permet de rester dans l’éveil de l’esprit. Cette symphonie écrite par Chostakovitch après la fin de la deuxième guerre mondiale est marquée par un coté certes festif, la guerre est finie, mais grinçant et provocateur, car quel prix terrible a du être payé. Au lieu de la grandiose fresque héroïque attendue par le pouvoir soviétique, Chostakovitch a choisi la désinvolture, refusant toute parenté avec la terrible symphonie Leningrad. Tugan Sokhiev n’insiste pas sur le coté grinçant mais permet l’expression d’un esprit de moquerie qui garde toujours une parfaite élégance. Les fanfares militaires raillées le sont plus avec esprit que méchanceté. Il n’y a rien de grandiose ni de vainqueur. C’est une grande chance de pouvoir entendre les symphonies de Chostakovitch défendues avec cette qualité. Tugan Sokhiev et son orchestre ont ce soir été merveilleux. Les instrumentistes sont tous magnifiques ; mentionnons surtout le picolo inénarrable de Claude Roubichou, le hautbois merveilleux de Chi Yuen Cheng, la clarinette si expressive de David Minetti, Sandrine Tilly à la flûte et, à nouveau le fabuleux basson d’Estelle Richard. Le solo de violon de Geneviève Laurenceau a également été très remarquable. Dans le deuxième mouvement si désolé, il y a un trio flûte, basson clarinette d’une incroyable beauté. Les cuivres ont une partie importante et toute la famille est à féliciter pour son implication sans faille d’une grandeur inquiétante. Mais c’est véritablement cette énergie mutualisée de tous les instrumentistes que Tugan Sokhiev semble chercher individuellement du regard dans sa direction si expressive qui fait la merveille de cette interprétation.
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Compte-rendu, concert. Toulouse. Halle-aux-grains, le 20 septembre 2017. Mozart. Beethoven. Chostakovitch. Elisabeth Leonskaja, piano. Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction. Illustration : Elisabeth Leonskaja (DR)