Au Théâtre du Pavé, Jean-Pierre Cacérès, seul en scène, livre un slapstick inspiré des heures de gloire de la Russie.
C’est par une voix off reprenant les propos du réalisateur russe Andreï Nekrassov que s’ouvre le spectacle “Propaganda”, propos faisant état de la mort du communisme, le 25 décembre 1991. De cette URSS fantomatique ne vivant plus que dans les rêves (ou les cauchemars) de cet intellectuel dissident, le comédien Jean-Pierre Cacérès fait surgir des figures emblématiques issues de l’imagerie collective et de ses souvenirs personnels, dans une forme burlesque et muette, le slapstick. “Propaganda” est la rencontre d’un amoureux de cinéma russe et d’un comédien formé au théâtre d’improvisation.
Sur un plateau transformé en salle de cinéma déserte, baigné d’une lumière aux tons rouges et or, un homme, comme surgi de nulle part, semble refaire à lui tout seul son cinéma. Jean-Pierre Cacérès s’approprie avec jubilation des outils de la propagande de l’époque stalinienne — symboles et images populaires — pour les interpréter à la manière du collectif d’artistes des années 20 la Fabrique de l‘Acteur Excentrique : pantomime, caricature, clown, ou cabaret, autant de codes de jeu qui imprimeront le cinéma soviétique muet.
À l’aide de quelques pièces vestimentaires et accessoires (chapka, bonnet, foulard, casquette, combinaison orange, manteau militaire…), il croque des personnages dans une succession de vignettes et de saynètes ayant imprimé notre mémoire cinématographique. Une babouchka, une danseuse du Bolchoï, un skieur alpin, une patineuse artistique, un « homme à la caméra » défilent ainsi sous nos yeux dans un ballet rythmé par des musiques de Chostakovitch, des chants du folklore ou des Chœurs de l’Armée rouge. Lors d’une séquence hilarante, le comédien nous fait même revivre le voyage dans l’espace de Youri Gagarine. Des figures moins sympathiques sont également de la partie, nous rappelant que l’époque était aussi à la terreur, aux restrictions, à la paranoïa, aux dénonciations. Elles apparaissent tapies dans l’ombre ou derrière un rideau, nous surprenant en flagrant délit d’hilarité. On pensera à Charlie Chaplin, bien sûr, qui réussit à nous faire rire avec le pire dictateur de tous les temps, mais aussi à Buster Keaton, par le masque impassible de clown triste qu’affiche Jean-Pierre Cacérès. Celui-ci rend ici un hommage plein de tendresse au cinéma russe et à tous ces inventeurs de formes artistiques novatrices — réalisateurs, compositeurs, peintres, graphistes et écrivains — nés avec le XXè siècle et qui ont survécu au communisme pour entrer dans l’histoire…
Une chronique de Sarah Authesserre pour Intramuros
Du mardi 2 au samedi 6 mai, 20h30, au Théâtre du Pavé (34, rue Maran, 05 62 26 43 66, theatredupave.org)
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