Réflexions futiles, choses vues et souvenirs inspirés par la ville et ceux que l’on y croise.
Voici quelques semaines, à une terrasse ombragée et calme où il fait bon lire, je suis toutefois happé par la conversation entre deux jeunes filles assises à une table en face de la mienne. L’une expose à l’autre la passion du tatouage entretenue par un garçon de sa connaissance. Un « papillon pas rempli », en cours de confection sur une jambe, est jugé « sympa », mais deux autres tatouages pourtant achevés la laissent dubitative : « On ne voit pas très bien ce que c’est… » Surtout, le tatoué est confronté à un grave problème. Il s’était fait gravé sur la poitrine le prénom d’une jeune femme dont il avait partagé la vie des années durant. Or, la dulcinée l’a quitté et il cherche désormais une nouvelle amoureuse dont le prénom soit identique à la précédente ou permette une extension du dit tatouage – ainsi Marie (1) pourrait laisser place à une Marie-France. Mais l’entreprise n’est pas aisée, on l’aurait deviné, et l’amie confirme : « Déjà qu’il a du mal sans ça… » En outre, elle désapprouve l’initiative originelle du tatouage amoureux : « T’achètes un bracelet, une gourmette, mais tu fais pas ça. » Pas faux. Quant à la solution qui consisterait à effacer le tatouage en question, elle précise que ce type d’opération laisse des « cicatrices dégueulasses ». « Du coup », expression revenant telle une respiration dans le monologue, la quête d’une nouvelle petite amie au prénom compatible avec le tatouage demeure la meilleure solution. La vie n’est pas simple.
Cela fait très longtemps que je ne suis pas allé dans une salle de cinéma à Toulouse. Peu de films m’ont tenté ces derniers mois (mais les sorties très prochaines de ceux de Kusturica et Malick devraient me faire reprendre le chemin de la salle obscure) et il faut reconnaître que les « facilités » proposées par certains sites de streaming (c’est-à-dire voir les films quelques jours ou quelques semaines avant leur sortie, en général en VO et en HD) offrent des alternatives appréciables. En tout cas, j’aurai du mal à revenir au Gaumont Wilson. D’après ce que j’avais lu dans la presse locale, ce cinéma impose depuis plusieurs mois au spectateur de réserver une place numérotée. Impossible donc, a priori, d’entrer désormais dans la salle et de choisir son siège selon la proximité et la taille de l’écran, les éventuels voisins mangeurs de pop-corn, la puissance de la climatisation… J’imagine tout de même qu’il doit être possible, si la salle n’est pas pleine, qu’une fois installé à son siège numéroté, de se lever discrètement et de s’asseoir à une autre place. À moins que des vigiles ne veillent au bon respect du placement obligatoire… Le progrès fait rage.
Auparavant, j’avais déjà assisté à la transformation des salles de cinéma en magasins de confiserie suivant le mode de consommation importé des Etats-Unis. Les multiplexes ont fleuri à Toulouse et dans les environs, d’autres projets sont, semble-t-il, en cours. Je préfère me souvenir des cinémas de ma jeunesse qui ont fermé : Le Concorde, Le Club, Le Trianon, Les Nouveautés, Le Rex, j’en passe… Au Rex, spécialisé dans les reprises, j’ai vu – et revu – les films des Marx Brothers, des Monty Python, de Buster Keaton, Lubitsch, Mankiewicz, Hitchcock, Kubrick, Fellini, Truffaut, Pasolini, Ozu, Preminger, Renoir, Minnelli, Scorsese, Guitry, Lang, Hawks, Godard, Kurosawa, Coppola, Walsh, Pasolini, Tarkovski, Argento, Oshima, Bunuel, Powell et Pressburger, Kazan, Tati, Wilder, Huston, de Sica, Edwards, Dreyer, Aldrich, Boorman, Visconti, Carpenter, Rohmer, Von Stroheim, Mikhalkov… Bref, les plus beaux films du monde par les plus grands cinéastes du monde. Sans place numérotée. J’y ai encore vu le fabuleux Strangers Kiss de Matthew Chapman, à la dernière séance un mardi soir, qui relate une histoire d’amour sur le tournage du Baiser du tueur de Kubrick, avec le jeune Peter Coyote dans le rôle du metteur en scène. C’est aussi au Rex que j’ai découvert, un dimanche après-midi du printemps 1989, à quel point Clint Eastwood était un grand cinéaste avec la projection d’Honkytonk Man. Finalement, je crois que je pourrais me faire tatouer, sur la poitrine ou ailleurs, « Le Rex ». Il ne me quittera jamais, je l’aimerai toujours et j’ai l’orgueil de penser qu’il ne m’a pas oublié.
(1) Le prénom a été changé.